De l'Espagne à la Grèce, l'Europe se lance dans l'aventure des MOOCs, ces cours en ligne ouverts à tous. Ou comment suivre les cours de Polytechnique ou de Cambridge depuis votre canap.
Importés des Etats-Unis, les MOOCs se généralisent en Europe. Certains pays traînent la patte, d'autres, comme l'Espagne, se lancent avec ferveur dans l'aventure. MO…? Il s'agit simplement de cours en ligne, auxquels chacun peut s'inscrire. Ils tiennent leur nom de l'anglais Massive Open Online Courses.
L'apprentissage en ligne, c'est vrai, n'a pas attendu le premier MOOC pour exister. Dès 1999, la toile proposait des cours à distance avec des outils tels que e-College ou SmartThinking. C’est Dave Cormier, le premier, qui aurait utilisé l'appellation "MOOC" pour parler d'un cours dispensé par l’Université du Manitoba. C'était il y a trois ans.
450 MOOCs européens
Les particularités des MOOCs? Ouverts à tous, ils sont créés le plus souvent par les universités, dont les professeurs transmettent leurs savoirs en vidéo. Les contraintes sont faibles, mais réelles: contrairement à d'autres formes d'e-learning, l'étudiant ne décide pas du jour du démarrage des cours, mais suit un calendrier préfixé, après inscription souvent gratuite. Le modèle se veut interactif: les étudiants peuvent poser leurs questions via Twitter, des devoirs et exercices peuvent être prévus. Attention: in fine, pas de diplôme, même s'il est possible d'obtenir une certification de connaissances.
En Europe, plus de 160 universités mais aussi une soixantaine d'entreprises, associations ou institutions ont produit et mis en ligne 450 MOOCs. L'Union européenne a également mis quelques billes: une initiative paneuropéenne réunissant les acteurs de 11 pays a été lancée en avril dernier, soutenue par la Commission.
Sans parler de révolution, les MOOCs risquent bien de faire évoluer de manière durable le paysage de l’enseignement supérieur et plus largement de l'apprentissage. Focus sur six pays européens dans la course: l'Espagne, la France, Le Portugal, la Belgique, les Pays-Bas et la Grèce.
France: l'ENS depuis votre canap'
En France, à l'automne 2013, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Geneviève Fioraso, a lancé la plateforme FUN (pour France Université Numérique, on apprécie le jeu de mot). L'initiative a pour ambition de développer la numérisation de l'offre de cours de l'enseignement supérieur. Elle comprend un volet MOOC, qualifié de "fort succès" par le ministère.
Non sans raison: courant mars, on comptait, selon la ministre, plus de "200.000 personnes, étudiants, lycéens, salariés, retraités inscrites pour suivre l’un des 25 MOOCs proposés sur France Université Numérique". Près d'une trentaine de MOOCs supplémentaires sont attendus d’ici l’été 2014, portant au total à 55 le nombre de MOOCs proposés par les universités, écoles et établissements d’enseignement supérieur français.
Parmi eux, plusieurs noms prestigieux: l'ENS, Centrale, Polytechnique, HEC, Mines Télécom, ou encore Bordeaux III, Paris X Nanterre et Paris II Assas ont mis à disposition certains de leurs cours, gratuitement. Au-delà des universités, d'autres structures partagent leurs connaissances et expertises en ligne. C'est le cas du site d'information Rue89, qui vient d'ouvrir les inscriptions pour un Mooc sur le journalisme numérique (les 4 première semaines sont gratuites, la dernière coûte 25 euros par étudiant).
Espagne, n°1 en Europe
L'Espagne s'est placée, en très peu de temps et de manière surprenante, parmi les pays leaders pour la création de cours en ligne (…) et le premier en Europe."
C'est le constat d'un récent rapport mené par l'Université Pompeu Fabra de Barcelone. L'Espagne se situe donc, avec 168 MOOCs en accès libre, bien devant le Royaume-Uni, l'Allemagne, ou la France.
La formule séduit largement: 35% de l'ensemble des universités espagnoles proposent au moins un MOOC. Elles ont tendance à développer des collaborations croisées.
Par contre, les grandes plateformes de MOOCs anglosaxones (Coursera, EdX) ont une faible présence en Espagne: cela semble logique, au vu de la diversité de l'offre nationale.
Portugal: les MOOCs, un petit tour et puis…
Le Portugal a accepté en 2013 d’adhérer au projet européen de développement des MOOCs avec dix autres partenaires. L’Universidade Aberta (UAB), spécialisée dans l’enseignement à distance à Lisbonne, est la seule université au Portugal à s'être lancée dans l'aventure. Elle a créé un cours sur les changements climatiques de 100 heures.
Une offre limitée, mais l’UAB a décidé de créer son propre modèle d’apprentissage, pionnier au Portugal, qui respecte les quatre piliers du modèle pédagogique virtuel:
- un apprentissage centré sur l’étudiant,
- la flexibilité,
- l’inclusion digitale,
- l’interaction.
L’université espère développer ce projet au fur et à mesure. Le panorama global national est par ailleurs très limité, même si des plateformes conjointes avec le Brésil ont été créées.
Les Portugais utilisent aussi les plateformes ibéro-américaines, ainsi que celles offertes par les États-Unis comme Veduca (formés par les universités de Harvard, Princeton, Mit, Stanford) dont les cours sont sous-titrés en portugais. Le Portugal est d’ailleurs en troisième position derrière les USA et le Brésil en ce qui concerne le trafic sur cette plateforme.
C’est peut être là que l’on trouve l’explication au faible développement des MOOCs au Portugal: ils existent déjà ailleurs et les Portugais savent les trouver.
Des participants néerlandais très actifs
Aux Pays-Bas, plusieurs universités ont publié des MOOCs, essentiellement sur des plateformes américaines. l'Université d'Amsterdam a diffusé un cours sur la "Science de la Communication" dès février 2013, tandis que l'université de Leide propose un tour d'horizon des théories sur "Terrorisme et anti-terrorisme" sur la plateforme Coursera.
Des initiatives privées, comme MOOC Factory, commencent à voir le jour. Elles proposent aux instituts de formation comme aux entreprises, la conception et la mise en oeuvre de MOOCs avec des fonctionnalités avancées telles la gamification (application des principes du jeu à la formation), le customized branding (personnalisation selon la marque du promoteur) ou le social learning (intéractions entre les apprenants via les réseaux sociaux).
Les participants néerlandais des plateformes américaines sont en général très actifs. Ils constituent souvent des groupes néerlandophones en ligne ainsi que des meet-ups, ces réunions in real life des fanatiques de l'apprentissage en ligne. Elles rassemblent des profils hétéroclites: étudiants en psychologie, en ingénierie informatique ou encore en droits constitutionnels du monde musulman…
En Belgique, des "FLOTs" (formation en ligne ouverte à tous)
En Belgique, les MOOCs ont mis du temps pour décoller. Mais l'Université Catholique de Louvain vient d'en lancer quatre, deux francophones et deux anglophones, sur la plateforme edEx.
Louvain-La-Neuve participe également au portail Océan qui regroupe plusieurs institutions francophones: l’Université de Montréal et ses deux écoles affiliées (HEC Montréal et Polytechnique Montréal), mais aussi l’École normale supérieure, l’École normale supérieure de Lyon, l’École Polytechnique et l’École Polytechnique fédérale de Lausanne.
Ce portail Océan propose non pas des MOOCs, mais des FLOTS (formation en ligne ouverte à tous), appellation poétique, mais qui ne facilitera pas la vie des apprenants. En effet, l'Organisation Internationale de la Francophonie a de son côté retenu le terme CLOM (Cours en ligne ouvert et massif), notamment à travers le CLOM REL 2014 dédié aux ressources éducatives libres.
La Grèce ratrappe son retard
La Grèce a pris le train des MOOCs tardivement, début 2014 seulement. Mais elle rattrape très vite son retard. Les Grecs ont accueilli avec grand enthousiasme (et une très bonne presse) les enseignements gratuits en ligne. Leur arrivée a été perçue comme une évolution porteuse d'espoir pour l’enseignement moderne.
Le pays a pris exemple sur le modèle britannique (Open University) ou américain, dont la première plateforme sans but lucratif est Udacity, mise en place par trois professeurs de Sandford. Depuis 2012, c’est Coursera, qui met en collaboration des universités américaines de Sandford, Princeton, Brown et Columbia, qui a pris la tête. Elle compte 4 millions d’usagers américains en 2013.
En Grèce, deux universités seulement se sont lancées dans les MOOCs:
- L'Open Greek University a proposé une initiative sans but lucratif. Elle était déjà à l’avant-garde pédagogique, avec ses cours du soir destinés aux étudiants travailleurs et ses cours adaptés aux immigrés.
La plateforme HOME (Higher education Online) a été mise en place en collaboration avec 22 autres institutions (dont l'UNESCO et le programme "Open Educational Resources") et le soutien de réseau européen EADTU OpenupEd, financé par la Commission européenne.
Quarante matières sont disponibles en treize langues (dont l’arabe). Les membres de cette initiative sont établis en France, Italie, Litanie, Pays-Bas, Portugal, Slovaquie, Espagne, Royaume-Uni, Russie, Turquie, et en Israël.
La commissaire européenne pour la culture, le multilinguisme et la jeunesse, la Chypriote Androulla Vassiliou, a salué cette initiative. Chaque partenaire propose des enseignements dans sa propre langue. Les domaines abordés sont variés: mathématiques, économie, compétences informatiques, commerce électronique, changement climatique, héritage culturel, responsabilité sociale, Proche-Orient contemporain, langues vivantes, écriture créative… Les cours (entre 20 et 200 heures d’enseignement) se font au rythme de chaque étudiant. A la fin, les étudiants payent pour un certificat de suivi, s'ils le jugent nécessaire, entre 25 et 400€, suivant la durée du cours suivi.
- Le centre e-learning du l’Université de Pirée propose, de son côté, un cursus entre 200€ et 400€ pour une année, (avec des réductions pour les chômeurs) et la délivrance, non pas d’un diplôme, mais d’un certificat d’assiduité. L'initiative est sponsorisée par Microsoft.
Suivre ou ne pas suivre un MOOC
Le modèle des MOOCs, qui s'implante rapidement en Europe, pose plusieurs questions. D'abord, au niveau de son coût. Ces cours en ligne sont en théorie gratuits, mais chers à produire…Un investissement de plus, donc, pour les acteurs, souvent publics, qui les mettent en oeuvre.
Par ailleurs, les créateurs d’Udacity, première plateforme américaine sans but lucratif, avaient rêvé d’un enseignement gratuit ouvert à tous, répondant ainsi à la grande demande de nombreux citoyens des Etats-Unis. Mais plusieurs initiatives, notamment outre-Atlantique, se détournent de ce modèle, instaurant des tarifs qui restent inférieurs à des cursus classiques américains, mais cependant élevés.
Ainsi, en Grèce, beaucoup de jeunes se sont rués sur la plateforme américaine Coursera, imaginant une ouverture facilitée sur les USA. Après des mois d'études, ils se sont retrouvés à devoir payer une somme hors de leur portée pour obtenir la simple reconnaissance de leur travail, attestation d'assiduité à l'appui.
De nombreuses voix se sont élevées, comme ici, pour condamner une dérive vers la privatisation de l'enseignement, via la mise en ligne sur des plateformes privées.
Autre limite des MOOCs: le nombre important d'élèves "décrocheurs", qui serait de l'ordre de 90%. Peu d'élèves inscrits arrivent finalement au final d'un cursus. En cause, sans doute, la dématérialisation et le caractère individuel de la démarche. Trouver la motivation seul devant son écran, sans la carotte du diplôme, n'est pas toujours évident.