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Dumping social: la France encadre ses travailleurs détachés

mardi, 18 février, 2014 - 11:00

Les députés français votent aujourd'hui une proposition de loi pour mieux encadrer les travailleurs détachés et lutter contre le dumping social. Pour une fois, la France devance la transposition d'un récent accord européen.

L'accord européen sur les travailleurs "détachés" n'est pas encore définitivement adopté, que déjà, les députés français votent pour le transposer dans la législation nationale. La loi présentée par le député socialiste Bruno Le Roux vise à mieux encadrer le recours à ces salariés européens. Elle devrait être approuvée aujourd'hui. Il s'agit de "lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale (…) et le développement délétère de l’emploi de salariés low-cost via un recours de plus en plus important, qu’il soit légal ou illégal, à la directive "détachement".

Ouvriers roumains, polonais, bulgares ou chypriotes sous-payés: la France est particulièrement touchée par le travail détaché frauduleux. En 2012, on comptait déjà 170.000 salariés "détachés", soit quatre fois plus qu'en 2006. Et en 2013, ils ont augmenté de 30%, soit 210.000 travailleurs. Mais ils seraient plus du double en réalité, la majorité d'entre eux n'étant pas déclarés.

Salarié "détaché", quésako?

Un travailleur est considéré comme "détaché" s'il travaille dans un État membre de l'Union européenne parce que son employeur l'envoie provisoirement poursuivre ses fonctions dans cet État membre",

explique la Commission européenne. Jusqu'ici, rien de scandaleux. D'autant que le salaire et les conditions de travail de l'employé détaché doivent respecter les minimas du pays dans lequel il travaille. Par contre, les cotisations sociales appliquées sont celles du pays d'origine, ce qui peut être très avantageux pour un employeur domicilié dans un pays tel que la France où elles sont plutôt élevées. 

Problème: les règles sont contournées, "la fraude est massivement pratiquée (au point que) le travailleur low cost devient ainsi le nouvel esclave moderne", dénonce un récent rapport parlementaire.Que ce soit le transport, l'agro-alimentaire ou le bâtiment, le "dumping social" est généralisé en France dans différents secteurs d'activité. L'objectif du texte examiné ce mardi, qui doit être voté le 25 février, est donc d'anticiper la transposition de l'accord européen sur le travail détaché.

​Que changera le texte?

Parmi les propositions du texte

  • Créer une "liste noire" d’entreprises et de prestataires de services condamnés pour travail illégal (pour un montant d’au moins 45.000 €).
  • Renforcer des peines et des amendes encourues par les entreprises qui contournent la loi.
  • Instaurer une responsabilité conjointe et solidaire des donneurs d'ordre avec les sous-traitants.
  • Permettre aux associations, aux syndicats, de se constituer partie civile y compris en l’absence d’accord du salarié ou en l’absence de poursuites par le Parquet.

La France est loin d'être la seule concernée en Europe. Mais pour l'heure, elle est la première à avoir anticipé la transposition du récent accord européen. Cette loi va certainement limiter les fraudes, mais elle se heurtera aux limites de la coopération entre les pays de l'UE. Il est, notamment, très difficile de savoir si les cotisations sociales ont effectivement été versées par l'employeur dans le pays d'origine du travailleur.

Allemagne, terre d'accueil…

Chaque année, 180.000 travailleurs étrangers viennent grossir les rangs de l'industrie allemande. Et si aujourd'hui le ministre du Travail allemand se dit prêt à coopérer pour encadrer les travailleurs détachés, il n'en a pas toujours été ainsi. En mars 2013, la Belgique a déposé une procédure en infraction contre l'Allemagne. Les salariés détachés étaient payés entre trois et huit euros de l'heure dans le secteur de l’abattage de la viande. 

L'Allemagne profite de son absence de salaire minimum, du moins pour le moment. En payant moins ses salariés, venus le plus souvent des pays de l'Est, Berlin réinvestit l'argent gagné dans sa propre industrie, soutient ses éleveurs, et peut vendre moins cher sa viande. En dix ans, l'Allemagne a augmenté ses exportations de pièces de porc désossés de 550%. Contre 20% pour la France.

Mais, c'est moins connu, l'Allemagne figure également parmi les pays qui exportent le plus de travailleurs à l'étranger avec 250.000 salariés détachés. Elle campe ainsi à la deuxième place, derrière la Pologne (300.000 travailleurs détachés et pas seulement des plombiers!) 

A l'Ouest, l'Eden

Malgré sa croissance économique, la Pologne peine à retenir ses travailleurs. Le pays est pourtant l'un des seuls en Europe à ne pas avoir connu la récession, et ce depuis 2008. Les perspectives de croissance sont positives. Le pays table sur 3% de croissance pour 2014. Le chômage au sein de la population active tourne autour de 10,1% (Eurostat). Rien ne laisserait penser, au premier regard, que le pays puisse connaître une fuite massive de sa population. Pourtant, entre 2004 et 2009, près d'un million de Polonais ont quitté le pays.

La majorité des migrants, candidats au travail détaché, sont des jeunes en quête de fortune. En 2009, 93% des personnes ayant déserté la Pologne avaient moins de 34 ans. Le chômage chez les moins de 25 ans est très élevé (26,3% en juillet 2013). Quant au salaire moyen, il tourne autour de 500 euros. Le marché du travail est bien plus attirant à l'Ouest du continent. Surtout pour les transfrontaliers qui peuvent à la fois gagner de l'argent en Allemagne et tout dépenser en Pologne.


Article initialement mis en ligne le 18 février 2014 lors du début du débat parlementaire et actualisé le 25 février.




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