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Terrorisme : faut-il choisir entre sécurité et liberté ?

mardi, 17 novembre, 2015 - 11:58

Prolongation de l’état d’urgence, déchéance de nationalité, 5000 poste de policiers… Après les attentats de Paris, le Président de la République met l’accent sur la repression. Partout en Europe, les défenseurs des libertés civiles s’inquiétent. 

 

Chronique sur RFI - Etat d'urgence et liberté

 

Le soir même des attentats qui ont de nouveau ensanglanté Paris vendredi, François Hollande décrétait « l’état d’urgence ». Hier, devant le Parlement réuni en Congrès, il a demandé une prorogation de cet état d’urgence pour trois mois et proposé de réformer la constitution en ce qui concerne l’état de siège et les pouvoirs spéciaux.  

Il souhaite par ailleurs pouvoir étendre la déchéance de nationalité aux bi-nationaux nés en France et entend imposer « des conditions de surveillance draconiennes » à ceux qui reviennent de Syrie ou d’Irak. Enfin, le président annonce la création de 5000 postes de policiers et gendarmes d’ici à deux ans, de 1000 postes de douaniers et de 2500 postes au sein de la justice.

Le tout sécuritaire

Révélatrices du désarroi du corps social face à l’horreur du terrorisme, ces déclarations visent à convaincre que la France a les moyens de se protéger davantage des agissements criminels de l’Etat islamique qu’elle ne l’avait fait au lendemain des attentats de janvier.

Ces attentats de janvier constituaient une « première » dans le cadre du terrorisme islamique. Après la neutralisation des coupables et sans doute parce que les cibles visées – des journalistes et des citoyens juifs – étaient spécifiques, on n’avait pas jugé nécessaire de recourir à l’état d’urgence comme on l’avait fait, pour 25 départements, en 2005 à la suite des graves émeutes en banlieue.

Mais cette fois, les attentats visent l’ensemble de la population et surtout, désormais, plus personne n’ose affirmer qu’il n’y en aura pas d’autres. Quoiqu’il en soit, l’état d’urgence est décrété en cas de « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » ou en cas « d’événement présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamités publiques ».

Les mesures prévues de restrictions à la circulation des personnes, à l’ouverture des lieux publics, à l’interdiction des manifestations ou encore aux pouvoirs de perquisition renforcés ne peuvent se prolonger au delà de 12 jours. Sauf à faire adopter par le Parlement une loi fixant la durée définitive de l’état d’urgence. C’est ce que vient de demander le président français.

Partout en Europe, mais pas forcément depuis très longtemps, il existe des équivalents à l’état d’urgence. Dans certains pays, ces mesures sont prises sous le strict contrôle du Parlement.

L’état d’urgence plus ou moins contrôlé en Europe

Ainsi, au Royaume-Uni, la loi de 2004 sur les « évènements civils imprévus » permet à la Reine de décréter l’urgence mais la chambre des Communes doit approuver cette décision dans un délai de sept jours, un peu plus court qu’en France. Par ailleurs, l’urgence est déclarée sous condition de subsidiarité, c’est à dire uniquement si la législation courante ne permet pas de faire face à la situation.

En Espagne, l’ « état d’exception » est un décret pris en conseil des ministres mais après l’autorisation du Congrès des députés. A souligner que le congrès peut amender le texte et que l’état d’exception ne peut pas durer plus de trente jours.

D’autres pays contrôlent moins l’action du gouvernement en matière d’état d’urgence. C’est le cas de Italie où la proclamation de l’état d’urgence fait l’objet d’un décret-loi qui devra être converti en loi – en passant donc par le Parlement – mais seulement dans un délai de 60 jours, soit deux mois, ce qui est fort long.

Et puis en Allemagne, pays où l’on encadre pourtant strictement l’exécutif, l’ « état de crise intérieure » est simplement constaté, soit pas un land, soit par le gouvernement fédéral mais le Bundestag n’intervient pas, sauf pour demander la levée de l’état de crise.

2015 : l’année des mesures anti-terroristes

Tragique ironie du destin, un an jour pour jour avant les derniers attentats, soit le 13 novembre 2014, une loi avait déjà fortement renforcé les dispositions anti-terroristes en France. Elle prévoit notamment de criminaliser les actes préparatoires à des crimes terroristes, instaure un "délit d'entreprise terroriste individuelle", interdit la sortie du territoire pour les candidats au djihad en Syrie et en Irak et autorise le blocage des sites internet faisant l'apologie du terrorisme.

En juin  2015, le Parlement français a adopté une nouvelle loi renforçant les pouvoirs des services de renseignement. Le champ d’application des investigations est élargi aux violences collectives et même à la défense des intérêts économiques, ce qui a suscité des débats intenses au printemps, de même que le contrôle exercé sur les actions de renseignement par le seul juge administratif  a été dénoncé comme liberticide.

Cette défense des libertés civiles est d’ailleurs d’actualité partout en Europe lorsqu’il s’agit d’intensifier la lutte contre le terrorisme. Pratiquement tous les pays ont annoncé cette année de nouvelles mesures. Pour l’essentiel, elles consistent à réprimer les candidats au voyage en Syrie et en Irak, à renforcer les pouvoirs d’investigation de la police, à mieux surveiller internet et les réseaux sociaux, à faciliter le retrait de la nationalité. Presque partout, ces lois ont suscité des débats passionnés.

Des débats passionnés

En Allemagne, à propos de ceux qui s’apprêtent à partir en Syrie, on a beaucoup débattu autour de la possibilité de prouver l’intention de participer à des combats. En Grande-Bretagne, la Haute-Cour de justice a même déclaré illégal, en juillet dernier, le fait de conserver pendant un an les enregistrements téléphoniques des particuliers. Et cela, alors même que dans ce pays existe un contrôleur indépendant de la législation anti-terroriste.

En Espagne, on s’est beaucoup ému des condamnations administratives – et non plus judiciaires – pour perturbation à la sécurité publique ainsi que des expulsions automatiques et collectives d’immigrés. En Belgique, pays dont on constate une fois de plus qu’il est la plaque tournante des réseaux djihadistes, la déchéance de nationalité pour les bi-nationaux nés dans le pays passe très mal…

Enfin, au niveau européen, on sait que le contrôle systématique des données concernant les passagers aériens fait l’objet de discussions sans fin entre Parlement et Conseil.

Le défi aux libertés civiles

A l’évidence, les derniers évènements vont avoir des conséquences sur l’ouverture des frontières et l’accueil des réfugiés. Pourtant, on peut s’interroger à la fois sur l’efficacité des mesures de fermeture et sur l’opportunité de traiter la question des réfugiés sous le prisme des agissements de quelques dizaines de criminels.

Enfin, plus généralement, la multiplication des contrôles en tous genres, et qui plus est sans l’intervention de l’ordre judiciaire, est un vrai défi aux libertés civiles de nos démocraties. Si l’on devait trop les restreindre, ne serait-ce justement pas là une victoire pour tous ceux qui rêvent de détruire nos valeurs du vivre ensemble ? 




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