Le président Abdüllah Gül a promulgué hier la loi qui renforce le contrôle d’internet en Turquie. Première conséquence: en quelques heures, il avait déjà perdu 80.000 followers sur Twitter. Le début d'une e-mobilisation? Myeurop décrypte la situation.
Après de longues semaines de discussion et malgré de vives protestations, le président turc Abdüllah Gül a donc finalement promulgué hier soir la loi très controversée qui renforce le contrôle d'internet. Le texte, imaginé par le gouvernement du premier ministre Recep Tayyip Erdogan, est décrié par les associations de défense des libertés individuelles, mais aussi par l'UE et les États-Unis.
Que dit cette nouvelle loi et que va-t-elle changer ?
Adopté début février par le Parlement, le texte donne à l'Autorité de régulation des télécommunications (TIB) la compétence de bloquer un site dès lors qu'il porte atteinte "à la vie privée" ou est "insultant ou discriminatoire". La première version du texte autorisait la TIB à bloquer un site sans passer par la justice. Le ministre de la Communication, Lütfi Elvan, a annoncé aux groupes parlementaires hier après-midi que l’autorité gouvernementale des télécommunications serait finalement contrainte de solliciter sous 48 heures la confirmation d’un juge pour bloquer un site internet.
Autre disposition alarmante, selon les défenseurs de la liberté d'expression: les fournisseurs d'accès seront obligés de conserver pendant deux ans les historiques de navigation de chaque internaute et de les fournir aux autorités si ces dernières en font la demande.
Largement sollicité pour y mettre son veto, c’est sur propre compte twitter que le chef de l’État a finalement annoncé hier soir son feu vert aux amendements, après avoir obtenu l’assurance du gouvernement du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan qu’il modifierait rapidement certaines des dispositions les plus controversées du texte.
Quelles ont été les réactions ?
Les internautes turcs, au nombre de 34 millions, ont lancé une campagne symbolique dès l’annonce de la promulgation: se désabonner du compte Twitter du président Gül, particulièrement actif sur les réseaux sociaux, sous le hashtag #UnfollowAbdullahGul. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Le président turc a perdu près de 80 000 followers !
Here is the statistics of the president Abdullah Gul's twitter account #UnFollowAbdullahGul pic.twitter.com/r6Z2qVJ0fS
— Batuhan Kurtaran (@batukurtaran) 18 Février 2014
Depuis des semaines, le parti de l’opposition dénonçait cette loi jugée "orwelienne" ou encore "liberticide". Le CHP (parti de l’opposition) a donc immédiatement contre-attaqué comme il l’avait promis en cas de promulgation de la loi, en saisissant la Cour Constitutionnelle.
De nombreuses réactions venues de l'étranger ont également été adressées à Ankara. À Bruxelles, la députée européenne néerlandaise Marietje Schaake a exprimé aujourd’hui son "inquiétude au sujet de la Turquie, l'État de droit et le manque de respect des droits et des libertés depuis des années".
Pourquoi une telle loi ?
Cette loi sur internet est présentée par le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan comme un moyen de protéger la démocratie en empêchant la circulation des rumeurs.
Pour les politologues turcs, au contraire, elle a surtout vocation à contrôler les possibles fuites à l’encontre du gouvernement dans les affaires de corruption qui agitent le pays depuis quelques mois ; comme par exemple ces archives téléphoniques mettant en cause le fils du premier ministre, qui ont filtré dans les journaux turcs ces dernières semaines.
Internet, et plus précisément les réseaux sociaux, ont également joué un rôle dans la résistance organisée lors des mouvements de juin dernier. Les Turcs très actifs sur Facebook et Twitter y partagent sans cesse des informations anti-gouvernementales ou concernant des manifestations. Les réseaux sociaux sont devenus le seul moyen de contrer la censure médiatique en Turquie. Il semble donc que Recep Tayyip Erdoğan, très affaibli politiquement ces derniers mois et à l’approche des élections municipales et présidentielles, redouble d’efforts pour contrer toute attaque contre lui.
La cyber censure, une nouveauté en Turquie ?
La Turquie est considérée comme l’un des pays les plus répressifs en matière de contrôle d’internet et de liberté de la presse. Avec déjà plus de 7 000 sites bloqués et plus d’une centaine de mots-clés bannis des moteurs de recherche, le pays figure, depuis 2010, sur la liste des Etats placés "sous surveillance" par l’organisation française Reporters sans frontières.
Youtube a notamment été bloqué pour la première fois en Turquie en 2007 avant d’être fermé de 2008 à 2010. Les internautes turcs sont donc des habitués du "contournement de la censure" en utilisant d’autres adresses IP.
Le dernier rapport de transparence de Google révèle que la Turquie (tableau ci-dessous) détient le record mondial du nombre de demandes de retrait de contenus, avec plus de 9.610 au cours de la première moitié de 2013.