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La déchéance de nationalité en débat

mardi, 5 janvier, 2016 - 10:58

La France s'interroge sur la déchéance de nationalité pour les binationaux nés Français. Et envisage même de frapper des "uni-nationaux" français. A l'exception du Royaume-Uni, aucun pays en Europe ne s'est engagé dans cette voie contraire à la déclaration universelle des droits de l'homme.

 

Chronique sur RFI - La déchéance de nationalité 

 

Une fois de plus, la classe politique française se déchire sur  un symbole : la déchéance de nationalité. On avait cru un moment que le premier ministre Manuel Valls allait abandonner cette disposition dans le cadre du projet de réforme constitutionnelle. Mais finalement François Hollande persiste et signe.

Le débat n’est cependant pas clos et le texte qui sera définitivement adopté peut réserver des suprises. En particulier, certains préconisent, à gauche comme à droite,  un retrait de la nationalité non seulement pour les binationaux mais également pour ceux qui ne possèdent que la seule nationalité française.

Les bi-nationaux nés français désormais visés

On pourrait se demander pourquoi cette question soulève tellement de passions puisque la déchéance de nationalité est déjà prévue par l’article 25 du code civil : un invidu ayant acquis la qualité de français depuis moins de 15 ans peut être déchu de cette nationalité s’il est condamné pour atteinte aux intérêts fondamentaux de l’Etat ou acte de terrorisme.

Mais cette déchéance suppose l’existence d’une double nationalité afin de ne pas rendre cet individu apatride. La disposition s’applique très rarement : depuis 15 ans, treize personnes seulement en ont fait l’objet.

Ce qui fait débat avec la nouvelle disposition c’est que, cette fois, la déchéance de nationalité intervenant après une condamnation définitive pour « crime contre la vie de la Nation » pourrait s’appliquer à un bi-national né français. Donc, la déchéance ne concernerait plus seulement les personnes naturalisées.

On introduirait ainsi une discrimination entre Français qui, étant bi-nationaux, ont donc une origine étrangère et ceux qui ne sont que Français. A gauche, nombreux sont ceux qui estiment que l’on porte atteinte au principe de l’égalité entre les citoyens.

Fuite en avant ?

Pour résoudre l’équation, certains n’hésitent plus à suggérer la fuite en avant consistant à appliquer également la déchéance à ceux qui n’ont que la nationalité française. Une idée à la fois défendue par des personnalités de droite comme Nathalie Kosciusko-Morizet ou Xavier Bertrand mais aussi par des hommes de gauche comme le 1er secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis ou le président du groupe socialiste de l’Assemblée Bruno Le Roux.

Problème : on créerait ainsi des « apatrides », ce qui contrevient à la convention des Nations Unies de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie et à la convention européenne de 1997 sur la nationalité. Certains ne manquent pas de rappeler que Paris a signé ces deux conventions mais qu’elles n’ont pas été ratifiées… Cela dit, on voit mal la France s’affranchir de l’article 15 de la déclaration universelle des droits de l’homme stipulant que « tout individu a droit à une nationalité ».

L’Allemagne prudente

Tous les pays d’Europe ont des dispositions prévoyant la déchéance de nationalité. Mais dans la plupart des cas, celle-ci ne s’applique qu’à l’encontre de personnes naturalisées ayant une double nationalité.

Jusqu’en 2014, cette déchéance était de facto très limitée en Allemagne puisque la double nationalité n’était autorisée que pour les ressortissants de l’Union européenne et de la Suisse et ne pouvait frapper que des bi-nationaux s’engageant dans des forces armées étrangères sans l’autorisation des autorités fédérales.

Depuis juillet 2014 toutefois, les enfants d’immigrés non européens peuvent obtenir la nationalité de leur pays d’origine tout en restant allemands. Récemment, les conservateurs de la CDU ont préconisés une déchéance formelle pour les combattants dans des milices terroristes à l’étranger. Mais les sociaux-démocrates, qui co-gouvernent Outre-Rhin, s’y opposent.

Le Royaume-Uni va très loin

En revanche, s’il est un pays en pointe en la matière, c’est bien le Royaume-Uni. Non seulement, la déchéance peut y être prononcée par le ministère de l’intérieur en cas de comportement simplement « non conforme à l’intérêt public », mais cette déchéance peut s’appliquer à des bi-nationaux nés britanniques. C’est bien ce qu’envisage le gouvernement français.

Depuis 2002, 42 personnes – dont 5 britanniques de naissance – se sont vues privées de leur nationalité outre-Manche. Et 37 l’ont été rien que depuis 2010. En outre, depuis l’an dernier, la déchéance est même possible pour un citoyen uniquement britannique s’il y a « des raisons de penser » qu’il peut acquérir une autre nationalité.

Les « nés nationaux » concernés aux Pays-bas

Deux autres pays pratiquent la déchéance pour leurs « nationaux de naissance ». Depuis 2010, les Pays-Bas prononcent la déchéance en cas de condamnation à au moins 8 ans de prison pour « avoir nui gravement aux intérêts essentiels de l’Etat ». Et ils ne font pas la distinction entre personne naturalisée ou néerlandaise de naissance. En revanche, seuls les bi-nationaux sont concernés. Des dispositions à peu près identiques sont appliquées également au Danemark.

Quant à la Belgique, devenue la plaque tournante du terrorisme islamiste en Europe, elle prévoyait également de pouvoir déchoir de leur nationalité des citoyens nés belges. Après des mois de débats, le premier ministre Charles Michel a finalement écarté cette possibilité et ne prévoit la déchéance en cas de condamnation pour faits de terrorisme que pour des bi-nationaux ayant acquis la nationalité belge après la naissance. Mais le délai de dix ans de citoyenneté au delà duquel la déchéance devenait impossible est supprimé.

Quelques individus…

En résumé, si la France appliquait la déchéance aux citoyens nés français, elle rejoindrait les deux ou trois pays européens les plus sévères en la matière. Mais gardons à l’esprit que ce genre de dispositions relève absolument du symbole et du message politique. A l’exception du Royaume-Uni, les cas de déchéances ne frappent que quelques rares individus.




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