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En Allemagne, les universités sacrifiées au nom de l’excellence

lundi, 3 mars, 2014 - 11:41

A Leipzig, les étudiants protestent. Leur faculté est au régime sec: 1000 postes doivent être supprimés d'ici à 2020. Cette ville de l'Est n'est pas un cas isolé. La stratégie allemande pour favoriser des "facs d'excellence" laisse de nombreux établissements sur le carreau.

Défilés en vélo, manifestations, conférences de presse, les étudiants de la ville de Leipzig tentent depuis la fin du mois de janvier d’attirer l’attention sur le sort de leur université.

Il est impossible que dans un pays aussi riche que l’Allemagne, des économies soient faites sur le compte de l’enseignement",

remarquait lors de l’une de ces manifestations, Julia Geyer, étudiante en interprétariat.
 

1042 postes permanents à supprimer

L’université de Leipzig est en effet frappée de plein fouet par de nouvelles mesures de rigueur prises en début d’année par le gouvernement de l’Etat-région de Saxe. 52 millions d’euros devront être économisés chaque année sur le budget destiné à l’enseignement supérieur, ce qui signifie, en pratique, la suppression de 1042 postes permanents d’ici à 2020 et la fermeture, dans un premier temps, des instituts d’études théâtrales et d’archéologie classique.

L’an dernier, 48 postes d’enseignants ont été supprimés, et il faudra faire de même cette année avec 24 autres postes. Si l’université de Leipzig est la plus durement touchée de Saxe, celle de Chemniz doit aussi supprimer 14 postes et celle de Freiberg 19. En revanche, l’université technique de Dresden, réputée au niveau international, reste épargnée jusqu’en 2017.
 

La "règle d'or budgétaire" frappe l'Est

Ces mesures de rigueur concernent en priorité les universités techniques (Fachhorschule) de l’ensemble du pays. Elles ont été prises sur la base de rapports prévoyant la baisse du nombre d’étudiants lié au vieillissement de la population allemande. Mais elles découlent aussi de l’application de la "règle d’or budgétaire" imposée en 2009 par le parlement fédéral et qui interdit aux Etats-régions de contracter de nouvelles dettes à partir de 2020.

Les conséquences sont particulièrement lourdes dans les cinq régions de l’Est de l’Allemagne qui, à partir de 2019, ne recevront plus l’aide liée à la taxe sur la réunification. Levée depuis 1991 auprès des ménages et entreprises allemands, cette taxe, appelée Soli, a jusqu’à présent en partie été dirigée vers ces Etats-régions afin de les mettre à niveau avec ceux de l’Ouest. Conséquence, la Thuringe a déjà annoncé la suppression de 300 postes dans ses universités tandis que la région de Brandenbourg a déjà fusionné certaines universités par mesure d’économie.
 

"Nous avons mangé notre pain blanc"

Beate Schücking, rectrice de l’université de Leipzig, applique à contrecœur ces mesures de rigueur mais tente d’en expliquer la logique.

Nous avons mangé notre pain blanc et devons désormais perdre du poids",

explique-t-elle dans une interview à l’hebdomadaire Die Zeit.

Nous essayons d’accroître nos forces en abandonnant uniquement les matières qui ne forment pas la substance même de notre université. Nous ne voulons absolument pas faire des coupes un petit peu partout",

explique-t-elle tout en craignant que le pire ne soit à venir. "Il nous faudra certainement fermer, non plus des instituts, mais des facultés entières à partir de 2017".
 

"Nous retenons les jeunes et les migrants"

Rare femme à diriger une université allemande, cette professeur de médecine s’étonne de telles mesures de rigueur alors que les effectifs augmentent. Si en 1993, son université comptait 2500 collaborateurs pour 20.000 étudiants, elle en compte aujourd’hui 2000 pour 28.000 étudiants. "Depuis les années 1980 on nous annonce la baisse du nombre d’étudiants. Mais je ne vois rien de tel. En 2015, une nouvelle évaluation sera publiée sur ce point en Saxe et nous serons encore une fois surpris par les effectifs. J’espère qu’alors les mesures d’économies seront réétudiées". 

Beate Schücking craint aussi les retombées économiques et sociales de ces mesures de rigueur.

Que seraient des villes comme Leipzig ou Halle sans université? Dans l’Est, où il n’y a pas de grosses entreprises, nous sommes les principaux employeurs. Nous retenons les jeunes et les migrants. Grâce à nous les villes de Jena, Leipzig et Dresde se développent. L’argent que l’on injecte dans l’enseignement supérieur compte double ou triple en terme de croissance économique".
 

Sacrifiés sur l'autel de l'attractivité

Drastiques dans l’Est, ces mesures de rigueur sont la conséquence d'un choix politique de l'Allemagne. A savoir concentrer les moyens disponibles sur quelques rares universités, afin de créer des filières d'excellence, susceptibles de se hisser aux premières places des classements internationaux.

Les difficultés auxquelles sont confrontées les universités techniques, et plus largement de nombreuses facultés à l'Est, sont donc en partie la conséquence de cette stratégie de recherche de compétitivité et d’attractivité à l’international des universités allemandes. Les enseignants y sont ainsi de plus en plus souvent payés en fonction de leurs performances. 

Actuellement, l’Allemagne compte cinq universités parmi les vingt premières mondiales, ce qui ne l’empêche toutefois pas de perdre ses meilleurs éléments. Selon une étude publiée en février, entre 1996 et 2011, le pays a perdu 4000 de ses scientifiques, partis travailler aux Etats-Unis ou en Suisse, et de niveau supérieur à ceux qu’elle a pu attirer.

Désormais, Beate Schücking en appelle directement à la chancelière Angela Merkel afin qu’elle inverse la politique universitaire du pays…. Une chancelière elle-même diplômée du département de physique de l’université de Leipzig.




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