Face au gonflement du flot des réfugiés en provenance du Moyen-Orient, la France accepte d'en accueillir 30.000. C’est peu si l’on considère les 200.000 demandes d'asile adressées à l'Allemagne depuis le début de l'année.
Chronique sur RFI : L'Europe face aux réfugiés
Une semaine après la découverte en Autriche de 71 cadavres de migrants dans un camion réfrigéré, la photo du corps sans vie du petit Aylan a secoué l’opinion publique européenne. Face à une recrudescence, ces derniers jours, des flux de réfugiés arrivant notamment en Autriche et en Allemagne, la France s’est enfin décidé à bouger en annonçant, par la voix du président Hollande, qu’elle était prête à accueillir 24.000 réfugiés supplémentaires dans les deux ans. Soit plus de 30.000 si l’on tient compte des précédents engagements de Paris.
L’ébauche d’une répartition
Cette annonce intervient dans le cadre du « mécanisme permanent et obligatoire de répartition des réfugiés » que les ministres européens de l’intérieur doivent mettre au point le 14 septembre alors que la Commission européenne préconise l’accueil de 160.000 personnes dans tous les Etats-membres de l’UE. Dans ce cadre, l’Allemagne s’engage de son côté à accueillir 40 .000 réfugiés supplémentaires tandis que le Royaume-Uni en accepterait 20.000… mais sur cinq ans.
En réalité, ces chiffres – à première vue conséquents – ne sont toujours pas à la hauteur du problème si l’on observe la réalité des flux migratoires vers l’Europe depuis de nombreux mois. Car l’afflux de réfugiés ne cesse de s’accélérer. Selon l’office européen des statistiques Eurostat, il y a eu 626.000 demandes d’asile dans l’UE l’an dernier. Or, le chiffre du seul premier semestre 2015 atteint 417.000 et les entrées ne cessent de s’intensifier depuis juin. Au point que l’on pourrait dépasser en 2015 – et même de beaucoup – le million de demandeurs d’asile !
L’Allemagne en première ligne
Plus que jamais, l’Allemagne est en première ligne. Ce pays était ainsi, l’an dernier, à l’origine du tiers des demandes d’asile. Au premier semestre, elle en représente 41%. Depuis le début de l’année, plus de 200.000 réfugiés y ont fait une demande d’asile. Au point qu’il y a Outre-Rhin autant de demandes que dans l’ensemble des cinq pays qui suivent, à savoir la Hongrie, la France, l’Italie, la Suède et le Royaume-Uni.
Le cas de la Hongrie est cependant particulier : c’est uniquement un pays de transit puisque, l’an dernier, il n’a accordé l’asile qu’à 550 des 43.000 demandeurs. Et si, au premier semestre, un nombre record de 67.000 personnes ont fait une demande d’asile en Hongrie (contre 32.000 en France et 30.500 en Italie), ces réfugiés n’ont qu’une idée : passer en Autriche ou en Allemagne. De fait, ils ne sont pas les bienvenus dans le pays du premier ministre Viktor Orban, omnubilé par la fermeture hermétique des frontières maggyares. Mais même Viktor Orban va devoir coopérer avec ses voisins européens car il se rend bien compte que murs et barbelés ne font que retarder l’entrée des migrants transitant via les Balkans.
En général, les pays de l’Est sont plutôt fermés à l’égard des flux en provenance de Méditerranée. La République tchèque n’accueille qu’un nombre infime de réfugiés tandis que la Pologne n’a accordé en 2014 l’asile qu’à 740 personnes. Mais, là encore, le premier ministre polonais Donald Tusk, qui préside actuellement le conseil européen, s’est dit prêt à accroître les efforts de son pays.
La Suède, championne de l’ouverture
Tout au contraire, une nation comme la Suède est championne de l’accueil. Avec 29.000 demandes au premier semestre, elle attire presqu’autant de monde que la France, pays six fois plus peuplé. Surtout, la Suède est de loin le pays le plus accueillant d’Europe avec 77% de demandes d’asile ayant reçu une réponse positive en 2014.
D’autres pays se montrent ouverts. Le pourcentage de réponses positives par rapport aux décisions statuant sur les demandes d’asile atteint 67% aux Pays-Bas, 59% en Italie, 42% en Allemagne et 39% au Royaume-Uni. Soulignons que pour la France, cette proportion n’est que de 22%. Un chiffre qu’il faut néanmoins relativiser puisque l’Hexagone statue sur la totalité des demandes d’asile qui sont faites, ce qui n’est pas le cas dans la plupart des autres pays qui ont du mal à gérer l’afflux de demandes.
Concrètement, sur 183.000 demandes d’asiles accordées en 2014, 48.000 l’ont été en Allemagne et 33.000 en Suède, ce qui est considérable pour ce pays huit fois moins peuplé ! Pour leur part, la France et l’Italie ont fait droit à 21.000 demandes d’asile chacun. Et le Royaume-Uni à 14.000. Si les récents engagements se concrétisent, ces chiffres pourraient doubler en 2015.
Des flux difficiles à orienter
Il y a cependant une certitude : quelle que soit la clé de répartition définie à Bruxelles, l’Allemagne continuera à supporter l’essentiel du fardeau de l’accueil. Et ce n’est pas un hasard si, dès dimanche dernier, les partis de la coalition gouvernementale au pouvoir à Berlin se sont mis d’accord sur une enveloppe financière de 6 milliards d’euros à consacrer à l’intégration des réfugiés. On peut noter que la France n’a, à ce jour, avancé aucun chiffre…
Il faut dire qu’une répartition plus égalitaire de l’accueil de ceux qui fuient la barbarie – de Syrie et d’Irak tout particulièrement – se heurte à pliusieurs réalités. Il y a d’abord la situation démographique et économique du pays d’accueil. A cet égard, on connaît le lourd déficit démographique de l’Allemagne qui va manquer cruellement de main d’œuvre.
Il y a ensuite le propre choix des migrants qui optent pour une destination en fonction de la famille ou des connaissances qui les y attendent mais également en fonction des opportunités d’emplois – et donc d’intégration – qui se présentent. Enfin, il y a l’état des opinions publiques nationales. Un sondage Ipsos – Le Figaro réalisé fin juin montrait que 69% des Allemands et même 81% des Italiens étaient favorables à l’accueil des réfugiés alors que 64% des Français et 68% des Britanniques y étaient opposés.
A l’aune de cette dernière donnée, force est de constater que la sensibilité aux droits de l’homme se trouve désormais en Italie, en Allemagne ou en Suède… beaucoup plus qu’en France, pays de "la déclaration des droits", comme le soulignait amèrement Robert Badinter.