Après l'aéroport de Toulouse et le Club Med, Pirelli, champion italien des pneumatiques, vient de passer à son tour sous pavillon chinois. La Chine va-t-elle racheter l'Europe ?
Chronique sur RFI - La Chine et l'Europe
Ayant accumulé – à force d’excédents commerciaux – 4.000 milliards de dollars de réserves de change, la Chine a bien l’intention de multiplier ses investissements directs internationaux. Et tout particulèrement dans la zone euro devenue très attractive du fait de la dépréciation de la monnaie unique et de la faiblesse d’un certain nombre d’entreprises européennes fragilisées par leur endettement.
Après l’achat, en décembre 2014, de 50% des parts de l’aéroport de Toulouse-Blagnac par le consortium chinois Symbiose pour 300 millions d’euros, après l’OPA réussie, en février dernier, du Chinois Fosun sur le Club Méditerranée (une opération à plus de 900 millions d’euros), c’est l’Italien Pirelli, 5ème fabricant mondial de pneumatiques, qui vient de tomber, le 22 mars, dans l’escarcelle de China Chemical Corp pour plus de 7 milliards d’euros.
Le symbole du savoir-faire italien
Entreprise milanaise fondée en 1872 pour fabriquer des pneus de vélos, Pirelli était le symbole du savoir-faire italien dans le secteur automobile. Avec son chiffre d’affaire annuel de 6 milliards d’euros, elle pèse pourtant peu face aux 36,7 milliards d’euros de CA du conglomérat public ChemChina que l’Etat « communiste » a créé il y a seulement onze ans.
Pour la Chine, ce rachat est stratégique. Afin de faire face à l’accroissement rapide de son marché automobile, le géant asiatique a développé une politique d’alliance avec les Européens et les Américains. 70% des voitures chinoises construites en Chine le sont en partenariat avec des constructeurs étrangers, notamment General Motors, Volkswagen ou Nissan. La solution la plus rapide pour tourner cette dépendance consiste donc à racheter des fournisseurs automobiles de pointe dans le secteur automobile des pays de l’OCDE.
Les investissements en Europe explosent
En comparaison du PIB européen, les investissements chinois sur le vieux continent restent modestes. Mais le stock d’investissements chinois est passé de 27 milliards d’euros en 2012 à près de 60 milliards en 2014.
Selon le think tank conservateur américain Heritage Foundation, c’est le Royaume-Uni qui se taille la part du lion avec 24 milliards de dollars investis par les Chinois de 2005 à 2014. On trouve la France en 2ème position avec 11 milliards de dollars suivie de l’Italie avec 7 milliards en Italie (mais ce chiffre va doubler avec le rachat de Pirelli) et de l’Allemagne avec 6 milliards. Les Chinois ont investi également dans des petits pays comme la Grèce ou le Portugal (respectivement 5,5 et 5,4 milliards). Suivent d’autres pays comme la Norvège ou la Hongrie (environ 4,5 milliards).
Mais l’on a encore rien vu. Selon la China Citic Bank, la Chine devrait investir à l’horizon 2017 200 milliards de dollars par an à l'étranger, dont une part croissante en Europe.
Une stratégie très ciblée
Cela n’empêche pas l’Empire du Milieu de mener une stratégie d'investissement très ciblée en fonction des points forts de chaque pays européen.
Ainsi, en France, c’est le savoir-faire du pays dans les domaines de l'agroalimentaire, du vin et du tourisme qui est clairement visé. Les Chinois rachètent donc des marques comme le Club Med ou l'hôtel Marriott des Champs-Elysées, ainsi que des grands crus du vignoble bordelais. Ils ont également jeté leur dévolu sur plusieurs laiteries en Normandie et en Poitou-Charente afin de fournir du lait de qualité aux bébés chinois victimes, ces dernières années, de nombreuses affaires de lait frelaté produit localement.
Les Chinois s’intéressent également aux infrastructures qui permettront demain à leurs touristes de venir encore plus nombreux apprécier l’art de vivre à la française. D’où le récent investissement dans l'aéroport de Toulouse-Blagnac.
Sécuriser l’accès aux marchés
Mais la grande préoccupation de Pékin en matière d’infrastructure, c’est de sécuriser leur accès aux marchés européens. D’où les investissements important déjà effectués sur le port grec du Pirée, porte d'entrée sur l’Europe occidentale, mais aussi sur la mer Noire, le Moyen-Orient et les Balkans. Après avoir affirmé vouloir bloquer le rachat de l'ensemble du port, le nouveau chef du gouvernement grec Alexis Tsipras vient de céder à la pression de Bruxelles en acceptant sa privatisation.
Par ailleurs, les armateurs grecs sont les plus importants clients des chantiers navals chinois et transportent une grande partie du made in China de par le monde.
D’autres pays de taille modeste séduisent les Chinois. Pour des considérations historiques, le Portugal a ainsi attiré, dans ses secteurs de la production électrique ou de l’assurance, presque autant de capitaux chinois que l'Allemagne. Cela s'explique essentiellement par les liens étroits tissés entre Hongkong, ancienne colonie Britannique et sa voisine Macao, ancienne colonie portugaise.
Séduction britannique, méfiance allemande
Terre d’élection des investisseurs chinois, le Royaume-Uni attire pour son libéralisme économique et la politique très accueillante de son gouvernement vis à vis du capital étranger. En particulier, les grandes banques chinoises sont toutes présentes à la City, base idéale pour financer les opérations industrielles en Europe, mais aussi pour faire fructifier leurs capitaux dans l'immobilier londonien.
A l'inverse, Pékin semble bouder le dynamisme économique de l'Allemagne où les groupes chinois investissent deux fois moins qu’en France et quatre fois moins qu'en Grande-Bretagne. En fait, l'Allemagne et la Chine sont avant tout des rivaux sur le plan commercial et les industriels allemands sont particulièrement sensibles aux risques de transferts de technologies. Ils ont une longueur d'avance et veulent la conserver car la machine-outil allemande équipe de très nombreuses usines chinoises, notamment les plus performantes.
Sinophobie ?
Dans un continent en mal d’investissement, on pourrait cependant s’étonner de la réticence des opinions publiques à voir s’intensifier des investissements chinois après tout créateurs d’emplois. Il faut dire que le géant asiatique est souvent supposé exporter une certaine forme de dumping social.
Mais il y a aussi la méfiance engendrée par le mélange des genres entre économie étatique et ultra libéralisme. 40% des entreprises chinoises sont encore des entreprises publiques et ce sont souvent elles qui rachètent des ports ou des aéroports aux monopoles publics européens. C'est le cas du port du Pirée, « privatisé » avec des capitaux publics …