Septième épisode de notre tour d'Europe de la BD: la guerre gréco-turque, vécue par Manolis, un petit enfant de 7 ans forcé à l'exil.
C'est quoi ?
Manolis est une bande dessinée sur l'exil d'un petit grec de 7 ans lors du conflit qui oppose, au lendemain de la première guerre mondiale, la Grèce et la Turquie. Paru en 2013 aux Éditions Cambourakis, cet ouvrage de 192 pages, en noir et blanc, est l'adaptation du roman Manolis de Vourla, de l'écrivain Allain Glykos (2005).
C'est qui ?
Allain Glykos, un romancier français, auteur d'une vingtaine de livres, et enseignant à Bordeaux ;
& Antonin Dubuisson, un jeune (28 ans) dessinateur français, qui signe là son premier grand projet BD. Auparavant, il s'est illustré dans le fanzine bordelais Zymase, dont il est l'un des animateurs, et a sévi plusieurs fois aux Editions Croc en jambe.
Manolis, d'Allain Glykos et Antonin (Ed. Cambourakis)
Où ça en Europe ?
En Asie mineure, au lendemain de la première guerre mondiale. Le récit s'ouvre à Smyrne (aujourd'hui Izmir, à l'ouest de la Turquie). Cette région hellénophone de l'Empire ottoman, tout juste défait par les alliés et démantelé à partir de 1919, est attribuée au Royaume de Grèce, avec l'accord des grandes puissances. Le turc Mustafa Kémal ne l'accepte pas, se désolidarise de l'armée turque et part à la reconquête du territoire. C'est le début de "la Grande Catastrophe", événement traumatique et fondateur de la nation Grèce moderne. Kémal se joue des troupes grecques et marche sur Smyrne en 1922. La ville est incendiée. L'immense exode peut commencer: 1,5 million de Grecs doivent fuir.
Manolis est l'un d'eux. Le garçonnet abandonne Vourla, sa ville qui sent la fleur d'oranger, le basilic et l'origan ; et son âne Aristote. Il abandonne aussi ses parents, ses frères et sœur, pour fuir avec sa grand-mère, chez qui il séjourne au moment où les Turcs déferlent sur la région. Sous la bonne garde des baïonnettes turques, le petit réfugié Manolis est trimballé jusqu'à Cesme, sur la côte, débarqué sur l'île de Samos, puis à Nauplie. "On dirait que personne ne veut de nous" s'écrit-il, toujours plus loin de chez lui.
Manolis, d'Allain Glykos et Antonin (Ed. Cambourakis)
Ce qu'on a aimé
Manolis, récit détaillé et précis du voyage d'un garçonnet charrié par la guerre, incarne avec justesse un épisode sombre de l'histoire de la Grèce. Le destin chaotique de cette famille chassée d'Asie mineure, éparpillée aux quatre coins de la mer Égée, permet d'illustrer les drames personnels et familiaux provoqués par la "Grande Catastrophe". Et de comprendre un épisode historique fort de l'après-première guerre mondiale: l'échange de populations, à l'issu du conflit gréco-turque, entre la Grèce et la Turquie. Ou l'invraisemblable chassé-croisé de 1,5 million de Grecs de Turquie et de 385 000 musulmans de Grèce, forcés de changer de terre parce que les cartes du grand jeu géopolitique ont changé de main.
Toujours des guerres éclatent,
Reviendront les beaux jours.
Chaque fois ce fut batailles,
Puis calme,
Puis silence, puis rien,
Comme toujours.
Ceux que l'histoire aveugle,
Effacent,
Ceux qui n'ont qu'une histoire,
Ecrivent." (page 76)
Manolis, d'Allain Glykos et Antonin (Ed. Cambourakis)
Manolis, d'Allain Glykos et Antonin, Editions Cambourakis (2013), 192 pages, 20€