La Commission Européenne a lancé une procédure d'infraction à l'encontre de la France concernant l'application de la TVA réduite à la presse en ligne. Paris a deux mois pour répondre à cette mise en demeure.
En France, la Taxe sur la Valeur Ajoutée est actuellement fixée à 20%. Mais certains produits et services bénéficient aujourd'hui d'une TVA réduite voir super-réduite (2,1%), C'est le cas pour les médicaments remboursables par la sécurité sociale mais aussi pour la presse "imprimée".
Pour accompagner la mutation de la presse qui s'exile de plus en plus vers les formats numériques, le gouvernement français a fait passer en février dernier une loi qui permet à la presse sur internet de bénéficier aussi de ce taux de 2.1%.
La France jugée hors-la-loi
Mais cette mesure est jugée par Bruxelles illégale au regard du droit européen. En effet, les règles européennes concernant la TVA sont dictées par une directive datant de 2006. Les possibilités d'application d'une TVA réduite sont peu nombreuses et assez strictes (art. 98). Cette norme européenne interdit l'application de ce taux notamment pour les services proposés par voie électronique comme la fourniture d'images, de textes et d'informations.
C'est pour cette raison que la France a été rappelée à l'ordre par la Commission européenne qui a lancé une procédure d'infraction (*) . Emer Traynor, porte parole du commissaire européen chargé de la fiscalité, ajoute:
Un Etat membre ne peut pas s'affranchir des règles décidées ensemble. Encore moins en matière fiscale, où les décisions se prennent à l'unanimité."
Contradictions bruxelloises
Mais la France ne semble pas prête à se laisser faire et elle a des arguments. En effet, la jurisprudence européenne a plusieurs fois réaffirmé le principe de neutralité fiscale. Cela signifie que deux prestations en concurrence doivent avoir les mêmes contraintes fiscales, ici l'application du même taux de TVA pour la presse "imprimée" et la presse "en ligne". En refusant la TVA réduite à la presse internet, Bruxelles encourage ainsi la distorsion de concurrence en totale contradiction avec un principe inflexible mis en avant à maintes reprises pour condamner les ententes entre entreprises d'un même secteur.
Ainsi dans un arrêt du 10 novembre 2011, le Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) précise que, dans une telle situation, il y a bel et bien une présomption de distorsion de la concurrence. L'argument semble solide pour le gouvernement français car il a déjà harmonisé les taux de TVA entre le livre papier et le livre numérique en 2012.
La CJUE s'était saisie du dossier, mais Paris affirmait déjà que
Cette saisine n'est pas une surprise et les autorités françaises en prennent acte. La France défendra devant la Cour de justice le principe de neutralité fiscale afin de ne pas entraver l'essor du livre numérique alors même que le marché européen est en cours de structuration."
Une issue incertaine
La France a décidé de passer en force sur ce sujet car l'enjeu est important pour la presse française et européenne. La presse papier étant en difficulté, elle ne peut pas se permettre de rater sa "transition numérique".
C'est, par ailleurs, quasiment une obligation constitutionnelle pour la France de la soutenir. En effet l'article 4 de la Constitution précise que "la loi garantit les expressions pluralistes des opinions". Une idée également reprise par l'article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme.
Mais cette politique publique de soutien à la presse est freinée par le droit européen. Selon un rapport de l'Assemblée nationale, la France tente depuis 2006 de faire bouger les choses au niveau européen. Elle a maintenant décidé de passer à la vitesse supérieure, quitte à se faire sanctionner par la Cour de justice européenne.
L'avenir de la TVA est une des préoccupations européennes. En 2011 la Commission déclarait déjà:
des biens et services similaires devraient être soumis au même taux de TVA et le progrès technologique devrait être pris en considération à cet égard, de façon à ce que l’on puisse répondre au défi consistant à assurer la convergence entre les supports physiques et électroniques".
Mais les procédures sont longues et il est nécessaire d'entendre l'avis de tous les Etats européens pour se mettre d'accord, surtout en matière fiscale. Le Royaume-Uni et le Danemark entre autres semblent opposés à une révision de cette directive sur la TVA. Mais la France semble confiante car l'Allemagne, qui était hostile à cette mesure, vient de rejoindre le camp des défenseurs de la presse en ligne.
(*) Quand un pays enfreint le droit européen, la Commission européenne engage tout d’abord une procédure administrative appelée «procédure d’infraction». L’objectif est la mise en conformité volontaire de l’État membre aux exigences du droit de l'Union. L'étape suivante est la saisine de la Cour de justice européenne.