Le très sérieux New York Times s'interroge dans un article sur le lien entre horaires décalés, sieste et compétitivité en Espagne. Vexés, les Espagnols hurlent au cliché ! Spanish bashing ou susceptibilité nationale ?
Après le french-bashing, place au spanish-bashing… Parce qu'elle aime varier les plaisirs et ses victimes, la presse anglo-saxonne a choisi cette semaine l'Espagne pour exercer son doux art de la critique. Newsweek avait mouché la France (mal lui en a pris), c'est cette fois le grand New York Times qui se frotte à l'exercice et vient chatouiller les Espagnols.
La sieste en Espagne, un cliché ?
Dans son édition papier du 18 février et sur son site internet, le quotidien américain publie Spain, Land of 10 P.M. Dinners, Asks if It’s Time to Reset Clock ("L'Espagne, pays des dîners à 22h, se demande s'il n'est pas temps de remettre les pendules à l'heure"), un article dans lequel le journaliste Jim Yardley décrit les horaires décalés des Espagnols pour mieux leur attribuer la responsabilité du manque de compétitivité de l'économie espagnole.
Alors qu'au même moment dans certains pays, les gens se préparent à aller au lit, la soirée en Espagne commence en général à 22h, avec le dîner et le début de programme de prime-time à la télévision. Les études montrent que près d'un quart de la population espagnole regarde la télévision entre minuit et 1h du matin",
explique Jim Yardley qui, ensuite, règle son compte à… la sieste. Le journaliste prend toutefois bien garde de citer des Espagnols opposés à celle-ci, et de rappeler que l'Espagne elle-même s'est saisie de la question en septembre dernier, comme nous l'expliquions alors sur MyEurop. De plus, prudent, il concède également que la sieste peut tenir du cliché en Espagne.
Pour sortir de la crise, mettre les Espagnols au dodo plus tôt ?
Il n'en fallait pourtant pas plus pour hérisser le poil sensible des Espagnols. Et c'est une presse vexée que Jim Yardley a tiré de sa sieste, furibarde moins contre les éventuelles approximations du journaliste que contre les clichés véhiculés sur l'Espagne. Et contre la leçon adressé à demi-mot aux Espagnols par le quotidien américain: pour sortir de la crise, couchez vous plus tôt et dormez moins!
La Informacion, dans un article partagé près de 10.000 fois sur les réseaux sociaux, s'indigne ainsi du conseil que le journaliste -qui vit à Madrid- donne aux Espagnols: celui de changer de fuseau horaire pour s'aligner sur Londres. Au passage, erreur ou mauvaise fois, le site d'info espagnol traduit mal le titre du NYT, lui donnant une forme impérative: "Espagne, pays des dîners à 22h, demande-toi si ce n'est pas l'heure de changer les horaires". La remise en cause de la sieste passe mal, elle aussi:
En plus de nous coucher plus tôt, de changer de fuseau horaire, d'avancer le prime-time à la télé, il (le journaliste du NYT, ndlr) propose de réduire les deux heures que les Espagnols dédient à leur déjeuner et à leur sieste. En définitive, si nous voulons être plus compétitifs, fini le spanish way of life".
Avant le NYT, The Telegraph
El Confidencial, lui, dans son papier titré Les habitudes espagnoles dans le New York Times: 'Sieste et dîner à 22h', s'en prend au choix de reportage du journaliste américain. Celui-ci, pour illustrer cette Espagne qui se couche (trop) tard, décrit une bande de jeunes hommes, seau rempli de canettes de bière à la main, qui s'installent à 22h devant leur écran pour visionner un match de foot.
El Confidencial publie la photo qui accompagne l'article du NYT: on y voit un homme, affalé dans un canapé, qui roupille à une heure que l'on imagine habituellement travaillée. Le site d'info rappelle enfin que la presse anglo-saxonne n'en est pas à sa première banderille plantée dans le dos des Espagnols: le journal britannique le Telegraph s'était déjà épanché sur son incompréhension devant le Spanich way of life, jugé préjudiciable pour la compétitivité, a fortiori en période de crise, dans un article de septembre 2013.
Faisons plutôt comme les Espagnols !
Preuve qu'il touche une corde sensible, l'article du NYT n'a pas non plus échappé au Periodico, à la Vanguardia ou encore à ABC, ni aux twittos espagnols.
La réponse la plus détonante au NYT est finalement venue d'une autre journaliste américaine, L.V. Anderson, du site d'info Slate.com, dans son article Spain Shouldn’t Change Its Mealtimes. We Should Change Ours:
Les habitudes de repas des Espagnols sont divines: 8h, une patisserie sucrée avec café ou chocolat chaud; 11h, une patisserie salée; 14h, un repas à deux ou trois plats, vin en option; 18h, petit sandwich ou tapas; 22h, dîner léger, vin en option. Autrement dit, si vous aimez mangez, l'Espagne est faite pour vous, car vous y êtes incité à mangez aussi souvent que possible".
Et d'ajouter: "Franchement, tout le monde sait que c'est impossible de rester concentré 8 heures de suite, comme on l'attend de nous et de nos horaires (américains, ndlr) 9h-17h". Conclusion? "L'Espagne ne devrait pas changer sa routine. C'est nous qui devrions changer la nôtre".
Une réponse hédoniste à l'épineux débat du Spanish way of life, plus enthousiasmante que l'invocation de triviaux impératifs de compétitivité.