Alors que l’Italie se bat contre la fraude et la corruption, qui gangrènent son économie, mais aussi contre une dette publique record, de nouveaux scandales secouent le pays. Et confortent le gouvernement Renzi dans sa lutte contre ce fléau national persistant.
"L’Italie est un pays où le taux de fraude fiscale est très élevé, et ce depuis très longtemps. Les chiffres ne sont pas sûrs à 100%, mais selon les estimations, on serait à environ 20% du PIB, un chiffre considérable". Maurizio Franzini, professeur de politique économique, plante ainsi le décor peu glorieux d’une économie asphyxiée par un niveau de fraude démesuré.
De récentes affaires sont encore récemment venues conforter cet état des lieux. Fin octobre, la police financière italienne avait démantelé une organisation spécialisée depuis 2001 dans la fiscale par le biais de fausses factures, de sociétés écran et de comptes dans des paradis fiscaux, au Luxembourg et à Saint-Marin. 1,7 milliard d’euros n’a ainsi jamais été déclaré aux services fiscaux.
Il y a quelques semaines, c’est une autre affaire de fraude à la TVA qui faisait la Une de la presse : des entreprises auraient empoché 1,15 milliard d’euros sur le marché des quotas d'émission de carbone, en achetant hors taxes des "droits à polluer", revendus TTC par des entreprises qui disparaissaient ensuite en ayant empoché la TVA. Un scénario est bien connu – il avait secoué toute l’Europe dès 2008/2009 lors de l’ouverture du marché – mais une première en Italie de cette ampleur.
Allergie à la TVA
La police financière a donc fort à faire pour tenter d’assainir l’économie du pays. En 2012, elle avait en effet identifié près de 60 milliards d’euros liés à l’évasion fiscale. La liste des chiffres vertigineux ne s’arrête pas là: l’Italie représente à elle seule 36,1 des 193 milliards d’euros de TVA non collectée dans l’Union européenne en 2011, occupant ainsi la première place de ce podium peu enviable.
Et des entreprises les plus connues ne sont pas étrangères à ces évasions fiscales massives. Les deux créateurs de Dolce & Gabbana, la célèbre maison de mode italienne, ont été condamnés cette année en appel à 18 mois de prison pour fraude fiscale. Ils auraient créé une société écran au Luxembourg pour échapper au fisc italien et soustraire un milliard d’euros de ses radars.
Smartbox, la célèbre entreprise française qui commercialise des coffrets-cadeaux, est aussi éclaboussée. Elle est accusée par le fisc italien de n’avoir pas déclaré 105 millions d’euros, et de n’avoir pas payé 12 millions d’euros de TVA relatifs aux activités de sa filiale transalpine.
Celle-ci aurait en effet, durant 5 ans, fait passer une partie de ses revenus sur la compte de sa société mère, Smartbox Experience Ltd, basée dans le paradis fiscal irlandais, afin d’échapper à l’imposition italienne. En France déjà, la délocalisation d’une partie de l’activité de Smartbox vers l’Irlande avait fait grincer des dents, cette réorganisation aux allures d’optimisation fiscale s’étant accompagnée en 2012 de la perte de 90 emplois (sur 400) en France. Cela n’a pas permis pour autant d’endiguer la perte de vitesse de l’entreprise sur son marché…
La fraude, sport national
Quant aux personnalités publiques, elles ne sont pas en reste. Fabio Cannavario, célèbre footballeur, est soupçonné d’avoir utilisé à des fins principalement personnelles des bateaux de luxe qu’il déclarait être destinés à la location. D’où un manque à gagner d’un million d’euros pour les impôts italiens. Flavio Briatore, grand ponte du sport automobile, a quant à lui récemment comparu pour une affaire similaire, où il est accusé du non-paiement de 3,6 millions d’euros de TVA.
Et bien sûr, l’un des grands symboles de cette fraude sapant les finances italiennes est, sans nul doute, Silvio Berlusconi avec sa société Mediaset, qui rachetait à des sociétés étrangères, détenues par l’entourage de Berlusconi, des droits audiovisuels aux prix gonflés afin de faire baisser ses bénéfices – et donc ses impôts – en Italie.
Silvio Berlusconi a finalement été condamné l’année dernière pour fraude fiscale, au terme d’un feuilleton judiciaire marqué par sa longueur et ses improbables rebondissements. Une affaire qui pourrait aussi illustrer l’autre cancer de l’économie italienne : la corruption, et les collusions entre le politique et le monde des affaires … Dans le classement sur la corruption dans le monde établi par l’ONG Transparency International (1), l’Italie occupe d’ailleurs une piètre 69ème place sur 177, en bas du tableau européen.
Le gouvernement fermement résolu à lutter
Si le tableau semble plutôt sombre, il faut néanmoins noter que les successeurs de Silvio Berlusconi, depuis Mario Monti qui avait déclaré « la guerre à l’évasion fiscale », ont tous fait de la lutte contre la fraude une vraie priorité de leurs gouvernements respectifs. En 2013, le fisc italien a réussi à récupérer 13 milliards d’euros des fraudeurs. Il vise un montant similaire pour 2014 puis une augmentation à 15 milliards pour 2015.
Des moyens humains (et même animaux, avec l’utilisation de chiens renifleurs de billets dans les aéroports pour repérer les évasions fiscales réalisées via transport de mallettes de billets…), matériels et informatiques (avec le logiciel Redditometro qui détecte les fraudes en comparant les revenus déclarés et les dépenses des foyers italiens, ou le site Evasori qui incite à dénoncer les fraudes (2)) ont notamment été déployés.
Car pour l’Italie, récupérer l’argent de la fraude est plus que jamais vital : c’est le second pays le plus endetté d’Europe après la Grèce (3), et la pression fiscale sur ceux qui payent a atteint des niveaux particulièrement importants. Trop d’impôt tue l’impôt, mais trop d'évasion fiscale l'augmente pour ceux qui le payent.
(1) http://www.transparency.org/cpi2013/results
(2) http://www.evasori.info
(3) Avec 135,6% du PIB au premier semestre 2014