Elections présidentielles dimanche en République de Macédoine. Le parti au pouvoir, dont le principal bilan est la création d'un sentiment national, devrait sans surprise être reconduit. Portrait d'une jeune nation qui se cherche.
A Skopje, on ne voit plus qu'eux: Alexandre le Grand, roi de Macédoine et l’un des plus grands conquérants de l’histoire, ainsi que son père, Philippe II. Des statues de
23 et 29 mètres de haut. Le premier tend son épée vers le ciel, le second son poing, chacun sur sa rive du fleuve Vardar, dont les quais sont désormais bordés d'imposants bâtiments néo-classiques.
Faire vivre l'esprit national
Ces nouveaux paysages urbains ont été créés dans le cadre du projet Skopje 2014, mené à grand renfort de musées, statues géantes, arc de triomphe et autres ponts décoratifs. Sont convoqués tous les personnages qui ont pris part à la construction du pays, sans se restreindre aux frontières actuelles.
L'objectif visé par le maître d'ouvrage, le parti VMRO-DPMNE ("Organisation révolutionnaire macédonienne intérieure – Parti démocratique pour l'Unité nationale macédonienne", centre-droit), est à la hauteur de cette emphase architecturale: engendrer une identité nationale à la Macédoine, cette jeune République née sans l'ombre d'une guerre des cendres de l'ex-Yougoslavie en 1991, grande comme quatre départements français et peuplée de 2 millions d'habitants.
Avec Skopje 2014, la Macédoine a réussi à faire parler d'elle au niveau international. Mais le buzz n'a pas plus au voisin grec, qui a vu dans le projet une provocation supplémentaire, alors que les deux pays sont engagés dans un long conflit diplomatique : depuis 1991, Athènes refuse de reconnaître ce pays qui porte le même nom que la région considérée comme le berceau de l'hellénisme. Elle a mis son veto à l'adhésion de la République de Macédoine à l'Union européenne, alors qu'une demande a été déposée en 2005, ainsi qu'à l'Otan.
Les Macédoniens sont aujourd'hui divisés. Il y a ceux qui affichent leur refus d'adhérer à l'UE tant que la Grèce n'a pas fait d'effort, et ceux qui sont satisfaits de pouvoir aller facilement en Europe depuis que les visas ont été supprimés, en 2010",
commente Goran Janev, anthropologue à l'Université Saints-Cyrille-et-Méthode.
Extrait de Skopje 2014: le Musée archéologique, le Ministère des Affaires étrangères et le Théâtre national macédonien ont été reconstruits à l'identique entre 2007 et 2013.
Emprise politique du parti au pouvoir
Nombreux sont aussi ceux qui décrient Skopje 2014 pour son coût: plusieurs centaines de millions d'euros, dans un pays qui compte 30% de chômeurs et où le salaire minimum équivaut à 130 euros.
Le parti au pouvoir (VMRO-DPMNE) a profité de la situation pour asseoir son autorité dans le pays.
Quand ils sont arrivés au pouvoir, en 2006, j'étais persuadé qu'ils ne voulaient pas être membres de l'UE, au moins pendant un certain temps. Ils avaient un autre projet: redistribuer le pouvoir et les richesses.
Ils ne voient pas que les investisseurs ne viendront pas si la Macédoine ne devient pas membre de l'Otan et de l'UE. Or aujourd'hui, ils ont besoin d'emprunter entre 120 et 150 millions d'euros par mois pour faire tourner le pays, et ce chiffre ne cesse d'augmenter",
analyse Sašo Ordanoski, ancien journaliste devenu consultant médias et affaires publiques.
Depuis plusieurs années, le climat politique et médiatique se dégrade. "Même les chauffeurs de taxi sont devenus méfiants quand ils abordent des sujets politiques", témoigne cet expatrié américain qui vit depuis plusieurs années à Skopje:
On sent une pression de gouvernement pour que tout le monde reste dans les rangs".
Des journalistes ont été arrêtés et emprisonnés, la télévision est sous contrôle de l’État, et le pays est passé de la 94e à la 116e place dans le classement sur la liberté de la presse fait par Reporters sans frontières.
Skopje 2014, © Dennis Jarvis, Flickr
Élections à sens unique
Dans ce contexte, les élections présidentielles de dimanche apparaissent sans véritable enjeu et reconduiront vraisemblablement le candidat VMRO-DPMNE Gjorgji Ivanov pour un second mandat.
Comme le nombre de fonctionnaires est passé de 96 000 à 200 000, ce qui fait que l’État est devenu le plus gros employeur du pays, et que les embauches sont soigneusement organisées, il est facile de remporter ces élections sur la base de ces 400 000 votes garantis",
considère le consultant Sašo Ordanoski.
La minorité albanaise, qui représente un quart de la population mais est laissée à l'écart de la vie du pays, devrait bouder les urnes. Une démonstration symptomatique, aux yeux de Teuta Arifi, ancienne chargée des affaires européennes au niveau national et aujourd'hui maire de la ville albanaise de Tetovo, des enjeux identitaires et politiques auxquels est confrontée la jeune République de Macédoine aujourd'hui:
80% des Albanais de Macédoine seraient prêts à changer le nom du pays, contre 40% des Macédoniens. Nous sommes divisés sur la question, de même que notre religion et notre langue nous séparent. Pourtant, les enjeux liés à l'Union européennes et à l'Otan pourraient nous rassembler.
Mais ce pays est toujours marqué par le multi-ethnisme. La Macédoine est restée un pays complexe".