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Sortir de l’Europe, la fausse bonne idée de David Cameron

mardi, 24 juin, 2014 - 12:14

Budget européen, candidature de Juncker à la tête de la Commission… David Cameron menace chaque fois un peu plus d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne pour obtenir ce qu'il veut. Un retrait qui nuirait aux intérêts britanniques selon une étude d'un collège d'experts.

David Cameron ne cesse d'agiter cet épouvantail devant ses homologues européens. A chaque insatisfaction, c'est la même rengaine : s'il n'obtient pas gain de cause sur tel sujet, il permettra à son pays de s'engager vers une sortie de l'UE.

Un chantage qui exaspère les autres dirigeants européens qui ne se privent plus d'afficher leur agacement. Au point que certains, comme Michel Rocard, osent désormais pousser le Royaume-Uni vers la porte :

Amis Anglais, sortez de l’Union européenne mais ne la faite pas mourir !"

Inenvisageable il y a encore quelques années, la "Brexit" (contraction de British et exit) devient plausible. Et ce, depuis que David Cameron, voulant contenir les eurosceptiques de son propre camp, a promis d'organiser un référendum d'ici 2017 s'il était à nouveau élu en 2015.

Loin de calmer les assauts de son aile droite, cette promesse a ouvert la porte à un déchainement contre l'Union pour le profit du parti europhobe UKIP, grand vainqueur des élections européennes. Ce qui ne devrait pas apaiser le débat à ce sujet.

Un chantage politique absurde

Aujourd'hui, Cameron tente de peser de tout son poids contre la nomination de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne. Une candidature qui a pourtant le soutien de l'ensemble des gouvernements de centre-droit, ainsi que des gouvernements sociaux-démocrates. Jouant son va-tout, Cameron a menacé : il ne pourra garantir le maintien de son pays dans l'UE en cas de nomination de Juncker qu'il juge trop européen.

Le résultat est finalement loin des espérances du Premier ministre. Non seulement la nomination de Juncker semble en passe d'aboutir depuis qu'elle a reçu le soutien sans faille d'Angela Merkel. Elle pourrait même survenir dès le Conseil européen de ce week-end. Mais, en plus, Cameron se retrouve complètement isolé parmi les 28.

Voulant s'offrir un répit politique, le Premier ministre s'est donc empêtré dans une situation absurde. Car, et c'est l'ironie de l'histoire, il n'est pas favorable au "Brexit". Et il n'est pas le seul. Les hauts-fonctionnaires, les diplomates, les chefs d'entreprises, la City, la majorité des partis de gouvernement (conservateurs, libéraux, travaillistes)… tous sont en faveur d'un maintien du pays dans l'UE. Selon un sondage réalisé par la Chambre de Commerce britannique, seuls 12% des chefs d'entreprises souhaitent une sortie de l'UE.

Même Barack Obama a fini par prendre position sur le sujet. S'exprimant à l'issue du G7 du 5 juin dernier, il a estimé qu'il était "difficile d'imaginer qu'il soit avantageux pour le Royaume-Uni d'être exclu des décisions politiques qui ont un énorme impact sur sa situation économique et politique". Il a également rappelé qu' "il est toujours bon pour nous de savoir que la Grande-Bretagne a une place dans le projet européen".


"Les alternatives à l'appartenance à l'UE sont insatisfaisantes"

Dans ce contexte, un rapport tombe mal pour le Premier ministre. La semaine dernière, un éminent think tank britannique, le Center for European reform (CER) a publié un rapport de 92 pages intitulé "Les conséquences économiques d'une sortie de l'Union européenne". Et les conclusions sont claires: quitter l'UE serait une grave erreur. Si le CER est connu pour être pro-européen, il n'en est pas moins régulièrement critique vis à vis de Bruxelles et des institutions communautaires. Malgré tout le résultat est sans appel :

les alternatives à l'appartenance à l'UE sont insatisfaisantes."

Réalisé par un collège d'économistes, de politologues, d'experts variés et de journalistes, le document revient sur les arguments avancés par les eurosceptiques, pour mieux les déconstruire. Et démontre, au final, qu'une sortie de l'UE serait dommageable pour le Royaume-Uni.

L'impact sur le commerce anglais et la City

Pour nombre d'eurosceptiques, une sortie du Royaume-Uni n'aurait aucun impact sur l'économie du pays, puisque 90% des entreprises britanniques ne commercent pas avec l'Europe. Mais, souligne le CER, les 10% qui restent sont les poids lourds économiques.

Le rapport rappelle ainsi qu'Airbus est en partie installé sur le sol britannique. L'avionneur y emploie 10.000 personnes. Si Fabrice Brégier, directeur du groupe, a indiqué il y a quelques jours qu'un Brexit n'entrainerait pas forcément un départ d'Airbus, pas sûr que les dirigeants européens, et notamment François Hollande et Angela Merkel, aient le même avis.

Beaucoup d'économistes craignent en outre de voir des entreprises britanniques se délocaliser sur le continent pour avoir un meilleur accès au marché des 27 dont elles ne feraient désormais plus partie. Pour le CER, le "Brexit pourrait aussi rendre le Royaume-Uni moins attrayant pour les firmes étrangères qui ont l'intention de vendre à d'autres marchés de l'UE".

Les partisans du Brexit tablent en réalité sur un accord à la carte permettant à la Grande-Bretagne de continuer à profiter du marché unique sans faire partie de l'UE. Un statut spécial illusoire selon les partisans du maintien dans l'Union puisque Paris et Berlin y seraient probablement fortement opposés. Londres pourrait même se voir à nouveau imposer, dans le pire des cas, des droits de douanes. Un handicap majeur pour la compétitivité des entreprises britanniques.

Le rapport du CER ajoute que, même si les entreprises ne commercent pas en majorité avec l'Europe, l'économie britannique est très imbriquée à celle de l'Union. Pour preuve, 50% des IDE (investissements directs étrangers) vers le Royaume-Uni proviennent de l'UE.

La question de la City est aussi centrale puisque, selon le CER, la place boursière est "le principal bénéficiaire du marché unique des devises". Les financiers craignent, à terme, de voir une partie de l'activité migrer vers Francfort ou Paris.

L'obstacle des normes européennes levé ?

Autre sujet de crispation chez les anti-européens : les normes européennes. Trop protectrices, trop nombreuses, elles entraveraient le bon développement économique du pays. Un argument largement réfuté. En dépit de ces normes, le Royaume-Uni reste le marché le moins régulé derrière les Pays-Bas parmi les pays de l'OCDE selon les chiffres de l'organisation. La régulation de son marché du travail est, quant à elle, comparable à celle en vigueur aux Etats-Unis, au Canada, ou en Australie. L'Europe n'a donc pas vraiment contraint Londres à une régulation excessive.

Les experts du CER estiment de toute façon que, même en cas de Brexit, le Royaume-Uni devrait respecter certaines normes s'il veut avoir accès au marché européen. Normes sur lesquelles il n'aurait plus aucune influence en étant en dehors de l'UE.

L'exemple le plus parlant reste la limite européenne du temps de travail hebdomadaire, très critiquée par les adversaires de l'Europe. Cette limite s'établit à 48h par semaine. Mais, même en dehors de l'Union, on imagine mal l'ensemble des Britanniques passer à un temps de travail supérieur à cette limite, le temps de travail moyen étant actuellement de 37 heures.

"I want my money back"

C'est l'argument le plus souvent mis en avant par les partisans d'une sortie de l'Union. Qui dit sortie, dit un arrêt de la participation au budget européen. Or, ce versement irrite beaucoup de Britanniques. Chaque année, Londres verse 8 milliards d'euros, soit l'équivalent du montant de ses allocations chômage.

Déjà Margaret Thatcher avait pesé de tout son poids pour réduire la participation britannique avec son fameux "I want my money back", obtenant ainsi le chèque britannique.

Mais ce que Londres oublie bien vite, c'est que certaines régions du Royaume-Uni sont largement bénéficiaires. C'est le cas de l'Irlande du Nord et du Pays-de-Galles qui reçoivent des aides importantes de la PAC (Politique agricole commune). Pour le CER ces régions

souffriraient de la perte des subventions agricoles et des fonds de développement régionaux".

S'il sortait de l'UE, il est donc probable que le Royaume-Uni devrait continuer à soutenir ses agriculteurs, avec ses propres deniers.

De plus, pour pouvoir bénéficier d'un accès privilégié au marché unique, la Norvège et la Suisse, non-membres de l'UE,  participent financièrement au budget des fonds régionaux européens. Ce qui serait probablement aussi le cas du Royaume-Uni. A terme, les économies seraient donc bien moins élevées qu'imaginées.

Les migrants ne sont pas ceux que l'on croit

Comme en France, le mythe du migrant qui vient "voler le travail" des honnêtes citoyens nationaux perdure. Les anti-européens fustigent notamment les travailleurs d'Europe de l'Est. Mais pour le CER, c'est un faux problème.

Non seulement les travailleurs européens vivant au Royaume-Uni sont majoritairement des travailleurs qualifiés, mais en plus, ils sont des contributeurs nets à l'économie britannique. Autrement dit, ils rapportent plus d'argent qu'ils n'en coûtent. D'autant qu'ils permettent de faire face à la problématique britannique du vieillissement de la population.

Et le CER de rajouter qu'une fermeture des frontières à l'immigration n'est jamais à sens unique. S'il devient plus difficile pour des Européens de travailler au Royaume-Uni, il devient aussi plus difficile pour les Britanniques de travailler en Europe. 

Un royaume affaibli

Le CER s'est penché sur les conséquences purement économiques du Brexit, mais il faut aussi y ajouter des effets politiques. Sajjad Karim, député européen britannique et candidat du groupe des Conservateurs et réformistes européens à la présidence du parlement européen, s'inquiète dans une interview à Euractiv. Selon lui, une sortie du pays de l'UE pourrait conduire à une remise en question de l'unité du Royaume-Uni.

Les Ecossais, très pro-européens, se prononcent en septembre par referendum pour ou contre l'indépendance. Le scrutin s'annonce serré et si l'Ecosse décidait de se séparer du Royaume-Uni pour assurer son appartenance, seule, à l'Union européenne. La place du Royaume-Uni dans le monde, sans l'Union européenne et sans l'Ecosse, serait considérablement affaiblie.

Le pays aurait toujours l'arme nucléaire et serait toujours membre de l'OTAN. Mais, alors que l'UKIP estime que le Royaume-Uni pourrait devenir un pont entre l'Europe et les Etats-Unis, de nombreux diplomates pensent plutôt qu'il se retrouverait isolé, ignoré par les Etats-Unis qui continuerait à miser avant tout sur l'Europe.

Les négociations sur le TAFTA (accord de libre-échange transatlantique) en sont un bon exemple. Cet épais dossier continuerait d'être discuté entre les Etats-Unis et l'UE, et la Grande-Bretagne s'en retrouverait exclu.

Enfin, l'impact politique pour l'Europe elle-même pourrait être considérable, même si on peine encore à l'évaluer. Le "Brexit" préfigurera-t-il le début d'un délitement de l'Union en ouvrant la porte à d'autres défections?

Sondages contradictoires

Aujourd'hui, les partisans et les adversaires d'une sortie du Royaume-Uni distillent leurs arguments, toujours contradictoires, avec des chiffres souvent divergents. Même les sondages ne parviennent pas à s'accorder.

Ainsi, la semaine passée, l'institut de sondage YouGov rendait publique une étude selon laquelle 44% des Britanniques souhaitent rester dans l'UE. C'est le plus fort taux en faveur de l'Europe depuis que l'institut réalise des sondages à ce sujet (c'est-à-dire depuis septembre 2010). Une poussée européistes qui s'expliquerait par le retour de la croissance, apaisant les craintes des citoyens.

Mais, à l'inverse, The Guardian a publié ce week-end un sondage indiquant que 48% des Britanniques souhaitent quitter l'Union. Mais, si Cameron parvient à obtenir le rapatriement de certaines prérogatives, ils seraient alors majoritairement pour rester dans l'Union.

Pour Lord Roger Liddle, le très pro-européen ancien conseiller de Tony Blair, cité par Médiapart, finalement, le Brexit "pourrait arriver, plus par accident que par réelle volonté".

40 ans après avoir intégré l'UE, les Britanniques se rapprochent donc de la sortie. Un divorce qui n'aurait pas chagriné De Gaulle, fervent opposant à ce mariage.




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