Loin de se réjouir, les partisans du Brexit ont le blues. L’avenir des relations avec l’Union est totalement flou et aucune option sur la table ne paraît satisfaisante. L’Europe a l’habitude de contourner les référendums négatifs et beaucoup pensent que rien n’est encore joué pour Londres.
Après le Brexit, le « Brexit blues ». Alors que le leader indépendantiste Nigel Farage vient d'annoncer sa démission parce qu’il a atteint son but, 40.000 manifestants ont défilé samedi dans les rues de Londres pour proclamer leur attachement à l’Union européenne et réclamer que l’on stoppe le processus de Brexit.
Selon un sondage, près de 4 Britanniques sur 10 ne sont pas sûrs que leur pays quittera l’UE tandis qu’une autre enquête indique qu’un million de « Brexiters » regrette déjà son vote. Enfin, une pétition pour l’organisation d’un nouveau référendum a déjà recueilli plus de 3 millions de signatures.
Mais peut-on revenir en arrière et faire comme si ce référendum n’avait pas eu lieu ? En regardant l’histoire des référendums européen, on constate que l’Europe a toujours su composer avec les votes négatifs, sinon en les ignorant, du moins en en limitant les conséquences facheuses. Observer ces rapports singuliers entre la construction européenne et la démocratie permet peut-être d’imaginer un peu l’avenir.
45 référendums…
Quand les électeurs européens se prononcent sur l’Europe, le sens de leur vote est-il toujours respecté ? La réponse est complexe. Depuis 1972, sans tenir compte de 7 votations suisses, les citoyens européens ont été appelés à se prononcer sur une question concernant l’Europe à 45 reprises.
Si l’on exclut 10 référendums concernant l’élargissement de l’Union, ces scrutin ont impliqués 12 pays et les Français ont voté trois fois (sur le premier élargissement, le Traité de Mastricht et le Traité constitutionnel). Deux se détachent nettement du lot: L’Irlande avec 9 consultations et le Danemark avec 8, ces deux pays étant les seuls à imposer une consultation populaire lorsqu’il s’agit d’un traité international ou que la décision implique un transfert de souveraineté.
… dont 12 négatifs
Sur 45 référendums, 12 ont suscité une réponse négative de l’électorat concerné. Outre le récent Brexit, deux consultations ont porté sur l’appartenance d’un pays à l’Union, la Norvège, appartenance que ce pays a rejeté deux fois, en 1972 et en 1994.
Deux autres ont porté sur l’appartenance à la zone euro que le Danemark a rejeté en 2000 et la Suède en 2003. Ces « nons » ont été pris en compte par l’Union car un pays qui refuse d’adhérer ne peut, à l’évidence, y être contraint.
Et puis récemment, deux autres référendums ont reçu une réponse négative, l’un en décembre dernier au Danemark, les Danois ayant rejeté le renforcement de la coopération en matière de police et de justice, l’autre aux Pays-Bas où un scrutin simplement consultatif a abouti au rejet de l’accord d’association UE/Ukraine.
Le « non » des Danois n’a pas de conséquence pour l’UE. Quant au « non » des Néerlandais, il pourrait bloquer l’accord avec l’Ukraine mais il n’a pas de force juridique. En fait, pour ces six consultations précitées, un vote de rejet ne comportait en rien un risque de blocage de l’Union.
Il n’en est pas de même pour les 5 autres référendums négatifs qui, tous, ont été « contournés » par l’UE. Sans que l’on puisse affirmer que le vote des peuples n’a pas été respecté, on a fait en sorte de limiter au maximum les conséquences de ces votes.
La « petite sirène » de Copenhague se rebiffe
Premier cas, le 2 juin 1992, le Danemark rejette à 50,7% le Traité de Maastricht instaurant l’Union européenne et l’Union économique et monétaire. Un résultat très étroit mais difficilement contestable avec une participation de 83%. Il risquait cependant de bloquer la mise en œuvre d’un texte très difficilement négocié.
Du coup, l’Union et le Danemark ont renégocié des mois durant un régime particulier pour Copenhague comportant des « options de retrait » dans quatre domaines dont la monnaie unique (ce qu’avait d’ailleurs obtenu quelques mois auparavant le Royaume-Uni) et l’Europe de la défense. Il suffisait alors de revenir devant les Danois qui, en mai 1993, ont revoté sur ce Traité européen « aménagé » pour eux et l’ont adopté à 56%.
Deux fois un « non » puis un « oui » irlandais
Pareil processus s’est répété par deux fois pour l’Irlande qui avait rejeté en juin 2001 le Traité de Nice et encore en juin 2008 le Traité de Lisbonne. Là, pas d’aménagements formels des Traités mais de simples garanties et engagements informels pour la reconnaissance de « spécificités celtiques » concernant la fiscalité, la défense ou l’interruption de grossesse. Par deux fois, seize mois plus tard, la petite Irlande a revoté, cette fois dans le bon sens.
2005 : le coup de tonnerre franco-néerlandais
Fin mai 2005, les Français rejettent à 55% le Traité constitutionnel européen (TCE) et, trois jours plus tard, par 61%, les Néerlandais font de même. Cette fois, l’affaire est vraiment « chaude » venant de deux membres fondateurs de l’Europe. Après plus de deux ans de flottement, l’Union va se remettre sur les rails par la négociation d’un nouveau Traité, celui de Lisbonne, venant se substituer, en partie, au défunt Traité constitutionnel.
Face à un tel tour de passe-passe, beaucoup ont parlé de « déni de démocratie » et se sont retrouvés dans le camp eurosceptique. Les défenseurs du projet européen préfèrent évoquer la « realpolitik ». De fait, il fallait bien reconstruire quelque chose.
On a donc donné le change en renonçant à la fusion des Traités européens en un seul – nous avons toujours le traité de Maastricht (« Traité sur l’Union européenne ») et le Traité de Rome, renommé « Traité sur le fonctionnement de l’Union ». On a supprimé le ministre des affaires étrangères de l’Union, renoncé à inclure la Charte des droits fondamentaux dans le Traité.
Bref, on a repris l’essentiel des conclusions de la Conférence intergouvernementale qui avait abouti au TCE mais gommé tous les aspects fédéralistes qui donnaient à ce traité rejeté son caractère de constitution. Est resté un mauvais souvenir qui ne passe toujours pas pour certains : ni Paris, ni La Haye n’ont appelé leur citoyens à se prononcer de nouveau.
Une démocratie non-pertinente pour l’Europe ?
Ne fait-on pas plutôt bon marché de l’avis des peuples ? C’est le problème crucial de la construction européenne. Elle est à la mesure de l’immense complexité du monde économique, financier et juridique moderne. Et l’on aboutit à un système dont on ne peut plus remettre en cause, même démocratiquement, les fondements.
Il en va ainsi pour le Brexit. La fondation Schuman vient de publier une analyse juridique très complète des conséquences de ce Brexit. Après avoir passé en revue toutes les hypothèses envisageables – séparation complète, arrangement « sur mesure », traité de libre-échange, intégration dans l’Espace economique européen (EEE) et/ou dans l’Association européenne de libre-échange (AELE), elle aboutit à la conclusion que toutes les options impliquant un Royaume-Uni hors de l’UE sont impraticables, parce que la reconstruction d’un pays indépendant exigerait des efforts trop lourds et trop durables pour être compatibles avec la bonne marche des économies.
Celle du Royaume-Uni mais aussi celle de l’Union qui ne peut couper les liens avec une nation représentant 16% de son PIB total, 15% de son commerce extérieur et 23% de ses exportations de services.
Dans ces conditions, ou bien l’on réussi à faire revoter les Britanniques, cette fois dans le bon sens, sur une question identique, ou bien l’on instaure une Europe à plusieurs vitesse acceptable par ceux qui refusent l’intégration politique.
Mais l’idée européenne n’en est pas moins en grand danger. Car les eurosceptiques ne se contenteront plus d’espérer que la démocratie détruise la construction européenne en la « détricotant ». Ils auront des arguments pour affirmer que l’Europe rend définitivement la démocratie non pertinente.