Les handicapés français devront attendre. Le Sénat et l'Assemblée nationale viennent d'accorder un délai supplémentaire de dix ans pour se mettre aux normes les bâtiments et transports en commun. Certaines villes en Europe décrochent, elles, la palme de l'accessibilité. Le top 3 de Myeurop.
Jouer la montre. C'est la stratégie des députés et sénateurs français pour mettre aux normes les établissements recevant du public (ERP). L'ordonnance qui offre un délai de dix ans maximum aux ERP pour rendre leurs bâtiments à 100% accessibles aux handicapés ne sera votée qu'à la fin du mois de juillet. Or le bilan de la France est accablant, comme nous l'explique Alain Tricon, directeur de la division accessibilité de l'A2CH, un cabinet d'études, spécialisé en accessibilité pour handicapés :
Les chiffres qui circulent dans les ministères disent qu'à ce jour seuls 30% des ERP sont accessibles à 100% aux personnes handicapées. Au sein de mon cabinet d'étude, mes équipes ont visité, en sept ans, des milliers de bâtiments. Selon moi, leurs chiffres sont erronés. Nous tournons plutôt autour de 10%."
La loi sur le handicap du 11 février 2005 obligeait les ERP à rendre leurs locaux accessibles à tous, quelques soient leurs déficiences. Une bonne initiative, mais très mal ficelée selon Alain Tricon :
Déjà à l'époque on avait publié une loi et on avait dit aux maîtres d'ouvrages rendez-vous dans dix ans. La loi n'avait pas prévu de dispositif de contrôle (à l'exception des bâtiments neufs ou bâtiments existants soumis à Autorisataion de travaux), ni de point d'étape intermédiaire pour suivre son avancée… Les premiers rapports indiquant un retard important et le risque de ne pouvoir tenir l'échéance du 31 décembre 2014 remonte à 2012. Il était déjà trop tard pour mettre en place un dispositif de rattrapage! Qui plus est, on a sous-estimé la masse de travail à accomplir pour mettre aux normes tous les bâtiments français."
Un loi renforcée
L'ordonnance qui sera votée fin juillet prévoit le renforcement du texte de 2005. Les ERP auront douze mois pour déposer dans les préfectures un agenda d'accessibilité programmé (ADAP) qui devra être réalisé avant 2025. Le dossier sera validé par le préfet conjointement avec une commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité. Ils seront chargés du contrôle de l'avancement des travaux. Les retardataires ou les maîtres d'ouvrage ne respectant pas leurs engagements seront sanctionnés :
- 5000 euros pour un dossier rendu en retard.
- 45.000 euros pour une personne physique qui n'aurait pas mis aux normes d'ici dix ans le bâtiment qu'elle possède.
- 225.000 euros pour une personne morale (départements, villes, …) qui n'aurait pas mis aux normes d'ici dix ans le bâtiment qu'elle possède.
- La fermeture de l'ERP s'il n'est pas aux normes d'ici dix ans.
Ces mesures de contrôles permettront de faire bouger les gens. Mais il ne faut pas se leurrer. Je ne pense pas que tous les ERP seront accessibles à 100% dans dix ans."
La France compte près de 10% de personnes souffrant d'un handicap selon l'Insee.
Grenoble, ville exemplaire
Pourtant, la France compte quelques villes exemplaires en terme d'accessibilité. Ce fut notamment le cas de Grenoble qui remporta même il y a quelques mois la deuxième place de l'Access City Award 2014. Ce prix récompense les villes européennes les plus "accessibles aux personnes handicapées" (voir vidéo ci-dessous).
Au moins 10% des logements de chaque projet immobilier doivent obligatoirement être aux normes pour les personnes à mobilité réduite. Le handicap est toujours pris en compte pour les projets de construction dans la ville. Et si le coût d'un projet augmente necessairement (compter 3 à 5% de plus sur la facture) il reste inférieur à ce que dépenserait la mairie si elle devait mettre aux normes le bâtiment des années après sa construction. Ainsi, 150 "projets adaptés" sont livrés tous les ans à Grenoble.
Sur les 210 kilomètres de voirie que compte la ville, 68% sont entièrement accessibles aux personnes handicapées. On est loin de Paris et des obstacles que rencontre une personne en fauteuil roulant ou un malvoyant tous les dix mètres.
Des enquêtes annuelles montrent même que le nombre de personne handicapées empruntant les transports en commun à Grenoble ne cesse de croître, d'année en année. Sur la période 2010-2012, les bus et autres trams grenoblois ont vu le nombre d'usagés augmenter de 38%.
Un temps d'avance en Suède
Ailleurs en Europe, les pays du nord sont en tête des Etats les plus actifs sur l’accessibilité. La Suède, et notamment la ville de Göteborg, sont souvent cités en exemple. C'est d'ailleurs cette agglomération de 520.000 habitants qui a remporté l'Access City Award 2014. "Une ville pour tous! telle est la devise de Göteborg" déclarait à l'époque la vice-présidente et commissaire européenne à la justice, Viviane Reding,
mais dans le cas de cette ville, qui reçoit cette année l’Access City Award, ce ne sont pas que des mots. C'est sa détermination à intégrer dans la société les personnes frappées d'un handicap quel qu'il soit qui lui a permis de remporter le prix cette année."
Le pays mène depuis de nombreuses années une politique visant à faire disparaître "les obstacles faciles à supprimer" pour les personnes handicapées comme on peut le lire dans de nombreux textes législatifs.
Presque tous les lieux de la ville sont accessibles aux personnes handicapées. Même… la mosquée locale, qui en mai dernier a installé sa première rampe mécanique permettant aux fidèles musulmans en fauteuil roulant de venir prier comme les autres. Des aires de jeux, bacs à sables et autres parcs sont rendus accessibles en implantant de nombreux aménagements pour les enfants en fauteuil roulant ou encore des dispositifs ludiques sous la forme de parcours, pour les jeunes malvoyants.
L'Espagne tient la longueur
Mais, plus au sud de l'Europe, l'Espagne a également pris la question de l'accessibilité des personnes handicapées au sérieux dès 2004. Près de 12% des Espagnols (3,8 millions de personnes) souffrent d'une forme de handicap, selon le Comité espagnol des représentants des personnes handicapées (CERMI).
En 2004, le gouvernement met en chantier un grand plan pour rendre le pays plus accessible aux personnes à mobilité réduite. De nombreuses villes sont désormais équipées de bus à rampe et les ascenseurs se multiplient au sein des édifices publics.
Mais la palme revient à Malaga. Près de 65% des arrêts de bus de la ville sont accessibles à 100% pour les personnes handicapées. La plupart des bus sont équipés de panneaux à diodes avec annonces vocales. On y trouve des informations en braille ou sous la forme de pictogrammes pour les malvoyants. Un résultat dû à une vingtaine de consultants et experts qui travaillent sur la mise en accessibilité dans les domaines variés comme l'information, la mobilité ou encore le logement dans la ville.