Le ministre de la défense a annoncé un plan de lutte contre les violences faites aux femmes dans l'armée. Première mesure: l'inscription du harcèlement dans le code de la défense. Ailleurs en Europe, les femmes conquièrent péniblement leur place dans les armées, face à des hommes parfois très crispés par la question.
Chronique sur RFI : Les femmes soldates
L'armée française va-t-elle enfin livrer bataille aux violences faites aux femmes dans ses rangs ? C'est le souhait exprimé par le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian, qui a présenté cette semaine un plan d'action en ce sens.
Toujours largement minoritaire, la place des femmes dans la défense ne cesse d'augmenter. L'armée française est l'une des plus féminisées du monde: ses 60.000 femmes représentent 15% de l'effectif total. Bien plus qu'en Grande Bretagne ou en Allemagne, qui plafonnent à 10%. Dans l'armée de l'air française, elles sont même plus de 20%, et près de 60% dans les services de santé. En revanche, les postes de commandement leur échappent toujours: en 2013 seuls 3,5% des généraux sont des femmes… Mais la proportion devrait doubler d'ici 2019.
Reste que la présence grandissante des femmes va de pair avec des discriminations persistantes, du harcèlement verbal jusqu'aux violences physiques. Un livre paru en février jetait un pavé dans la marre: dans La Guerre invisible, les journalistes Leila Minano et Julia Pascual révèlent l'ampleur des agressions dont sont victimes les femmes au sein de l'armée française. De quoi presser un peu le ministère de la défense, qui a confié en mars à deux hauts responsables la rédaction d'un rapport d'enquête sur le sujet, rendu cette semaine au ministre.
Sur la base de ce rapport, Jean-Yves Le Drian a annoncé une dizaine de mesures, dont trois importantes.
Tout d'abord, la question du harcèlement sera explicitement mentionnée et condamné dans le code de la défense.
JYLD #MinDef "J’ai demandé que le harcèlement soit désormais inscrit en toutes lettres dans le code de la défense, et proscrit." #Femmearmee
— Defense.gouv (@Defense_gouv) 15 Avril 2014
Le ministre a en outre annoncé la mise en place d'une cellule d'accompagnement, qui accueillera et traitera les signalements. Enfin, il s'est engagé à ce que l'institution produise des statistiques sur ce sujet: le livre La Guerre invisible pointe en effet l'absence totale de données sur les violences faites aux femmes dans l'armée, un désert statistique qui serait propre à la France.
Autre annonce, cette fois sur le terrain de la discrimination face à l'accès aux postes: celle de l'admission des femmes au sein des équipages des sous-marins. Ces derniers étaient le dernier bastion exclusivement masculin de l'armée française. D'ici trois ans, trois femmes dont un médecin pourront embarquer sur les sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE), les seuls suffisamment vastes pour permettre l'aménagement d'espaces (dortoirs) pour les femmes.
La France s'attaque donc aux violences et aux discriminations. Il était temps. Ailleurs en Europe, les armées s'y mettent, chacune à leur rythme.
Allemagne: 57% des soldats contre l'arrivée des femmes dans l'armée
Ce n’est que depuis 2001 que les Allemandes ont accès à l’ensemble des carrières militaires. Selon le ministère de la défense allemand, la Bundeswehr comptait, en 2013, 18 000 soldates, soit 10% des effectifs totaux de la Bundeswehr et vise à terme la barre des 15%. La nouvelle ministre de la défense, Ursula von der Leyen, elle-même première femme à occuper ce poste, a récemment rappelé cet objectif et veut faire de l’armée allemande un corps de métier attractif notamment en permettant d’associer vie familiale et professionnelle.
Même si les femmes occupent encore massivement des positions liées au secteur de la santé (50% des militaires de ce secteur sont des femmes), elles sont de plus en plus nombreuses dans l’armée de terre, l’armée de l’air, la marine et présentes sur les terrains d’intervention comme l’Afghanistan.
Toujours selon le ministère, la Bundeswehr comptait, en 2012, 2 800 femmes officiers. Toutefois, leur présence de plus en plus importante ne se fait pas sans accrocs et le sexisme a plutôt tendance à s'accentuer. Selon une enquête publiée en janvier par le centre d’études sociales de la Bundeswehr, 57% des soldats estiment que les femmes "détériorent le travail de l’armée" (ils étaient 52 % à le penser en 2005). 62% pensent même que les femmes "sont privilégiées dans leur carrière par rapport aux hommes". Quant à ces dernières, 55% d’entre elles disent avoir été victimes, au moins une fois, de harcèlement sexuel et se plaignent plus ouvertement. En 2013, 64 plaintes ont été formellement déposées, soit une hausse de 20% par rapport à 2012.
Royaume-Uni: les femmes interdites de se battre
Le nombre de femmes dans les forces armées britanniques progresse d’année en année. En 1980, 4,8% des officiers de l’ensemble des forces armées étaient des femmes contre 12,6% (soit 3 630 femmes) en 2013. L’armée de l'air est la plus grande pourvoyeuse de femmes officiers, avec 16,4%, loin devant l’armée de terre (11,9%) et la marine (9,9%). A noter que le pourcentage de femmes dans les forces armées (9,8% soit 16 450 femmes) est inférieur au nombre d’officiers femmes.
Elles ne sont néanmoins pas autorisées à combattre au front, ou plus précisément, comme l’indique le règlement militaire, de "s’approcher de l’ennemi et de le tuer en face à face". Seuls 67% des emplois dans l’armée de terre leur sont ouvert, contre 71% dans la marine et 96% dans l’armée de l’air. Elles bénéficient en revanche de 52 semaines de congés maternité, dont 39 payées et ne peuvent être redéployées dans les 6 mois suivant leur accouchement.
Un cas de viol dans l’armée a fait la une des journaux ces dernières années après le suicide en 2011 de la victime. La caporale Anne-Marie Ellement s’était déclarée "pas du tout soutenue par l’armée" après avoir appris que l’administration avait décidé de ne pas poursuivre en justice les deux soldats qu’elle accusait. Redéployée dans l’unité où vivait la petite amie de l’un d’eux, elle avait ensuite été victime d’intenses et répétées intimidations.
Les violences faites aux femmes de l'armée britannique sont courantes. En 2005, le ministère de la défense révélait ainsi que 15% des femmes militaires avaient subi un événement traumatisant, allant du commentaire sexuel jusqu'à l'agression.
Espagne: faibles sanctions et grand silence
Difficile de faire l’état des lieux des violences machistes dans l’armée espagnole. Et pour cause, les jugements des tribunaux militaires ne sont pas rendus publics en Espagne et seuls ceux de la division militaire de la Cour Suprême le sont. De plus, impossible de savoir si ces infractions relèvent du harcèlement ou du viol puisque le Code Pénal Militaire espagnol de 1985 (bien qu’un projet de réforme soit en cours) ne spécifie pas les délits.
En 2005, le Ministère de la Défense a créé l’Observatoire Militaire pour l’égalité (dirigé par un homme) qui a permis notamment d’adapter son règlement quant aux entrainements ou aux congés maternité.
Malgré ces efforts, les comportements machistes de certains supérieurs envers les femmes sont critiqués, notamment après la révélation de cas d’attouchements ou viols et mises à pied abusives suite aux absences "injustifiées" d’une femme hospitalisée pour un avortement, ou d’une autre atteinte de cancer. Pour la plupart, ces abus n’ont été que très légèrement sanctionnés et le silence semble régner, pour le moment, au sein des troupes.
Depuis 1988, les femmes peuvent s’enrôler dans l’armée espagnole mais ce n’est que 11 ans plus tard, en 1999, qu’elles ont eu le droit d’accéder à n’importe quel poste, haut-gradé ou dans les unités de combat. Elles constituent 12% des effectifs de l’armée, soit environ 15 000 militaires (chiffre qui stagne depuis 8 ans) même si elles ne représentent que 7% des officiers et 3% des sous-officiers.