Le Portugal célèbre les 40 ans de la révolution du 25 avril 1974. Seul parti organisé en lutte contre la dictature de Salazar, le parti communiste a joué un rôle majeur. La région du bas Alentejo, restée un bastion rouge, vit entre nostalgie, frustration et conviction que les lendemains qui chantent viendront bien un jour. Reportage.
Esteban Oca a 73 ans. Sous la casquette qui ne le quitte pas, il plisse des yeux malicieux, ceux d’un homme qui aime la vie. Cet ancien ouvrier agricole, de Pias, une bourgade du bas Alentejo, dans le sud du Portugal, est communiste depuis son plus jeune âge. Recruté par un ami, il contribuait largement à la propagande du parti communiste avant la révolution du 25 avril 1974, dont le Portugal fête les 40 ans aujourd'hui, et qui allait précipiter le retour à la démocratie.
Les droits issus de la révolution en danger aujourd'hui ?
Le rôle de Esteban était celui d’un coursier: il allait livrer dans les villages environnants les pamphlets politiques imprimés par d’autres, sur du papier de soie. Tout comme aujourd’hui, il se déplaçait à vélo. C’est avec sept autres de ses camarades qu’il est arrêté en 1964, par la PIDE, la police politique du dictateur Salazar. Ils sont transférés à Caixias, la prison politique près de Lisbonne.
Au petit déjeuner, c’était tabassage. Au déjeuner aussi. Et au dîner, une bonne dose. La raison ? A cette époque là, on n’avait pas le droit de se retrouver à plusieurs, et de parler de tout et de rien. Salazar ne voulait pas.
Mais vous savez aujourd’hui, on fait le chemin inverse. Tous les droits acquis suite à nos luttes, et bien on nous les retire, petit à petit. La grande différence, c’est que je peux vous en parler. Ça, c’est une conquête du 25 avril 1974. Mais pour le reste…"
Une vie de labeur plus tard, Esteban, l’ancien ouvrier agricole n’a toujours pas renoncé à vouloir faire triompher ses idées politiques, face à ce qu’il considère comme une menace pour les "valeurs d’Avril": l’austérité, et l’idéologie ultra-libérale du gouvernement conservateur en place au Portugal.
Siège du PCP de Pias. Esteban Oca, 73 ans, enfourche son vélo,
comme au temps de la clandestinité / © M-L. Darcy
Unités collectives de production
On retrouve la même motivation chez Domingos, responsable local du parti, et ami d’Esteban Oca. Domingos, 70 ans, a lui aussi connu les geôles de Salazar.
Dans ma jeunesse je portais une longue barbe. Un jour on revenait de la circonscription, nous étions un groupe de 60 jeunes, et on faisait la tournée des tavernes. On était bien gais. Dans la rue, mes camarades m’ont pris sur leurs épaules, en criant "Viva Fidel, viva" à cause de la barbe! Résultat, on s’est tous fait ramasser, et jeter en prison".
Domingos était tailleur, et non pas ouvrier agricole. Dans sa jeunesse, avant le 25 avril, il a du partir travailler dans une usine textile plus au nord, puis ensuite à Almada, une ville sur la rive sud du Tage à Lisbonne. C’est parce qu’il signe une pétition en faveur d’un professeur emprisonné qu’il se fait remarquer par le Parti Communiste. Un parti qui recrute des cadres. C’est ainsi que Domingos rentre au pays, à Pias, pour y diriger la création des UCP -les Unités Collectives de Production.
Celle de Pias est fameuse: pas moins de 300 ouvriers agricoles y travaillent pour leur compte sur les terres des latifundiaires, les grands propriétaires, réquisitionnées après la réforme agraire entamée en 1975. Aujourd’hui, l’UCP n’existe plus. Les bâtiments, bien conservés, appartiennent à la mairie, communiste. Au-dessus du portail, le nom en fer forgé de l’UCP de Pias: la gauche vaincra (photo).
L'UCP de Pias. En fer forgé, son nom: "La gauche vaincra" / © M-L. Darcy
Le PC au chevet des "sans-terre"
Dans le bourg de Pias, maisons blanches et basses alignées, modestes mais bien entretenues, le siège du parti communiste portugais (PCP) ne déparait pas. L’intérieur récemment refait est pimpant: de jolies banquettes rouges comme il se doit, et à l’étage le sens de l’humour de la jeunesse communiste pour nommer sa buvette (photo). Domingos pose aux côtés d’un portrait en pied de Lénine.
Pias respire le communisme, à l’instar de nombreuses bourgades de la région. Une région isolée et peu peuplée. Jusqu’au 25 avril, la population vivait dans des conditions quasiment identiques à celles qui prévalaient au XIXe siècle. La révolution des œillets et le PREC –Processus Révolutionnaire en Cours, la période qui a suivi le coup d’État militaire-, vont tout changer.
Les "Sans terre" pris en charge par le parti communiste deviennent exploitants agricoles. Aujourd’hui, les terres expropriées ont été rendues à leurs propriétaires ou à leurs descendants. Ils les ont vendus aux Espagnols qui ont obtenu l’autorisation de planter des oliveraies gigantesques. La terre est à nouveau devenue rare pour ceux qui essaient toujours d’en vivre.
La seconde jeunesse du parti communiste
À quelques kilomètres de Pias, José Augusto croit à la formule "la terre à ceux qui la cultivent". A 60 ans, cet agriculteur possède 80 hectares, dont 40 en production d’olives. Son parcours n’est pas banal: paysan en difficulté, il a choisi d’émigrer en Suisse, où il a travaillé entre autres dans le bâtiment. Avec ses économies, il a acheté sa propriété, et a construit une unité de traitement et d’emballage de ses produits.
Je n’ai pas une propriété suffisamment grande pour être réquisitionnée comme du temps de la réforme agraire. Mais si les choses étaient pensées autrement, mon exploitation pourrait donner du travail á des gens d’ici. Les habitants qui étaient rentrés après avoir émigré, repartent, parce qu’ici il n’y a plus rien",
explique l’agriculteur.
José Augusto, Domingos, Esteban, tous rêvent de voir le parti communiste arriver au pouvoir. Ils n’ont pas renoncé à leurs idéaux, et ne le veulent surtout pas. Dans leur région, le PCP a obtenu 52 % des voix aux élections municipales d’octobre 2013. Et au niveau national, le parti a frôlé les 12%, de quoi faire rêver n’importe quel parti communiste d’Europe occidentale !
Le PCP a même reconquis des municipalités perdues aux élections de 2009, grâce également à une politique de rajeunissement des cadres. Les sympathisants, des jeunes, affluent: le PCP particulièrement engagé contre la politique d’austérité du gouvernement conservateur en place représente un espoir pour des populations qui souffrent. En somme, disent-ils, comme il y a 40 ans. Clandestinité en moins, liberté d’expression en plus.