Des quotas de femmes dans les entreprises allemandes? Le projet présenté hier par le gouvernement divise. Ailleurs en Europe, on légifère pas à pas, mais les femmes sont encore sous-représentées dans les conseils d'administration des grandes entreprises.
Un paradoxe allemand de plus. Alors qu'une femme a été réélue pour diriger le pays, le marché du travail est encore marqué par les inégalités entre les sexes. Hier, le gouvernement d'Angela Merkel a présenté un projet de loi instaurant des quotas de femmes dans les conseils des grandes sociétés. Mais il suscite des résistances.
La bataille allemande des quotas
Le pourcentage imposé semble pourtant relativement modeste: l'objectif est de 30% de femmes d'ici à 2016. Il concerne les conseils des 108 entreprises allemandes cotées en bourse. En cas de non-respect de ces quotas, les sièges non pourvus par des femmes, comme dû, devront rester vacants.
Pour les entreprises non cotées, ce projet de loi propose la mise en place d'objectifs flexibles, fixés de manière individuelle. Mais ceux-ci devront s'appliquer non seulement aux conseils des entreprises, mais aussi aux directoires et à l'encadrement. Ce point concerne 3500 sociétés.
Le projet devrait être voté en début d'année prochaine. Il est le fruit d'un compromis: les conservateurs du parti d'Angela Merkel étaient initialement opposés à un seuil fixé par la loi. De son côté, le SPD aurait souhaité un projet plus ambitieux. Les deux forces politiques ont trouvé un accord dès novembre 2013, lors des négociations pour la formation du gouvernement. Ce sont les grandes lignes du projet qui ont été présentées hier.
"Le genre n'est pas un substitut à la compétence"
Ce n'est pas la première fois que l'Allemagne tente de légiférer sur la question: en 2001, puis en 2011, des objectifs de quotas, sur la base du volontariat, avaient été instaurés, mais sans effet réel à ce jour. Mais cette fois-ci encore, la question divise. Le président de la Chambre de Commerce et d'Industrie a ainsi jugé que ce taux de 30% était trop intrusif.
Le genre n'est pas un substitut à la compétence",
a pour sa part avancé le président du Conseil économique de la CDU, Kurt Lauk, dans les colonnes du Spiegel. Quant aux syndicats, toujours selon le même quotidien allemand, beaucoup craindraient que certains secteurs industriels ne comptent pas assez de femmes pour respecter ces quotas…
Pourtant, au vu des derniers chiffres transmis par la Commission européenne, le laisser-faire ne favorise pas la parité. Sur trente entreprises allemandes cotées en bourse passées au crible, seulement 3% sont présidées par des femmes. Et seulement 21% des fauteuils des conseils d'administration ou des comités de surveillance sont occupés par des femmes.
Objectif: 40% en Europe?
Au niveau européen également, une nouvelle légilsation est en cours. Fin 2013, le parlement européen a voté une proposition de directive qui fixe à 40% la proportion de femmes dans les conseils des entreprises européennes côtées en bourse, d’ici à 2020. Mais pour que cette directive soit définitivement adoptée, elle doit encore être adoptée par les États membres.
Cette idée de quotas, laborieusement traduite sur le plan législatif, remporte pourtant l'adhésion des européens, selon un récent sondage CSA. L'objectif de 40% de femmes dans les instances dirigeantes des entreprises est approuvé par 63% des personnes interrogées.
Femmes dirigeantes, oiseaux rares
L'Union européenne a beau tenter de légiférer depuis près de 30 ans, les résultats tardent à venir. En 1984, déjà, le Conseil adoptait une recommandation relative à la promotion des actions positives en faveur des femmes. Une deuxième faisait suite, en 1996. Elle concernait la participation équilibrée des femmes et des hommes aux processus de décision.
Pour autant, dans l'UE des 28, les femmes président seulement 6% des conseils d'administration ou des comités de surveillance des grandes sociétés côtées en bourse. Et seuls 18% des membres de ces mêmes conseils sont des femmes.
La France est un peu plus égalitaire que la moyenne, avec 9% de présidentes et 30% de femmes membres. Comme au niveau communautaire, cela fait plus de trente ans que les législateurs se sont penchés sur la question, depuis l'adoption, en 1983, de la loi Roudy, défendant l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.
Mais il faudra attendre 2011, et la loi Copé-Zimermann sur la parité dans les conseils d’administration et conseils de surveillance, pour que des quotas soient introduits. Dès 2014, une obligation de 20% de femmes est imposée, qui passera à 40% à partir de 2017. Ces quotas s'appliquent dès lors que les entreprises comptent au moins 500 employés, et ont des recettes supérieures à 50 millions d'euros. La cotation en bourse n'est pas retenue comme critère.
L'exception norvégienne
Ailleurs en Europe, de nombreux pays ont également mis en place des dispositifs de quotas, notamment aux Pays-Bas. Avec plus ou moins de succès. La Norvège est pionnière: elle est le premier pays du monde à imposer un quota de 40% de femmes dans les conseils de surveillance des entreprises, dès 2003. Cet objectif est atteint en 2009. Les sanctions sont sévères: le non-respect de ce quota est passible de liquidation judiciaire.
A contrario, au Royaume-Uni, des quotas fixés par la loi sont pour l'heure rejetés. Selon un récent rapport, le nombre de femmes siégeant dans les conseils d'administration des plus grandes entreprises britanniques progresse. Mais on est encore loin du compte: 21% des membres ces conseils sont des femmes, mais les présidentes sont l'exception.