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Mis en examen, Sarkozy doit regretter de ne pas avoir été roi

mardi, 1 juillet, 2014 - 13:52

Nicolas Sarkozy est mis en examen pour "trafic d'influence" et "corruption active". Embourbé dans les affaires, l'ex-président de la République ne bénéficie plus d'une immunité pénale. Ailleurs en Europe, l'immunité ad vitam æternam est le privilège des rois.

Au terme de sa garde à vue à l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) Nicolas Sarkozy a été mis en examen. L'ancien chef d'Etat est redevenu un justiciable comme les autres. Cette mise en examen fait suite aux conversations téléphoniques mises sur écoute dans le cadre du soupçon de financements libyens de la campagne de 2007 de l'ancien président. Ces écoutes auraient notamment révélé que Gilbert Azibert, avocat général auprès de la Cour de cassation, renseignait Nicolas Sarkozy sur les procédures en cours à son encontre. Et ce, en échange d'un appui pour obtenir un poste à Monaco. Gilbert Azibert est d'ailleurs, lui aussi mis en examen, tout comme l'avocat de Nicolas Sarkozy, Me Thierry Herzog. 

En France, le président de la République bénéficie d'une immunité pénale pour les actes accomplis durant son mandat. La responsabilité pénale du chef de l'État ne peut ainsi pas être engagée sauf en cas, encore inédit, de "haute trahison". Par ailleurs, pour ses actions alors qu'il n'était pas encore président, il bénéficie d'une immunité provisoire qui cesse dés qu'il n'est plus le locataire de l'Elysée. C'est cette protection juridique qui est donc tombée pour Nicolas Sarkozy le 6 mai 2012, permettant aujourd'hui sa mise en examen.

La fin de l'immunité, c'est pas maintenant

Ce statut particulier du Président fait l'objet de débats réguliers. François Hollande s'était engagé lors de la campagne présidentielle à le remettre en cause. Mais pour modifier la Constitution, le Président de la République a besoin d'une majorité de 3/5ème au Congrès (Assemblée nationale + Sénat). Devant le refus de l'opposition de voter pour cette modification, le projet de loi du gouvernement est en suspens depuis le mois de juillet 2013.

Le Premier ministre et les membres du gouvernement peuvent, eux, être jugés pour d'éventuels actes délictueux commis durant l'exercice de leurs fonctions. Mais c'est une Cour spéciale qui doit les juger, la Cour de justice de la République.

Une exception française 

Récemment, François Hollande a réaffirmé sa volonté d'engager une réforme constitutionnelle, mais pas avant 2015. La suppression de la Cour de Justice de la République devrait faire partie de cette réforme.
Qu'en est-il chez nos voisins ? Partout, la loi fait une distinction entre le régime pénal appliqué aux chefs de l'Etat – totalement ou à peu près dépourvus de pouvoirs – et celui appliqué aux chefs de gouvernements qui détiennent, eux, la réalité du pouvoir politique.

En ce qui concerne les chefs d'Etat, évacuons tout de suite les monarques. Que ce soit au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, au Danemark, en Belgique ou en Espagne, la personne du roi (ou de la reine) est partout considérée comme inviolable et bénéficie d'une immunité totale. Au Danemark et en Espagne, le monarque est non seulement "inviolable", mais encore "sacré".

Mais en abdiquant au profit de son fils Felipe VI le 18 juin dernier, l'ex-monarque espagnol Juan Carlos a cepandant créé une situation inédite. En effet, la Constitution espagnole ne prévoyait pas de statut juridique pour un roi ayant abdiqué. En urgence, le gouvernement de Mariano Rajoy lui a donc accordé le statut d'aforamiento. Un statut jusqu'ici réservé aux parlementaires, membres du gouvernement, juges mais aussi aux procureurs.

Cette protection juridique l'empêche d'être jugé par un tribunal ordinaire. Seul le Tribunal Suprême, plus haute juridiction d'Espagne, serait compétent. Un nouveau statut taillé sur mesure donc, pour éviter à Juan Carlos d'être convoqué par la justice qui aurait pu le contraindre à reconnaître sa paternité. Un Espagnol et une Belge affirmant être ses enfants.
Passons aux républiques.On peut faire une distinction entre les régimes pénaux fortement dérogatoires au droit commun et ceux qui le sont peu.

Très dérogatoires sont les régimes italiens et grecs, qui sont d'ailleurs très proches.

Le président italien mieux protégé…

En Italie comme en Grèce, la responsabilité pénale du chef de l'Etat dans l'exercice de ses fonctions ne peut être engagée qu'en cas de haute trahison ou de violation de la constitution. Dans ce cas, il faut une mise en accusation par le parlement et c'est la cour constitutionnelle qui juge.
Pour les délits commis hors exercice des fonctions, la question n'est pas clairement tranchée en Italie mais, a priori, le président n'est poursuivi qu'après expiration de son mandat, comme c'est le cas en Grèce.

… que le président allemand

En Allemagne, Autriche et Portugal, le régime est assez peu dérogatoire. Dans l'exercice de ses fonctions, le président voit sa responsabilité pénale engagée en cas de violation de la constitution et de toute loi fédérale en Allemagne et en Autriche. Les poursuites pénales sont exercées devant la cour constitutionnelle après décision de mise en accusation par les deux tiers de l'une ou l'autre chambre en Allemagne ou de l'assemblée fédérale autrichienne. Pour ce qui est des délits perpétrés hors exercice des fonctions, les poursuites sont possibles mais seulement après autorisation du Bundestag ou de l'assemblée fédérale.

A noter que deux présidents de la république allemands Hoerst Köhler en 2010 et Christian Wulff en 2012 ont été acculés à la démission. Dans le cas de Wulff, ses liens troubles avec un homme d'affaire auraient pu lui valoir une mise en examen.

Au Portugal, le président est responsable pénalement de tout acte délictueux commis dans l'exercice de ses fonctions mais après décision des deux tiers des députés. Il est jugé par le tribunal suprême judiciaire. Hors exercice de ses fonctions, le président relève du droit commun mais seulement après expiration de son mandat.

Premiers ministres: des citoyens presque normaux…

En ce qui concerne les chefs de gouvernement, leur responsabilité pénale est complète et totalement identique au droit commun dans seulement deux pays: le Danemark et le Royaume-Uni. Dans tous les autres pays, le droit commun s'applique pour ce qui est des actes commis hors de l'exercice des fonctions ministérielles.

Ces dernières années, la meilleure illustration de cette réalité est venue d'Italie. Les multiples scandales financiers et sexuels autour de la personne de Silvio Berlusconi, ont bien montré que le président du conseil peut faire l'objet de poursuites des tribunaux pendant l'exercice de son mandat. Mais on a vu aussi combien la Chambre des députés pouvait faire obstruction à ses actions en modifiant les lois.

… sauf dans le cadre de leurs fonctions.

Concernant les seuls délits commis dans le cadre des fonctions de premier ministre, la plupart des pays prévoient un tribunal dérogatoire au droit commun: conseil national en Autriche, cour d'appel en Belgique, tribunal suprême en Espagne et aux Pays-Bas, juridiction spéciale en Grèce. En Allemagne, Autriche et Italie, les tribunaux de droits communs fonctionnent.

Enfin dans certains pays (Espagne, Grèce, Italie), le chef du gouvernement ne peut être poursuivi qu'après autorisation du parlement.

Les statuts protecteurs pour les chefs d'Etat sont donc finalement assez nombreux. En revanche, en comparant ceux qui dirigent effectivement le pays et qui sont, sauf en France, des chefs de gouvernement, l'immunité est une exception française.




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