En Allemagne, les eurosceptiques de l''AFD (Alternative für Deutschland) espèrent obtenir des sièges au Parlement européen. Un parti "d'experts" flirtant parfois avec le populisme.
Les distributions de tracts se multiplient. A Berlin, Frank-Christian Hansel, le trésorier de la branche berlinoise, bat le pavé devant le très chic magasin KDW. "Je suis très optimiste, nous allons dépasser les 5% de votes" explique cet ancien patron d’une entreprise de meuble.
Frank-Christian Hansel est un militant AFD de la première heure. Tous les sondages confirment son optimisme. Une surprise pour un pays massivement europhile. Le projet européen a toujours été considéré comme une garantie pour la démocratie en Allemagne.
Les derniers sondages créditent le tout jeune parti, fondé en 2013, de 5 à 7% aux élections européennes. L'AFD obtiendrait ainsi quatre à six eurodéputés. Un exploit pour cette formation. En septembre dernier, elle avait raté de justesse son entrée au Bundestag.
Le parti des professeurs
Les élections européennes offrent un tremplin idéal à ce nouveau parti. Sur le plan idéologique, on pourrait rapprocher l'AFD du mouvement français Debout la République, de Nicolas Dupont-Aignan.
Depuis sa naissance, l'AFD est surnommée le "parti des professeurs", dû au grand nombre d’académiciens à l’origine de sa création. Toutes ses critiques tournent autour de la monnaie unique.
L’euro est trop fort pour des pays comme la France, l’Italie et la Grèce, mais trop bas pour l’Allemagne"
explique Frank-Christian Hansel. "Cette monnaie est mauvaise pour l’Europe" résume cet homme élégant, initialement membre du parti social démocrate.
Dans son programme, l’AFD tire à boulets rouges sur le "plan de sauvetage de la zone euro" qu'a engendré
sans contrôle démocratique, la puissance des institutions européennes, à savoir la Banque centrale, la Commission, le Mécanisme européen de stabilité et l’union bancaire".
Pour le parti, cette politique de sauvetage de l’euro est "un puit sans fond". La solution ? "Un retrait planifié et organisé de la monnaie unique" et le retour, en Allemagne, du Deutschmark ou la création d’une monnaie régionale entre pays du nord.
Des Eurosceptiques europhiles
L’AFD n’est toutefois pas anti-européen. "Nous savons que l’Europe est un projet pacifiste" explique Frank-Christian Hansel.
Mais nous ne voulons plus d’une Europe centralisée où tout est décidé de Bruxelles. Nous voulons que les gens soient davantage consultés."
Si l’euro reste un thème central, l’AFD parle de plus en plus d’autres dossiers sensibles, tels l’insécurité qu’il souhaiterait davantage contrôler. Le parti prône un système d’immigration choisie.
"L’AFD a commencé comme un parti anti-euro, mais a travaillé depuis pour s’imposer comme une alternative conservatrice à la CDU-CSU d’Angela Merkel",
analyse Michael Weigl, politologue au centre de sciences politiques Geschwister Scholl a Munich.
"Pour cela, il a fallu que l'AFD parle d’autres choses que de l’UE. Où cela va-t-il les mener ? On ne le sait pas encore. Pour l’instant, ils se placent à la droite de la CDU-CSU, emploient un ton très fort sur l’importance de l’Allemagne. C’est un parti conservateur qui éventuellement peut se développer en parti populiste de droite."
Certaines affiches électorales d’un goût douteux ont suscité la critique à ce sujet, comme celle comparant l’UE au dictateur nord coréen Kim Jong-Un. (Sur l'affiche on peut lire : "Ce que l'enfant de la Corée et l'Union européenne ont en commun ? Leur façon d'aborder la démocratie").
Gare aux amalgames
Les cadres de l’AFD rejetent l’amalgame souvent établi avec les partis d’extrême droite des autres pays européens. Son leader Bernd Lücke, professeur d’économie à l’université de Hambourg, a d'ores et déjà rejeté l’idée d’entrer dans un groupe parlementaire aux cotés de Marine Le Pen.
Pourtant les pressions de l’extrême droite se font sentir, notamment dans les régions de l’est de l’Allemagne où le parti a fait ses meilleurs scores lors des législatives. Dans le Brandebourg, la moitié des électeurs de l’AFD seraient des déçus du parti néonazi NPD.
Et quand les jeunes militants de l’AFD ont invité en mars le leader populiste britannique Nigel Farage du parti Ukip, la direction de l’AFD s’est désolidarisée de cette initiative.
L’Ukip souhaite la dissolution de l’UE, ce qui n’est pas notre programme, et ils ont une politique d’immigration ridicule."
a expliqué le numéro deux du parti, Hans-Olaf Henkel, ancien patron de la puissante Fédération allemande de l’industrie.
"Il existe de nombreux courants au sein de l’AFD et certains n’ont rien à voir avec les autres" constate Michael Weigl.
Une chose est sûre, le parti essaie d’éviter le piège populiste. Car en Allemagne, si vous vous affichez comme tel, vous n’avez aucune chance de gagner des élections."
Souhaitant se montrer respectable, la toute jeune AFD représente déjà un casse-tête pour les conservateurs de la formation démocrate chrétienne d’Angela Merkel et pour sa petite sœur bavaroise de la CSU. Cette dernière tente de regagner le terrain à droite qu’elle a elle-même délaissée depuis qu’Angela Merkel a lancé un processus de modernisation du parti.
La chancelière, justement, très populaire dans le pays, est pour quelque chose dans l’optimisme actuel des militants de l’AFD qui distribuent des tracts devant le grand magasin berlinois KDW.
Merkel ne se présente pas à ces élections ! Et ça, c’est bon pour nous !"