La France est entrée dans une nouvelle semaine de grèves et de manifestations visant le retrait de la loi El Khomri. De tels mouvements ne sont pas rares en Europe mais ils sont moins intenses et moins nombreux, notamment là où le droit de grève est plus encadré.
Malgré une amélioration de la situation, la France reste perturbée par les grèves et les blocages de protestation contre la loi El Khomri portant réforme du marché du travail. A cette protestation générale s’ajoute d’autres revendications catégorielles : la SNCF appelle à une grève reconductible dès mardi soir pour peser sur les négociations en cours d’une nouvelle convention collective du ferroviaire ; jeudi, la RATP lance une grève illimitée concernant la revalorisation des salaires tandis que les dockers arrêteront ce jour là le travail. Vendredi enfin, des perturbations sont à prévoir dans l’aérien.
Cette multiplication des conflits et la radicalité des actions menées, font la une des journaux étrangers qui soulignent une fois de plus « l’exception française ». Notre pays est-il donc si particulier dans ce domaine des mouvements sociaux ?
De nombreux mouvements en Europe…
La protestation sociale et les grèves ne sont évidemment pas l’apanage de la France. Il y a eu ces dernières années, plusieurs grèves générales en Espagne, en Italie, en Belgique pour protester contre des réformes restreignant des avantages sociaux et même une grève de masse contre la réforme des retraites au Royaume-Uni en 2011.
En 2015, l’Allemagne a connu deux millions de jours de grève dans les services sociaux et éducatifs, à la poste, dans la métallurgie, dans les chemins de fer ainsi que chez la compagnie aérienne nationale Lufthansa. La Belgique vient de voir se dérouler, le 24 mai dernier, une très grosse manifestation demandant, à l’instar de la France, le retrait de la loi Kriis Peeters sur le temps de travail et une grève générale est prévue fin juin.
… mais les jours de grève restent plus nombreux en France
Cela dit, dans l’absolu et en fonction du nombre de salariés, la France reste le pays d’Europe où les jours de grèves sont les plus nombreux. Selon l’institut allemand de recherche économique et sociale WSI, le nombre annuel de jours de grève pour 1.000 salariés a atteint, de 2005 à 2014, 132 jours en France, 124 jours au Danemark, 84 en Belgique, 63 en Espagne et seulement 23 au Royaume-Uni et 15 en Allemagne.
Certes les grèves allemandes de 2015 ne sont pas prises en compte mais les chiffres concernant la France s’arrêtent à fin 2013. Quant au résultat élevé du Danemark, il s’explique en partie par l’exceptionnel mouvement de grèves de 2008 qui a vu 100.000 agents publics des services sociaux et de santé cesser le travail pendant plusieurs semaines.
Les grèves « politiques » plus ou moins licites selon les pays
On souligne souvent le caractère très politique des grèves dans l’Héxagone. Il faut s’entendre sur la notion de « grève politique ». En France, comme dans de nombreux pays d’Europe, la grève purement politique – celle qui exigerait par exemple, la démission du gouvernement – est interdite.
En revanche, sont licites les grèves dites « mixtes » en France et « socio-politiques » en Espagne, c’est à dire qui concernent des réformes ayant une incidence sur la législation sociale. C’est bien le cas de l’actuel mouvement.
Mais celui-ci serait considéré comme illicite en Allemagne où la notion de grève politique est bien plus large et englobe tout mouvement s’opposant à une loi ou un projet de loi. Il en est de même au Royaume-Uni depuis 1982 où les syndicats sont suceptibles d’être poursuivis devant les tribunaux s’ils déclenchent une grève politique. Mais cette notion est plus restrictive qu’en Allemagne.
Des modalités très encadrées en Allemagne et Royaume-Uni
Dans plusieurs pays, l’exercice du droit de grève est plus encadré et réservé aux seules revendications à caractère professionnel que le chef d’entreprise est à même de satisfaire. Les conditions d’exercice du droit de grève peuvent être également plus ou moins précises.
En France, mais aussi en Belgique, en Italie, en Espagne, le déclenchement d’une grève consiste simplement à cesser collectivement le travail de façon concertée, quel que soit le nombre de salariés impliqués. C’est très différent en Allemagne où la cessation de travail ne peut intervenir qu’après l’échec d’un premier cycle de négociation puis le vote de 75% des syndiqués.
Au Royaume-Uni, les conditions viennent encore d’être durcies, et le syndicat d’une entreprise ne peut appeler à la grève que si au moins 50% de ses membres – et non plus seulement des votants – se prononcent à bulletin secret en faveur du mouvement. Au Danemark, il n’est pas possible de faire grève pendant la durée d’une convention collective (en général limitée à trois ans) sur les sujets traités par la convention. Mais, dans ce pays, la grève politique est assez répandue.
A noter que, dans les pays fortement syndicalisés, les syndicats compensent les pertes de salaire engendrées pour leurs membres. Ce qui n’est ni le cas en France ni dans le sud de l’Europe.
Droit de grève restreint pour les fonctionnaires
En France, la grève est interdite aux fonctionnaires « d’autorité » (services actifs de la police, CRS, militaires, magistrats, gardiens de prison). C’est le cas dans la plupart des pays, mais de façon plus ou moins large. En Belgique ou en Suède, les policiers peuvent faire grève.
A l’inverse, en Allemagne, tous les fonctionnaires à statut sont privés du droit de grève, même pour ceux – mais ils ne sont plus très nombreux – qui travaillent dans les chemins de fer. C’est aussi le cas des fonctionnaires statutaires danois qui représentent un tiers des agents publics.
Service minimum dans les services publics d’Europe du sud
En ce qui concerne les services d’intérêt public, notamment les trasnports, aucun service minimum n’est prévu par la loi dans les pays du nord, en Allemagne ou au Royaume-Uni. Outre-Manche cependant, des réquisitions sont possibles.
En France, la grève dans les services publics suppose le dépôt, par un syndicat, d’un préavis de 5 jours. Il n’y a pas, à proprement parler, de service minimum dans les transports publics mais une nécessité de négocier préalablement. En cas d’échec, un plan de transport adapté doit être établi par l’entreprise concernée.
Le service minimum est en revanche développé en Europe du sud. En Espagne, les modalités des grèves dans les transports publics sont négociées avec le ministère. En Italie, de très nombreux services essentiels sont concernés et bientôt, les musées seront astreints au service minimum. Dans les transports, les arrêts de travail sont interdits pendant les heures de pointe, les périodes de vacances ou encore les périodes électorales
Sauf en Allemagne, où les syndicats sont très actifs au niveau des entreprises et des branches, les conflits professionnels ne cessent de diminuer depuis 30 ans dans le secteur privé. Mais, de plus en plus, les mouvements à caractère socio-politiques se multiplient, notamment contre les réformes destinées à flexibiliser l’économie.