Les confédérations syndicales françaises appellent à la mobilisation contre les projets de réforme du code du travail et des allocations-chômage. Ce rôle de contestation politique et sociétale est en voie de disparition dans les autres pays européens.
Une fois de plus, la France semble à la veille d’importantes manifestations sociales. La plupart des confédérations syndicales en appellent à la mobilisation des salariés pour exprimer leur rejet de la réforme du code du travail en préparation mais également leur hostilité à l’égard des restrictions en matière d’indemnisation du chômage qui se profilent dans le cadre de la négociation de la nouvelle convention Unedic.
Une spécificité institutionnelle française
Quelle que soit la validité des arguments échangés, on ne peut que constater, une fois de plus, l’extrême tension du dialogue social en France. Il y a certes la traditionnelle explication de la culture du conflit chez les peuples latins s’opposant à la culture du consensus chez les Germains ou les Nordiques.
Mais cette caractéristique socio-historique a sans doute plus d’impact sur la forme du « « dialogue » que sur le fond. Ce qui importe davantage, c’est la réalité institutionnelle spécifique à la France. Dans ce pays, les syndicats ne participent pas, comme c’est parfois le cas ailleurs, à la définition des programmes des partis politiques. En revanche, les gouvernants y sont tenus de les associer à l’élaboration des politiques touchant à la réglementation sociale.
C’est d’une part, depuis 50 ou 60 ans, le paritarisme – c’est à dire la cogestion par des représentants du patronat et des représentants des salariés des organismes chargés de gérer les modalités de perception et d’utilisation des cotisations chômage, retraite, formation. Les partenaires sociaux renégocient périodiquement des conventions, comme celle de l’Unedic pour le chômage, et ils ont une obligation de résultat. Car, en l’absence d’accord, c’est l’Etat qui fixe les nouvelles règles
Le recul du rôle « politique » des syndicats en Europe
Et puis, d’autre part, il y a la loi sur la modernisation du dialogue social qui, depuis 2007, rend obligatoire la concertation avec les partenaires sociaux avant l’élaboration de toute loi relative aux relations de travail. C’est l’actuelle discussion sur le code du travail.
Ce rôle « politique » dévolu aux syndicats en France ne se retrouve pas – du moins à ce degré – dans les autres pays. Non pas que les syndicats n’y soient pas consultés ou amenés à prendre position sur les évolutions de la législation. Mais leur rôle, pour l’essentiel, consiste à négocier avec le patronat, par branches ou par entreprises, l’évolution des salaires, les conditions ou la durée du travail, la formation…
Cela dit, en Espagne, des accords nationaux entre confédérations patronales et confédérations de salariés ont longtemps servi de base à la législation du travail mais ils ont perdu de leur importance. En Italie, des consultations tripartites (incluant donc le gouvernement) ont été menées et des pactes signés mais l’autonomie de décision gouvernementale n’a cessé de s’accroître au fur et à mesure que s’aggravait la désunion syndicale et que s’approfondissait la crise.
Un peu partout, en Suède notamment, la quasi-disparition des négociations centralisées au profit de négociations sectorielles a fait reculer le rôle politique et sociétal des syndicats. Y compris dans les pays où le syndicalisme a participé étroitement à la structuration des partis.
Affaiblissement des liens syndicats-parti en Allemagne
Ainsi, en Allemagne comme au Royaume-Uni, les confédérations ont été historiquement associées à la réflexion programmatiques des partis de gauche, le Trade Union Congress (TUC) avec les travaillistes britanniques, le DGB avec les sociaux-démocrates allemands.
Mais, outre-Manche, les liens syndicats-parti ont été réduits pratiquement à néant avec l’avènement du « New Labour » de Tony Blair. En Allemagne, ces liens se sont singulièrement distendus, surtout depuis la mise en œuvre au début des années 2000 des réformes libérales du chancelier social-démocrate Gerhard Schröder qui ont été adoptées malgré l’opposition des syndicats.
De nombreux syndiqués allemands sont désormais plus proches du parti de gauche Die Linke, voire des Verts dont est membre le président du grand syndicat des services Ver.di. Fait symptomatique, l’instauration en Allemagne d’un salaire minimum généralisé a fait grincer des dents à beaucoup de syndicats attachés à l’autonomie tarifaire des branches d’activité dont les négociations se centrent sur la détermination d’un salaire « pivot » plutôt que d’un salaire minimum
Bref, très efficaces dans la défense des intérêts quotidiens des salariés et largement associés à la gestion des entreprises, les syndicats allemands sont devenus des spectateurs de l’élaboration des normes sociales.
Grandes disparités dans les taux de syndicalisation
Contrairement à l’idée reçue, le taux de syndicalisation n’est pas très élevé outre-Rhin. A 18%, il se situe certes très au dessus des 7,7% de la France, lanterne rouge européenne à cet égard après l’Estonie. Mais il reste inférieur à la moyenne européenne et n’a rien à voir avec les chiffres record atteints en Scandinavie (70% environ), en Belgique (50%) et même en Italie (35%).
Il faut dire qu’en Belgique et dans les pays du Nord, l’accès à la plupart des prestations sociales et au bénéfice des conventions collectives est réservé aux syndiqués. Pas en Allemagne, ni en France où, pourtant, près de 98% des salariés du secteur non agricole sont couverts par une convention collective.
N’y aurait-il pas un paradoxe français avec des syndicats faibles exerçant un fort pouvoir, à tout le moins un pouvoir de nuisance ? En fait, le paradoxe tient surtout au système productif français qui fait coexister quelques dizaines de grosses entreprises mondialisées avec une myriade de très petites entreprises, à la différence de la plupart de nos voisins italiens, britanniques et surtout allemands où les grosses PME sont légions.
Les confédérations ne négocient plus les salaires en France
Conséquence pour l’Hexagone : des négociations salariales et sociales très effectives au niveau des grandes firmes, fort peu opératoires au niveau des petites et plutôt en déshérence au niveau des branches. Il s’ensuit que les confédérations syndicales n’ont pas la main en France sur les salaires et doivent se cantonner à une « concertation sociale » qui ne leur fait jouer un rôle réel que dans le cadre du paritarisme.
Ce pouvoir « politique » des syndicats est encore moindre ailleurs mais, du moins, les grandes organisations professionnelles peuvent-elles afficher des succès en matière de négociations salariales. On pense en particulier au syndicat de la métallurgie en Allemagne.
Cela dit, faute d’une démocratie locale vivante et à cause de l’érosion de plus en plus rapide de la légitimité des gouvernements en place, les confédérations syndicales de salariés sont amenés à endosser naturellement, en France, un rôle de « porte-parole des mécontents » qui les rend peu à même d’infléchir les décisions gouvernementales.