Le rétablissement des frontières intérieures européennes remet en question les accords de Schengen. Un renforcement du système est indispensable. Mais renoncer à la libre circulation entre pays-membres porterait un coup fatal à l’UE.
Chronique sur RFI - Schengen sous pression
Après l’Allemagne, l’Autriche et la France, la Suède puis, la semaine dernière, le Danemark, ont rétabli des contrôles à leurs frontières. Des frontières réputées ouvertes à la libre-circulation en vertu de la convention de Schengen.
L’afflux des réfugiés du Moyen-Orient et, plus récemment, la montée de la psychose après les attentats terrorristes de Paris expliquent bien sûr ces mesures de protection. Mais, pour beaucoup, rien ne sera plus comme avant même si Schengen n’est pas mort, comme le prétendent certains.
Une suspension prévue par les textes
Car le rétablissement temporaire des contrôles aux frontières est prévu par la convention elle-même. Et a même été précisé par un règlement de 2013 complétant le « code des frontières Schengen ». Ses articles 23 à 26 stipulent ainsi, en substance, que des contrôles peuvent être rétablis « en cas menace grave pour l’ordre public et la sécurité intérieure d’un Etat-membre » pour une durée maximale de six mois.
En outre, ce rétablissement peut même être prorogé jusqu’à deux ans si le fonctionnement global de l’espace intérieur est mis en péril « du fait de manquements graves liés au contrôle des frontières extérieures ». C’est bien ce qu’il se passe en ce moment avec l’afflux incontrôlé des réfugiés et aussi les dysfonctionnements découverts en matière de contrôle des personnes « signalées ». Ce qui prouve au passage que le système d’information Schengen fonctionne mal.
Des frontières extérieures mieux sécurisées
Face à cette situation, le président de la Commission Jean-Claude Juncker a proposé le 15 décembre dernier de créer une nouvelle agence européenne de gardes-côtes et des frontières qui remplacerait l’actuelle Frontex avec des moyens financiers triplés.
L’objectif est de disposer de 1.500 agents mobilisables en quelques jours qui s’ajouteraient à 1000 agents permanents. Actuellement, les effectifs de Frontex ne dépassent pas 400 personnes. Il reste bien sûr aux chefs d’Etat et de gouvernements européens à approuver ce dispositif. Comme le dit Fabrice Leggeri, le patron de Frontex, ce sera « l’heure de vérité » pour Schengen.
L’UE + 4 – 6
Signés initialement par cinq pays en 1985 (France, Allemagne, Bénélux), les accords de Schengen ont débouché sur une « convention » puis ont été institutionnalisés en 1997 en « espace Schengen » qui, aujourd’hui, compte 26 pays-membres.
Ils sont constitués des membres de l’Union européenne plus quatre pays, moins six pays. Quatre pays non-membres de l’UE adhèrent à la Convention : la Suisse, la Norvège, l’Islande et le petit Liechtenstein.
Mais six pays-membres de l’UE n’en font pas partie : le Royaume-Uni et l’Irlande (qui participent cependant à certaines dispositions de l’accord ayant trait à la coopération) ; la Roumanie et la Bulgarie (qui ont cependant vocation à y participer) ; la Croatie, qui devra attendre encore, et enfin Chypre du fait de la partition de l’ile.
Sept pays ont rétabli des contrôles aux frontières
Quant au rétablissement des contrôles, il est à ce jour le fait de sept pays. Pour trois d’entre eux, ces contrôles ne portent que sur une seule frontière : la Suède avec le Danemark, le Danemark avec l’Allemagne et la République tchèque avec l’Autriche.
L’Autriche, elle, contrôle ses frontières hongroises et Slovènes, la Slovaquie ses frontières hongroises et autrichiennes. Quant à l’Allemagne, elle contrôle désormais ses frontières autrichiennes, tchèques et françaises. Enfin, un seul pays contrôle toutes ses frontières, il y en a six : c’est la France.
Pourquoi cette exception française ? Il se trouve que les six autres pays contrôlent les routes de l’immigration, celles par où transitent les réfugiés venus d’Orient, c’est à dire leurs frontières sud. La France, en revanche, a rétabli les contrôles en raison de la Cop21 le 13 novembre puis, à peine quelques heures après, elle les a renforcé et prolongé en raison des attentats meurtriers de Paris.
Objets initiaux : coopération et libre circulation
Un des objets de la convention initiale était d’organiser une coopération entre ses membres afin de créer les conditions d’une politique harmonisée d’immigration et du droit d’asile. Contrairement à ce que disent ses détracteurs, Schengen ne favorise pas l’impunité de personnes poursuivies pour acte délictueux dans un pays en leur permettant de se réfugier dans un autre Etat. Car l’article 63 de la convention oblige ses signataires à extrader tout individu signalé vers le pays qui le poursuit.
Mais l’objet principal de la convention reste de garantir la libre circulation des ressortissants de l’Union à l’intérieur des frontières de l’UE afin de créer les conditions propices au fonctionnement d’un véritable marché unique.
Il n’y a pas que des visiteurs ou des touristes qui franchissent les frontières, il y a également un flux incessant de marchandises qui, on s’en doute, ne circulent pas sans des hommes… Bref, il ne faudrait pas « jeter le bébé avec l’eau du bain ».
Une réforme incontournable
D’autant que cette circulation reste libre dans la majeure partie de l’Europe du Nord. Et l’on peut fort bien imaginer, si la crise se prolonge, des dispositifs allégés pour les frontaliers ou les camions. De toute façon, personne ne doute que des migrants clandestins ont bien d’autres moyens de traverser les frontières que de passer par les grands postes remplis de policiers ou truffés de caméras…
Reste qu’une réforme de Schengen est quand même incontournable. L’Europe fonctionnant comme un processus d’intégration continuel, la crise des réfugiés et la montée du terrorisme rendent nécessaires des avancées qui impliquent de réformer et de compléter l’outil Schengen.
Gérer un défi planétaire
La vraie question est de savoir s’il vaut mieux gérer collectivement les grands défis planétaires du siècle où bien en revenir à l’échelle nationale pour y faire front. A travers Schengen, c’est la raison d’être de l’Union européenne elle même qui est en cause. Comment parler d’ « Union » si les frontières entre pays devaient être rétablies ?
On a tendance à oublier que la libre circulation a accru de 50% le travail transfrontalier depuis 15 ans. Et que les Européens effectuent en un an plus d’un milliard de séjours de plus d‘une nuit dans d’autres pays de l’Union.
Pour ces raisons, ceux qui rêvent d’abolir Schengen ressemblent étrangement à ceux qui, il y a cent ans, réclamaient le rétablissement des barrières d’octroi autour de Paris !