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Comment 1000 milliards s’évadent au paradis en Europe

mercredi, 12 novembre, 2014 - 17:58

En Europe, chaque année 1000 milliards d'Euros trouvent refuge dans les paradis fiscaux. Apple, Amazon, Heinz, Pepsi, Ikea, Deutsche Bank, Fiat, Axa… sont les champions de cette colossale évasion fiscale. Les Etats lésés affirment vouloir réagir. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Explications.

 

Chronique sur RFI - L'évasion fiscale 

 

En Europe, le Luxembourg a été épinglé par Le Monde et d'autres titres de la presse internationale qui ont mené une enquête commune. Ce petit pays est le champion de la fiscalité sur mesure pour les plus grands groupes mondiaux. Mais il n'est pas le seul à pratiquer ce dumping fiscal. Explications en 6 questions.

Le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) a mené une longue enquête sur le Luxembourg. Que révèle-t-elle ?

Evidemment pas que le Grand Duché est un paradis fiscal. Cela, c'est de notoriété publique même si il y a cinq ans, Nicolas Sarkozy avait affirmé que "les paradis fiscaux c'est fini". Non, cette enquête internationale, met, preuves à l'appui consultables sur le site Luxembourg Leaks, l'importance de l'évaporation fiscale au pays de Jean-Claude Junker, nouveau président de la Commission européenne.

Selon une évaluation récente de cette même Commission, ce sont 1000 milliards d'euros qui disparaissent ainsi chaque année. 1000 milliards de recettes fiscales en moins pour l'ensemble des pays de l'Union européenne. C'est colossal. Pour donner un ordre de grandeur, c'est prés de la moitié du produit intérieur brut français, et 8% du PIB européen, autrement dit le la richesse produite chaque année en France et en Europe.

Comment est-ce possible ?

C'est possible grâce à des accords fiscaux secrets avec plus de 300 multinationales qui ont pour nom Apple, Amazon, Heinz, Pepsi, Ikea, Deutsche Bank, Fiat… mais aussi Axa ou le Crédit Agricole.

Appelés "tax rulings", ces accords permettent aux entreprises leaders de l'économie mondiale de défiscaliser en grande partie et même parfois totalement leurs profits réalisés en Europe. Un pays de l'union européenne sert donc de machine à laver fiscale vis à vis des autres pays européens.

Les entreprises risquent-elles un redressement fiscal ?

C'est peu probable.  Les conseillers fiscaux de ces géants sont des orfèvres en matière d'optimisation fiscale dite "agressive" !  Ils savent donc parfaitement user et abuser en toute légalité des failles des accords et règlements internationaux !

Alors, certes, un plan de lutte contre l’optimisation fiscale des multinationales est à l'ordre du jour du sommet du G20 les 15 et 16 novembre en Australie, mais il ne faut pas en attendre des miracles. Le ministre des finances luxembourgeois estime ainsi que les tax rulings font "partie patrimoine" de son pays. Cela veut tout dire !

Les autres pays d'Europe sont-ils plus vertueux que le Luxembourg ?

Pas vraiment et c'est bien pourquoi ils protestent et s'agitent beaucoup, mais laissent faire leur petit mais rapace voisin. La Commission européenne a récemment ouvert des enquêtes sur ces "tax ruling" dans 3 pays: le Luxembourg, mais aussi les Pays-Bas et Irlande. Cela  concerne 4 entreprises: Amazon, Starbucks et Apple et Fiat. Elle a également demandé des informations à d'autres Etats suspectés, eux aussi, de leur accorder des aménagements fiscaux à la carte.

Car, un peu partout en Europe, l'imagination est grande en ces temps de chômage massif quand il s'agit d'attirer des entreprises qui emploient des milliers de personnes.

Ce qui se pratique souvent, ce sont des ristournes fiscales pour les entreprises considérées comme innovantes. Les critères sont assez flous et cela permet d'aménager la fiscalité à la demande.
Ainsi, depuis l'an dernier au Royaume-Uni, une entreprise peut réduire considérablement ses impôts si elle dépose et exploite des brevets "innovants".

L'Irlande elle, s'apprête à faire à faire beaucoup plus fort. Dublin a l'intention de donner la possibilité aux entreprises de ne plus payer d'impôts sur les revenus provenant de  la propriété intellectuelle. C'est encore plus imprécis qu'en Grande-Bretagne, mais le Premier ministre irlandais ne cache pas que ce sera pour son pays, un "élément clé de compétitivité internationale"!

Face aux accusations de dumping fiscal caractérisé, Michael Noonan a néanmoins été contraint le mois dernier de faire un geste d'apaisement. Il a promis la fin  du "Double Irish", un dispositif permettant aux entreprises basées en Irlande de rapatrier dans ce pays les bénéfices de leurs filiales européennes sous forme de droits intellectuels et de redevances. La holding irlandaise est également autorisée à avoir "son centre de management effectif" dans un paradis fiscal non européen, comme les Bermudes ou les îles Caïmans. Mais pas de panique pour les groupes déjà en Irlande, ils pourront profiter de cette largesse fiscale jusqu'en 2020.

D'autres pays font-ils de même ?

La concurrence fiscale est une spirale infernale pour les Etats. Pour attirer ou garder les entreprises internationales, les administrations fiscales font preuve d'une grande imagination.

L'Espagne permet ainsi de déduire de l'impôt une partie des bénéfices tirés de la cession ou de la transmission d'actifs intangibles c'est à dire, par exemple, d'un brevet ou d'une marque.

En France, c'est le Crédit impôt recherche (CIR) qui est pris en compte par les multinationales dans leurs stratégies d'optimisation fiscale. Il permet de déduire de l'impôt sur les sociétés 30% des investissements recherche et développement, dans la limite de 100 millions d'euros. Mais les conseillers fiscaux ont vite trouvé la parade pour exploser ce plafond. Les grands groupes ont tout simplement multiplié les filiales, chacune pouvant bénéficier de ce dégrèvement de 100 millions.

Mis à part ouvrir des enquêtes, que peut faire la Commission européenne?

Rien d'autre, et c'est bien le principal problème. La fiscalité directe reste un domaine de compétence des Etats. C'est bien pourquoi la Commission européenne enquête uniquement sur des cas particuliers au nom de la distorsion de la concurrence. Quand le Luxembourg permet à Amazon de payer moins d'impôt que les autres entreprises, il accorde un avantage économique assimilable à des aides publiques qui, elles, sont illégales au nom de la concurrence libre et non faussée. 

Mais il va être intéressant de voir maintenant comment la nouvelle Commission avec à sa tête Jean-Claude Junker, va gérer cette affaire. Junker a été pendant 18 ans, de 1995 à 2013, le chef du gouvernement luxembourgeois, période pendant laquelle son pays a signé des accords fiscaux sur mesure avec 340 multinationales, comme le révèle le consortium de journalistes LuxLeak.




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