Le Conseil d'Etat estime que Vincent Lambert ne doit plus être maintenu en vie. Pour bloquer cette décision, ses parents ont saisi la Cour européenne des droits de l'homme qui doit doit se prononcer rapidement.
Les parents de Vincent Lambert ont donc décidé d'utiliser toutes les procédures permises pour empêcher l'arrêt des traitements de leur fils, Vincent Lambert. Avant même que le Conseil d'Etat ne rende sa décision définitive, ils ont annoncé avoir saisi la Cour européenne des droits de l'homme. Quelques heures plus tard, le Conseil d'Etat rendait malgré tout son avis définitif. Il propose de ne pas suivre la décision du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne (qui s'était prononcé pour le maintien en vie) et préconise donc l'arrêt des traitements de Vincent Lambert. Ce tétraplégique de 39 ans est dans un état de conscience minimale.
Mais cette décision ne peut pas être appliquée dans l'immédiat du fait de cette saisie en urgence de la Cour européenne des droits de l'homme par ses parents. La CEDH doit dire rapidement s'il elle accepte ou non ce référé. Ce qui, pour le moment, suspend la décision du Conseil d'Etat.
Dans le cas d'un rejet, les avocats pourraient, en dernier recours, déposer une requête de fond dont l'examen prendrait plusieurs mois, voire des années. Mais, pendant cette ultime procédure, les médecins de Vincent Lambert seraient néanmoins libres d'interrompre les traitements, conformément à la décision du Conseil d'Etat qui entrerait alors en vigueur.
Calvaire physique et moral
Hospitalisé depuis 2008, sa famille se déchire sur son sort. Doit-on le laisser mourir, comme le souhaite notamment son épouse, pour mettre fin à son calvaire physique et moral, ou doit-on le maintenir en vie coûte que coûte, pour répondre à la demande de ses parents? Le Conseil d'Etat a finalement rendu sa décision suite aux conclusions des trois experts médicaux qu'il avait missionnés sur cette question. Leur rapport confirme l'incurabilité de Vincent Lambert et parle même d'une dégradation.
La semaine dernière, le rapporteur public du Conseil d'Etat avait déjà rendu un avis que le Conseil d'Etat a donc choisi de suivre. S'il a pris soin de préciser que cette décision n'a pas vocation à faire jurisprudence, il s'agit, malgré tout, d'un pas majeur dans le débat sur l'euthanasie en France. L'audience médiatique accordée à la recommandation du rapporteur public en était la preuve. Le Figaro, toute en finesse, avait choisi d'intituler son article "Le rapporteur public du Conseil d'Etat requiert la mort de Vincent Lambert".
Le maintien en vie de Vincent Lambert va être arrêté ou bien il va être tué ? Vous avez 4h pic.twitter.com/HFs4GU6DS2
— Redhão (@reda) 20 Juin 2014
Un parti pris des plus discutables qui a beaucoup fait réagir sur twitter.
La peine de mort requise contre Vincent Lambert. #TweeteCommeLeFigaro
— Clark Con (@7MdsDeCons) 20 Juin 2014
"requérir la mort" ? : la mauvaise foi du @Le_Figaro mériterait une réaction du @Conseil_Etat #lambert http://t.co/tgJ3KVAPUf
— alexandre.ma (@amangiavillano) 20 Juin 2014
Au point que le titre avait été modifié quelques minutes plus tard devenant "Le rapporteur du Conseil d'Etat préconise de laisser mourrir Vincent Lambert". D'autant que le rapporteur public du Conseil d'Etat ne peut "requérir", mais rend un simple avis, qui doit être officiellement validé par 17 juges du Conseil d'Etat. Ce qui vient donc d'être fait. Un choix de formulation qui illustre bien l'ampleur des divisions sur cette question.
La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) est donc l'ultime recours. Mais l'Europe est loin avoir une position commune à ce sujet. Les législations divergent fortement d'un pays à l'autre et la question n'est pas jamais traitée sans heurts. Dans la plupart des pays, la loi fait une distinction entre euthanasie active et euthanasie passive. La première consiste à provoquer délibérément la mort d'un patient qui souhaite finir ses jours. La seconde permet à un médecin d'arrêter les soins ou de soulager la douleur, quitte à entraîner le décès du patient.
La Belgique a ouvert le droit à l'euthanasie pour les enfants
Depuis 2002 loi belge sur l'euthanasie concerne des personnes majeures et conscientes formulant une demande "volontaire, réfléchie et répétée", examinée par trois médecins. En février dernier la Belgique a également dépénalisé l'euthanasie pour les mineurs. C'est le premier pays à l'autoriser pour les enfants malades, quel que soit leur âge. Les Pays-Bas l'autorisent déjà, mais pour les enfants âgés de 12 ans au moins. Les deux parents doivent être d'accord et la consultation de médecins et de psychiatres est obligatoire. L’enfant doit avoir une “capacité de discernement” et être conscient au moment de la demande. Il doit également être dans une situation médicale désespérée qui causera la mort à court terme.
Les opposants à l'euthanasie, quelque soit l'âge, estiment que cette loi n’est pas adaptée à la réalité. Les "Dossards Jaunes", collectif indépendant et non confessionnel opposé à l'euthanasie, se sont battus jusqu'au bout pour que l'élargissement de la loi aux enfants soit reportée. Près de 200 pédiatres (sur les 1200 reconnus en Belgique) ont envoyé une lettre ouverte en ce sens au président socialiste de la Chambre des députés, André Flahaut, en évoquant un vote "précipité".
Cela ne répond pas à une demande. En 30 ans, je n'ai jamais été confrontée à une demande d'euthanasie d'enfant. Les soins palliatifs que l'on peut leur proposer leur permettent d'avoir une fin de vie douce et sans douleur. Grâce à nos équipes, qui peuvent loger chez les enfants en fin de vie, les petits peuvent avoir encore des moments privilégiés avec leurs parents, même si ce n'est qu'une heure par jour…",
témoigne ainsi le Dr Christiane Vermylen, pédiatre hémato-oncologue à Louvain.
Chez un tout petit, il n’y a évidemment pas de capacité de discernement, et les pédopsychiatres spécialisés pour les adolescents nous disent eux-mêmes qu’il est extrêmement difficile, parce que les enfants, les adolescents à cet âge ne se rendent pas toujours compte que la mort signifie qu’ils ne reviendront jamais",
argumente Catherine Fonck, chef du groupe chrétien-démocrate à la chambre basse.
Pour le sénateur socialiste Philippe Mahoux, auteur de la loi, "Ce qui est scandaleux, c'est la maladie et la mort des enfants. Pas la loi sur l'euthanasie".
En France, le débat se poursuit
En France, François Hollande avait promis une nouvelle loi pour "compléter, améliorer la loi Leonetti". Mais ce texte d'abord prévu pour juin 2013, a été repoussé. Il pourrait être présenté d'ici la fin de l'année et s'appuierait sur les conclusions de la "conférence citoyenne" un groupe représentatif de citoyens mis en place à la demande du président de la République.
En décembre dernier, ce groupe consultatif s'est prononcé en faveur d'une "légalisation du suicide médicalement assisté", qui constitue aux yeux de ce panel "un droit légitime du patient en fin de vie ou souffrant d'une pathologie irréversible, reposant avant tout sur son consentement éclairé et sa pleine conscience". Les citoyens ont aussi suggéré une "exception d'euthanasie", qui pourrait être accordée pour les situations inextricables, comme dans le cas de Vincent Lambert. Une commission médicale serait alors habilitée à accorder le droit de mourir au patient.
En février, une proposition de loi du groupe Europe Ecologie-Les Verts, prévoyant "la possibilité" de demander une assistance à mourir, a été examinée au Sénat.
Surdité face à la détresse
Comme dans la majorité des autres pays de l'Union Européenne, l’euthanasie active n’est pas autorisée en France. Cependant la loi Leonetti d’avril 2005 qui encadre actuellement la fin de vie en France, interdit l’acharnement thérapeutique et officialise le droit de "laisser mourir". Ainsi les médecins peuvent administrer des traitements antidouleur même si cela a "pour effet secondaire d’abréger la vie".
La question centrale que devra trancher la future loi est donc d'autoriser au non les médecins à provoquer la mort du malade incurable ou à pouvoir l'assister pour qu'il mette de lui-même fin à sa vie.
En attendant, aider à mourir est toujours considéré en France comme un assassinat ou un empoisonnement prémédité. Ce geste est donc passible de la réclusion criminelle à perpétuité. Dans la pratique toutefois, les tribunaux concluent le plus souvent à un non-lieu ou à une peine symbolique.
Avec cette nouvelle loi, la France s'alignerait sur les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg, pays où l'euthanasie active est autorisée.
Les médecins néerlandais seuls juges
Aux Pays-Bas, l'euthanasie active et le suicide assisté ont été légalisés dès 2001. C'est le premier pays en Europe à avoir donné le droit aux médecins d'administrer un produit provoquant la mort.
Deux médecins au moins doivent avoir estimé que la souffrance est "insupportable" et "sans perspective d'amélioration", la maladie étant incurable.
Si on prend pour référence l'année 2010 pour laquelle on dispose de toutes les informations nécessaires, sur 135.000 décès cette année là aux Pays-Bas, 1,7% (2.300) l’ont été par suite d’euthanasie, 0,1% après une aide au suicide, 24% après des soins et/ou une sédation palliative et 15% après un renoncement à un prolongement de traitement. Par ailleurs, aux Pays-Bas, seulement cinq mineurs de plus de 12 ans (la loi autorise l'euthanasie à partir de cet âge) ont été euthanasiés depuis l'entrée en vigueur de la loi en 2002.
Le Luxembourg est le troisième pays de l'UE à avoir légalisé l'euthanasie, en mars 2009. Le dispositif, interdit pour les mineurs, concerne uniquement les patients en situation médicale "sans issue".
En Suisse, le "suicide assisté" non condamnable
La Suisse interdit pour sa part l'euthanasie active, mais autorise le "suicide assisté" c'est-à-dire la mise à la disposition du malade incurable d'une potion létale. En fait, des organisations comme Exit ou Dignitas ont exploité une faille du code pénal qui ne condamne l’aide au suicide "que si elle est pratiquée dans un but égoïste". Ces deux associations fournissent donc une assistance au suicide aux personnes le désirant an toute impunité.
Selon un rapport de l'Office fédéral de la justice et de la police publié en 2009, les suicides "de personnes non domiciliées en Suisse accompagnées par une organisation" sont passés de 91 en 2003 à 132 en 2007. L'ensemble des "suicides assistés" dans le pays a augmenté de 272 à environ 400, sur la même période.
Aide à la mort au Danemark, en Allemagne, en Suède
Depuis 1992, les Danois peuvent faire un "testament médical" que les médecins doivent respecter en cas de maladie incurable ou d’accident grave. L’euthanasie passive peut être alors pratiquée. Elle consiste à arrêter les traitements sur la demande du patient ou à lui administrer des calmants de la douleur qui peuvent accélérer sa mort.
En Allemagne, le Bundestag a voté en juin 2010 une loi similaire. Elle permet à chaque citoyen de faire connaître par écrit son vœu de subir ou non un acharnement thérapeutique. Ce procédé est cependant très encadré.
L'euthanasie passive a aussi été légalisée en Suède en avril 2010: l'interruption du dispositif médical de maintien en vie, à la demande du patient, est autorisée. Une pénaliste suédoise, Margareta Leijonhufvud, rappelle que la déontologie en Suède autorise également un médecin à administrer à un patient en fin de vie des antalgiques même s'ils doivent provoquer une mort prématurée.
En Espagne, Hongrie et République Tchèque, les malades ont également le droit de refuser d'être soignés.
En Grande-Bretagne, une jurisprudence favorable
En Grande-Bretagne, la jurisprudence admet depuis 2002 que tout patient peut refuser un traitement, même si cette décision risque d'entraîner son décès. Le suicide assisté reste un crime passible de 14 ans de prison, mais la jurisprudence est désormais plutôt favorable pour les personnes aidant un proche à se suicider par compassion, comme l'illustre le cas de Debbie Purdy.
Cette Britannique atteinte d’une sclérose en plaque, avait voulu s’assurer dès 2008 que son mari ne serait pas poursuivi s’il était présent avec elle en Suisse lors de sa future euthanasie. Le 23 septembre 2009, le responsable des poursuites judiciaires a conclu qu’il n’était pas dans l’intérêt public d’inculper quelqu’un dans le cas où le défunt avait émis "un souhait clair, définitif et informé de commettre un suicide", souffrait d’une maladie incurable ou en phase terminale, et avait de sa propre initiative demandé de l’aide. Néanmoins, il n’a pu apporter de "garanties de ne pas être poursuivi".
Italie, Grèce, Pologne, Irlande: l'euthanasie active assimilée à un homicide
En Italie comme en Grèce et en Pologne, l'euthanasie active est considérée comme un homicide. En Italie elle est passible d'une peine de réclusion de six à quinze ans et en Grèce de sept. En Pologne, c'est de trois mois à cinq ans. Même avec l'accord écrit du malade, le suicide assisté est également interdit dans ces pays. Enfin en Irlande, les sanctions, sont encore plus sévères: l'aide à la mort ou de suicide est passible de quatorze ans de prison.