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Migrants en Méditerranée: l’Italie et l’Europe se défaussent

mercredi, 5 novembre, 2014 - 09:32

La Marine italienne n’est désormais plus seule en Méditerranée pour surveiller ses frontières maritimes. Ses voisins européens, dont la France, participent à l’"Opération Triton" dont le premier souci n’est pas de venir aux migrants en perdition, mais de surveiller les frontières maritimes de l’Europe.

 

Chronique sur RFI - Les migrants en Méditerranée 

 

Frontex, l’agence européenne chargée de la surveillance des frontières a officiellement lancé depuis le 1er novembre l'"Opération Triton". Triton, dieu marin, fils de Poséidon et sauveur des vaisseaux échoués après la tempête. On voudrait croire que cet emprunt à la mythologie grecque n'est pas destiné à sauver les apparences.

Cela faisait des années que l’Italie demandait à ses partenaires européens de l’aider à porter au secours des migrants clandestins au large de ses côtes. En octobre 2013, à la suite de la mort de 366 migrants au large de Lampedusa, Rome avait renforcé sa présence en Méditerranée pour tenter de réduire le nombre de morts en lançant l’opération "Mare Nostrum". Place désormais à "Triton" à laquelle participent depuis quelques jours huit pays, dont la France, l’Espagne, le Portugal, la Finlande et les Pays-Bas.

Plus de 100.000 migrants sauvés par les Italiens

Le problème est que cette force européenne n'est pas à la hauteur des moyens mis en œuvre jusqu'à présent par la seule Marine italienne. Au yeux des Italiens, "Triton" a vocation à se substituer à leur Marine nationale. Mais, pour la Commission européenne, c'est seulement une force d'appoint à "Mare Nostrum".

Dans le cadre de cette opération, l'Italie avait déployé en Méditerranée 900 soldats et mobilisé 32 navires appuyés par des hélicoptères, un avion et des drônes.

Une telle armada coûtait cher, trop cher, estimait le gouvernement italien. Evalué initialement à 1,5 millions d’euros par mois, le budget de Mare Nostrum a dépassé 9 millions d’euros par mois depuis un an, pour un coût total de 114 millions. Une charge presque entièrement supportée par l’Italie, l’Europe n’accordant qu’une aide symbolique à Rome.  Mais le résultat est là : en un an, les Italiens affirment avoir sauvé 100.200 migrants et avoir arrêté 728 passeurs.

Une flotte européenne sans grands moyens

En comparaison, les moyens de la nouvelle force européenne déployée en Méditerranée sont, du moins dans un premier temps, ridiculement faibles. Le budget prévu est de seulement 2,9 millions d’euros mensuels, soit 3 fois moins que celui de "Mare Nostrum". Elle ne dispose ainsi que de 7 navires: 4 patrouilleurs de haute mer, 1 navire de patrouille côtière, 2 patrouilleurs côtiers ainsi que 4 avions et 1 hélicoptère. Alors certes, les pays participant ont promis de faire à l'avenir des efforts supplémentaires, mais ce ne sont pour le moment  que des promesses verbales.

Et c'est cette petite flotte européenne qui doit non seulement patrouiller au large de l’Italie, mais aussi de Malte, de la Grèce et de l’Espagne !

L’autre problème majeur dénoncé notamment par Amnesty International est la mission fixée à cette flotte européenne qui intervient dans le cadre de Frontex, l’agence européenne chargée de la surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne et non du sauvetage des clandestins.

Pour Amnesty International, Triton n’est donc pas une opération de recherche et de sauvetage, mais une opération de surveillance des frontières méditerranéennes de l'Europe.

Il est vrai que l’on n’imagine pas que l’Italie cesse totalement de secourir les migrants en Méditerranée, même si Rome affirme que l’opération Mare Nostrum est terminée, dès lors que les Européens prennent le relais.

Le ministre italien de l’intérieur a ainsi précisé que les opérations de sauvetage continueront "conformément aux lois de la mer". Mais l'Italie va sans nul doute réduire le nombre de navires pour le  sauvetage des migrants. De plus, le périmètre d’action de l’"Opération Triton" sera plus réduit que celui de "Mare Nostrum" qui s’étendait jusqu’aux côtes africaines.

La Méditerranée restera un cimetière

D’où les inquiétudes, non seulement d'Amnesty, mais ausssi du Haut Commissariat aux réfugiés des Nations Unies qui redoute le pire dans les prochains mois en Méditerranée.

Et si à Lampedusa la population a été exemplaire en se mobilisant pour aider les réfugiés, une partie des Italiens dénonce l’appel d’air constitué par ces opérations humanitaires. Récemment, une manifestation à Milan organisée par la Ligue du Nord contre "l’invasion" supposée de l’Italie par les migrants a réuni plus de 100.000 personnes.

De plus, "Mare Nostrum" a été critiquée pour ses effets pervers: les passeurs sachant que leurs embarcations pouvaient être secourues par la Marine italienne, les passeurs les mettaient sciemment en danger en la surchargeant de migrants.

Mais le plus souvent, elle coulent avant. Depuis le début du siècle, 22.000 migrants ont perdu la vie par noyade en Méditerranée, par asphyxie dans les cales de leur embarcation, et de faim ou de froid (*). Et rien que sur les 9 premiers de cette année, 3.072 ont péri. On serait proche des 4000 morts aujourd'hui faisant de 2014 l'année la plus meurtrière depuis 2000. Avec le nouveau dispositif européen, la Méditerranée risque d'être plus que jamais un cimetière.


(*) Chiffres de l’OIM, l’Office international des migrations.




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