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En Turquie, que reste-t-il des révoltés de Gezi ?

lundi, 2 juin, 2014 - 14:13

Un an jour pour jour après le soulèvement antigouvernemental de la place Taksim, la police a violemment réprimé les manifestants qui souhaitaient célébrer cet anniversaire. Qu'a apporté le "mouvement du parc Gezi" à la société turque ? Réponse en quatre points.  

La naissance d'un "Esprit Gezi"

Que peut on retenir de la génération Gezi ? Outre les escaliers arc-en-ciel dans divers endroits de la ville – voire du pays – la plus grande victoire est le sauvetage du parc de Gezi. Aucun centre commercial et autres projets ne viendront détruire cet endroit.

C'est là que les manifestations antigouvernementales de l’année passée ont commencées. Si au départ, l'objectif des manifestants était la sauvegarde du parc, la fronde s'est rapidement transformée en révolte contre les dérives autoritaires du gouvernement turc.

Un "Esprit Gezi" a vu le jour, permettant à la société civile de faire entendre plus largement sa voix. Les collectifs se sont multipliés, les squats transformés par des groupes d’opposants afin d'en faire des lieux de rencontres et d'expressions artistiques…

Aujourd'hui encore, des forums démocratiques se tiennent avec pour but de former les volontaires à la démocratie participative.

Mais à l'ère d'Internet, le mécontentement ne s'exprime plus uniquement dans les rues. La mobilisation s'organise également sur les réseaux sociaux. Les journalisme citoyen se développe. La peur de dire ouvertement son opposition au gouvernement disparait peu à peu.

Le mouvement ne compte d'ailleurs plus ses "martyrs". Parmi eux, l'architecte Mücella Yapici, figure de Gezi et à la tête du collectif Taksim. Inquiétée par la justice, la militante devra comparaître le 12 juin prochain avec 25 autres meneurs de la contestation. Elle risque trente ans de prison pour "création d'une organisation illégale".

L'accroissement de la violence d'Etat

L’essoufflement de la mobilisation dans les rues d'Istanbul lors de l’après Gezi n'a pas empêché l'éclatement de manifestations dans d'autres villes turques. Des rassemblements ponctuels ont encore lieux près de Taksim. Chaque protestation est réprimée par les forces de l'ordre.

Ce week-end, lors de la célébration du premier anniversaire de Gezi, 25 000 policiers et une cinquantaine de camions blindés étaient mobilisés pour maîtriser… un peu plus de milles personnes (ils étaient 20 000 l'an dernier). 150  manifestants ont été interpellées. Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdoğan, avait prévenu quelques heures plus tôt que les forces de l’ordre feraient "tout ce qui est nécessaire, de A jusqu’ à Z" pour empêcher le rassemblement.

Car l'intimidation par la violence est la carte maîtresse du leader de l'AKP (le parti au pouvoir) pour freiner ceux qui s'opposent à sa politique. En 2013, huit personnes sont mortes sous les coups des policiers. Les blessés se comptaient par milliers. Pas étonnant, dans ce climat, qu'une bonne partie des manifestants d'hier aient préféré "rendre les armes" et rester chez eux…

L'AKP toute puissante

Mais plus encore que les violences policières, c’est la victoire à 44% de l’AKP, lors des dernières élections municipales en mars qui a mis un coup au moral des Turcs de l’opposition. Tout se passe presque comme si le parti de Recep Tayyip Erdoğan sortait renforcé des manifestations. Ni les évènements de 2013, ni les affaires de corruption et encore moins la censure de différents réseaux sociaux (Twitter, Youtube…) n’auront eu raison de la popularité du Premier ministre turc auprès d’une large partie de la population, plus conservatrice.

Cet échec politique a montré à quel point l'aggiornamento du parti d'opposition, le CHP (Parti républicain du peuple) était nécessaire. Cette formation, si elle séduit de nombreux Trucs vivants à l'Ouest ne fait pas l'unanimité chez les anti-Erdoğan. En cause, le soutien du CHP à l'armée lorsque les militaires ont tenté de prendre le pouvoir en 2007.
Tout espoir n’est toutefois pas perdu de voir arriver sur la scène politique un parti capable de séduire toutes les branches de l’opposition.

Erdoğan président ?

On l’a compris, c’est au niveau politique que la bataille entre pro et anti-gouvernement va désormais se jouer. Les élections présidentielles du mois d’août prochain serviront de nouveau terrain d'affrontement. C'est la première fois que les Turcs voteront à une élection au suffrage universel direct.

Jusqu'ici, Recep Tayyip Erdoğan laisse planer le doute sur une éventuelle candidature. S'il était élu il resterait au pouvoir jusqu'en 2023. Beaucoup estiment que s'il se présente, il aurait toutes ses chances de l'emporter.

Depuis un an, les analystes politiques turcs parlent de la naissance d’une "génération Gezi". Preuve que les évènements de juin 2013 ont, en quelque sorte, marqués l’Histoire du pays. Seul le temps, et les prochaines échéances électorales nous diront quel est son véritable impact sur la population. 


Crédits photos : Bünyamin Salman et World Economic Forum sur Flickr en CC




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