Berlin vient d'annoncer la mise en place d'une vignette automobile d'ici 2016 qui ne s'appliquera, in fine, qu'aux étrangers. Ses voisins s'insurgent.
Le ministre des Transports allemand, Alexander Dobrinbt, a annoncé le 7 juillet son intention de mettre en place une vignette automobile dans son pays d'ici 2016 pour tous les usagers du réseau routier. La mesure concernerait les autoroutes, mais aussi le réseau secondaire. L'usager devrait donc s'acquitter de 110 euros par an, ou 20 euros pour deux mois, ou encore 10 euros pour 10 jours de circulation dans le pays. Alexander Dobrindt a estimé que cette mesure pourrait rapporter jusqu'à 2,5 milliards d'euros tous les 5 ans. Une somme non négligeable alors que l'état des routes allemandes laisse à désirer.
Lors des rencontres économiques d'Aix-en-Provence le week-end dernier, la directrice du FMI, Christine Lagarde, qui plaidait pour une relance des investissements publics afin de "donner à la croissance une impulsion", conseillait notamment à l'Allemagne de faire plus d'efforts concernant ses dépenses d'infrastructures, particulièrement ses routes.
Si l'intérêt financier de cette mesure semble évident, il est pourtant fortement critiqué pour une raison : il ne viserait que les véhicules étrangers.
Une taxe anti véhicules étrangers
En effet, cette vignette devrait être payée par tous les usagers sans distinction. Mais les Allemands, eux, bénéficieraient d'une ristourne fiscale sur l'automobile en compensation de telle sorte que "Il n’y aura pas de surcharge pour les automobilistes allemands" comme l'affirme Alexander Dobrindt.
Cette mesure constitue donc de facto à une discrimination des véhicules. Un système non seulement contraire à l'idée de l'ouverture des frontières européennes, mais aussi non conforme à la législation européenne qui interdit les discriminations entre véhicules nationaux et étrangers.
Dans une interview accordée au quotidien régional les Dernières Nouvelles d'Alsace, le maire de Strasbourg, Roland Ries, y voit "une atteinte à la libre circulation" au sein de cet espace transfrontalier qui se veut précisément comme "un territoire sans frontière".
La Commission européenne a d'ores et déjà annoncé son opposition au projet, tandis que les Pays-Bas et l'Autriche ont averti que, si la mesure était mise en place, ils porteraient plainte.
L'Automobile Club Association pointe aussi le caractère "discriminatoire" de cette mesure et se réserve la possibilité "de réclamer une action de l’Etat français pour exercer un recours", a précisé son président Roger Braun.
Mais, pour Dobrindt, le fait de taxer tous les véhicules sans distinction de nationalité empêche les accusations de discrimination. La ristourne fiscale est alors utilisée pour contourner la réglementation. Cependant, l'esprit de la loi reste mis à mal.
Les frontaliers, français comme allemands, opposés
En France, la mesure est aussi mal accueillie, surtout en Alsace-Lorraine. Ce sont en effet 50.000 Français qui travaillent en Allemagne et roulent donc quotidiennement sur les routes allemandes selon l'Insee.
Cédric Rosen, président de l'Association des frontaliers d'Alsace-Lorraine s'inquiète donc d'une "atteinte au pouvoir d'achat des travailleurs frontaliers".
On craint aussi qu'une partie du trafic routier allemand ne se reporte sur les routes alsaciennes, avec les répercussions néfastes que l'on imagine : nuisance sonore, pollution, saturation du trafic…
Côté allemand, la mesure n'est pas non plus accueillie avec un fol enthousiasme. Le maire de Kehl, ville située côté allemand en face de Strasbourg, a ainsi écrit au ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble pour lui faire part de sa "grande inquiétude", rappelant que 45% des clients des commerces du centre-ville de Kehl sont français.
Même au niveau de la classe politique nationale allemande, le projet rencontre peu de soutiens. Aucun parti de gouvernement, hormis la CSU n'approuve cette vignette. Angela Merkel, elle-même, avait affirmé durant sa campagne que, si elle était réélue, elle ne mettrait pas en place de péages sur les routes allemandes. Seulement, le projet était un point indiscutable pour obtenir que la CSU accepte de faire partie de la coalition au gouvernement.
La puissante fédération automobile allemande avait également indiqué qu'elle voyait d'un œil "critique" ce projet. La compensation par une ristourne sur les impôts allemands devrait la satisfaire.
Mi-avril, Ségolène Royal, ministre de l'Environnement en France, avait émis l'idée de faire payer le manque à gagner de la réduction de l'écotaxe par les camions étrangers. Déjà, la Commission avait indiqué son opposition et rappelé la législation européenne en la matière.
En taxant tous les véhicules et en utilisant la fiscalité nationale pour compenser pour ses citoyens, l'Allemagne tente donc de mettre en place le même système, mais avec une astuce juridique qui pourrait lui permettre d'y parvenir. L'histoire pourrait alors être portée devant les tribunaux européens.