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Quand l’Espagne retrouve ses vieux démons immobiliers…

lundi, 28 avril, 2014 - 10:45

Frappée par l'éclatement de la bulle immobilière en 2008, l'Espagne ne semble pas avoir appris la leçon. Enrique Bañuelos, promoteur peu scrupuleux, vient de lancer un projet de gigantesque complexe touristique, BCN World. La polémique fait rage, même si la classe politique est déjà conquise par ce magnat du béton. 

Le fantôme de la bulle spéculative immobilière rôde de nouveau en Espagne. Et plus particulièrement en Catalogne, dans la province de Taragonne, près de Salou, où l’on annonce la construction prochaine d’un nouveau projet touristique monstre pour nouveaux riches baptisé BNC World. Hôtels, casinos, golfs, commerces de luxe et autres services prendront place sur plus de 825 hectares. 

Un projet séduisant pour les politiques et certains habitants. La région, frappée par le chômage voit dans la construction de ce nouveau complexe un bon moyen d’offrir des emplois à des milliers d’Espagnols. Sans compter le regain de dynamisme pour tout le secteur touristique.
 
Mais ils ne sont pas si loin les souvenirs des gigantesques complexes laissant derrière eux un paysage et des côtés défigurés ou encore l’arrivée de personnages douteux… Le bras fer entre opposants et promoteurs semble pourtant perdu d’avance pour les premiers.

Enrique Bañuelos, le magnat de l’immobilier

A l’origine du BCN World, un homme bien connu du secteur de l’immobilier en Espagne : Enrique Bañuelos. Le promoteur espagnol fit fortune en profitant de la bulle immobilière. À l’époque, son empire lui avait même valu d’apparaître dans le classement Forbes des plus grosses fortunes du monde. Mais avec la crise, de nombreux investisseurs mécontents avaient exigé des compensations pour des projets non finalisés. Les plaintes se sont multipliées.
 
Dès 2008, Bañuelos s’est rapidement exilé au Brésil. Il parvient à monter un nouvel empire en créant Veremonte, une société d’investissement spécialisée dans l’immobilier. En 2012, le magnat revient en Espagne et lance, en septembre de la même année, le méga complexe touristique appelé BCN World. Un projet en collaboration avec la banque La Caixa, propriétaire du terrain.
 
Bañuelos rêve de construire le plus grand parc touristique d’Espagne. Le lieu sera divisé en six "resorts" composés d’hôtels, casinos, théâtres, cinémas, grands magasins de luxe et même plage privée. Rien n’est laissé au hasard. La future superstructure sera construite tout près du Parc d’attraction Port Aventura, à une heure au sud de Barcelone. On annonce un investissement total de 4.5 milliards d’euros pour la construction des six parcs.

 

Des soutiens surprenants

La création d’emplois est l’argument majeur des promoteurs de BCN World. Près de 20 000 postes directs seront créés, selon les calculs des investisseurs. Une offre alléchante difficile à refuser même pour les plus réticents au projet.
 
Plusieurs syndicats ont d’ailleurs offert leur soutien. Une position étonnante aux premiers abords mais qui paraît logique lorsqu’on entend l’explication de Wilfredo Miró, secrétaire de l’UGT de la province :

Cet investissement est bénéfique à court terme, même s’il ne s’ajuste pas au modèle touristique que nous défendons pour notre territoire."

Dans une zone avec le plus haut taux de chômage de Catalogne (près de 27 %, plus de 110 000 chômeurs), il semble donc que les nouveaux emplois créés constituent le seul argument valide et nécessaire… faute de mieux.

Les dirigeants politiques favorables

Du côté politique, même argument, bien qu’annoncé moins clairement. À force d’imposer des coupes budgétaires à leurs citoyens, ce projet est une opportunité pour les dirigeants de mettre en avant les emplois, la relance du tourisme et de l’économie de la région, afin de récupérer la confiance des électeurs.
 
Face aux mouvements contestataires, les partis politiques CiU et PSC (qui ont approuvé le projet) ont voulu rassurer en négociant certaines clauses avec les promoteurs. La plus importante prévoit que 1% de l'investissement reviendra au territoire (Tarragone) ou à des organismes sociaux. Le complexe devra respecter la loi maritime et aucun hôtel ne sera construit directement face à la mer.
 
Mais les négociations ont surtout abouti à un nouveau projet de loi, favorable aux promoteurs cette fois. Ce texte, qui sera approuvé grâce aux votes des deux partis CiU (parti au pouvoir) et au PSC (Parti socialiste catalan), propose une baisse des impôts pour les casinos qui passeront 55 % à 10 %. Et afin d’être sûr que cette loi soit votée, BCN World s’engage à payer la différence si la Catalogne perçoit moins d'impôts une fois le complexe achevé.

Des investisseurs de premier choix

Pour le moment, le président du BCN World et conseiller général de Veremonte, Xavier Adserà a déjà annoncé l’engagement de plusieurs investisseurs internationaux dans le projet. Le groupe hôtelier Melia, la société spécialisée dans les centres commerciaux de luxe Value Retail ou encore le spécialiste asiatique des casinos Melco apparaissent au top de la liste des grandes firmes partenaires du projet.
 
Dernièrement, la chaîne Hard Rock café a été présentée comme investisseur pour le deuxième "resort" du BCN World, composé d’un hôtel, d’un casino et d’un théâtre. Adserà a profité de cette annonce pour rappeler que "d’autres investisseurs les rejoindront bientôt", faisant référence à l’approbation future de la loi sur le rabais d’impôt pour les casinos qui devrait motiver de nouveaux investisseurs.
 
La construction pourrait commencer avant la fin de l’année et la première partie du complexe ouvrirait en 2017 (année qui coïncide avec les Jeux de la Méditerranée, organisés à Tarragone). On attend plus que le feu vert du Parlement au sujet de la loi sur l’impôt pour poser la première pierre. 

"Ne jouons pas le jeu BCN World"

Plusieurs associations citoyennes s’insurgent contre le BCN World, soutenues par divers partis politiques minoritaires. Pour eux, l’argument de la création d’emplois et des millions de touristes attendus ne peut excuser un changement dans la loi. Lluís Salvadó, député d’ERC au Parlement catalan pour la province concernée, résume son incompréhension :

Il n’est pas possible que les théâtres soient imposés à 21 % et les casinos à 10 % ; nous n’admettons pas que les gratte-ciels multiplient par trois le terrain constructible prévu sur la Costa Daurada… ce sont des aspects importants qu’il faut corriger."

De plus, le "tourisme festif" dont serait victime la zone fait polémique. La plateforme Stoppons BCN World (voir photo) demande aux citoyens de ne "pas jouer le jeu de BCN World". Elle alerte régulièrement sur le nouveau "type" de touriste qu’un tel lieu apportera. De quoi changer la "physionomie" de leur région sur le long terme. Car la crainte d’une arrivée massive de mafieux voulant blanchir de l'argent, d’addicts aux jeux et autres problèmes de toxicomanie est réelle. Plusieurs études menées sur des villes proches ayant axé le tourisme autour de casinos connaissent bien ces situations.
 
La solution idéale, qui est celle de construire un modèle productif stable et de stopper les constructions touristiques monumentales, semble pourtant loin d’être envisageable. Dans un pays en crise, l’urgence sociale prévaudra. Et ce, malgré l’expérience de la bulle immobilière qui a déjà porté préjudice à l’Espagne auparavant…




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