Un an après le début du procès de Beate Zschäpe, fondatrice de la cellule néo-nazie Clandestinité nationale-socialiste (NSU), le mystère demeure. On ne sait toujours presque rien de ce groupuscule responsable de la mort de dix personnes. Décryptage sur les nombreuses zones d'ombres de cette affaire.
Cela fait un an que dure le procès de Beate Zschäpe, le plus grand de l'histoire de l’Allemagne réunifiée. Cette allemande de 39 ans est accusée d’avoir fondé, au début des années 1990, une cellule néo-nazie appelée Clandestinité nationale-socialiste (NSU) aux côtés d’Uwe Mundlos et d’Uwe Böhnhardt. Les deux complices se sont donnés la mort en 2011 à la suite d’un casse. Quatre autres personnes comparaissent à ses côtés, soupçonnées elles-aussi, d’avoir appartenu ou aidé le groupuscule né dans la région de Thuringe, dans l’est du pays.
La NSU, dont l’existence a été révélée au grand public en novembre 2011, est soupçonnée d'avoir assassinée dix personnes – neuf d’origine turque ou grecque- commis quinze braquages et deux attentats à la bombe, entre 2000 et 2007. (La chaîne Arte a consacré un documentaire à cette affaire, voir vidéo ci-dessus).
Après une année d’audience, alors que le procès devrait durer encore une année et malgré les 600 témoins appelés à la barre, la vérité est loin d’avoir fait surface sur cette série de crimes.
Pourquoi des zones d'ombres perdurent-elles sur cette affaire ?
Le silence de Beate Zschäpe
Depuis le début du procés, Beate Zschäpe a réussi l’exploit de ne pas prononcer un mot. Si au départ, elle a horrifié les familles des victimes par ses rires, son mépris et son absence de compassion, la principale accusée use depuis de son droit au silence et laisse ses trois avocats répondre à sa place, même en ce qui concerne son état de santé. Par ce mutisme, Beate Zschäpe qui est le seul membre encore en vie de ce groupuscule Clandestinité nationale-socialiste (NSU), bloque de façon quasi-irrémédiable la demande de vérité des familles des victimes.
Elle n’a donné aucun détail sur les motivations de la bande, le choix des victimes et la raison de leur assassinat. Cette année a été mauvaise pour ceux qui souhaitaient connaitre la vérité grâce à ce procès",
regrette Mehmet Daimagüler, l’avocat de deux des victimes.
Nous savons seulement que sans Beater Zschäpe, le groupe n’aurait jamais existé et que les crimes n’auraient jamais été commis."
La mort de Thomas R. alias Corelli
Thomas R. devait témoigner devant les juges. Or début avril, quelques semaines avant son passage au tribunal, cet homme de 39 ans a été retrouvé mort dans son appartement. Officiellement, il aurait succombé à un diabète non diagnostiqué. Thomas R. était un personnage clé dans cette affaire. Il a travaillé dix ans en tant qu’informateur pour les services de renseignements allemands. Issu de la mouvance d’extrême droite, il était payé pour informer les autorités sur les activités des militants néo-nazis, notamment dans le milieu musical, et était en contact avec certains membres de la NSU.
Or, en février dernier, un CD contenant des photos et du matériel d’extrême droite a été retrouvé chez lui portant le nom de NSU- NSDAP. Il aurait été gravé en 2006, soit cinq années avant que les services de police n’annoncent officiellement l’existence de cette cellule. Les autorités connaissaient-elles l’existence de ce groupuscule terroriste dans les années 2000 ? Voilà l’une des questions très sensibles à laquelle Thomas R. aurait pu répondre s’il avait pu se présenter à la barre.
Si oui, cela signifie, au mieux, que les autorités allemandes ont sous-estimé cette cellule, au pire qu’elles ont laissé faire, couvert, voire instrumentalisé cet organisme. L’absence de réponse des autorités allemandes à ces questions et la mort étrange de Corelli n’ont fait qu’accroitre les doutes des familles poussant l’une des vice-présidentes du Parlement, Petra Pau, à demander des explications officielles au ministre de l’Intérieur.
Les autorités mises en cause
Comment une cellule néo-nazie a-t-elle pu agir durant treize années en toute impunité ? Le rôle joué par les autorités allemandes dans cette affaire -qualifiées par la presse au mieux d’incompétentes, aveugles et dilettantes- est loin d’avoir été clarifié durant cette première année de procès.
Se pose notamment la question de l’aide reçue par la NSU durant ces treize années. Certes, un accusé a reconnu devant les juges avoir fourni des armes aux trois membres du groupuscule, mais le réseau d’aide dont la NSU a bénéficié n’a pas été identifié.
Le président de la communauté turque d’Allemagne Kenan Kolat (voir la photo), estime aussi que les autorités allemandes ont fait preuve de négligence et de discrimination envers les victimes, en privilégiant la thèse d’un règlement de compte interne à la communauté turque. Les victimes ont fait l’objet de recherches approfondies afin de déterminer leurs liens avec le groupe terroriste kurde du PKK. Pour lleurs familles, cette mise en cause est "impardonnable" et démontre une volonté de couvrir les actes de la NSU.
Selon une enquête réalisée par une université turque, 75% des Turcs d’Allemagne considèrent que les autorités allemandes sont impliquées dans ces crimes. Kenan Kolat évoque par ailleurs des "preuves détruites" ainsi qu’un "dysfonctionnement entre les diverses agences de renseignements", elles-mêmes caractérisées par un "racisme institutionnalisé". Mardi 6 mai, un groupe d’une cinquantaine de personnes a manifesté devant le tribunal à Munich. Parmi elle, Sevim Dagdelen, députée du parti de gauche Die Linke, a regretté :
l’absence de volonté d’explication de la part de l’Etat depuis le début du procès."
Si une année d’audience n’a pas permis de faire la lumière sur ces points, la commission d’investigation du Bundestag a pourtant publié en août 2013 un rapport sans appel. Selon elle, l’Etat allemand a "totalement échoué" dans cette affaire. Les doutes entourant le travail des enquêteurs sont suffisamment importants pour avoir forcé le président allemand Joachim Gauck à présenter ses excuses aux familles.
Crédit photo : Heinrich-Böll-Stiftung sur Flickr en cc