La polémique sur le burkini en France est révélatrice du malaise identitaire de l’Héxagone. Un débat largement raillé par nos voisins européens qui n’appliquent que très peu de restrictions sur le port du maillot couvrant.
La décision du Conseil d’Etat de suspendre un arrêté municipal interdisant le port du burkini sur la plage de Villeneuve Loubet ne devrait pas clore la polémique qui agite depuis un mois la classe politique et la société française.
La division atteint le parti socialiste au pouvoir et même le gouvernement dont plusieurs ministres ont fait entendre leur différence par rapport à la position du premier ministre Manuel Valls. Pour lui, ce maillot de bain recouvrant le corps de la femme est « un symbole d’asservissement » de cette dernière qui n’est « pas compatible avec les valeurs de la république ».
Comme souvent, cette polémique suscite une forte incompréhension teintée d’ironie chez nos voisins européens et surtout dans le monde anglo-saxon où le débat sur les signes extérieurs d’appartenance religieuse se limite au voile intégral.
Tolérer la différence
Dans le cas du burkini, il est encore plus difficile de distinguer ce qui relève de la revendication identitaire ou de la prescription religieuse. Quoiqu’il en soit, le problème est de savoir jusqu’où aller dans le contrôle des comportements visant à afficher sa différence.
La loi de 2010 interdisant le voile intégral dans l’espace public stipule bien que les signes religieux sont autorisés à condition de ne pas dissimuler le visage. Ce qui n’est pas le cas avec le burkini. Aussi, le prétexte invoqué par les maires pour l’interdire est le trouble de la « quiétude publique ». Ce qui revient à se mettre à la place des gens choqués par l’expression d’une différence en choisissant d’éviter que l’exaspération de ces personnes ne débouche sur une violence jugée en quelque sorte « compréhensible ».
Les partisans de l’interdiction du Burkini dénoncent une instrumentalisation du corps de la femme. De fait, la culture occidentale est de nos jours révulsée par l’idée que ce corps puisse être en soi impudique ! Pour autant, une démocratie peut-elle, sans renier ses principes, interdire l’expression pacifique de conceptions opposées ? C’est un peu le vieux débat « pas de liberté pour les ennemis de la liberté ».
Gorges chaudes de la presse anglo-saxonne
Il y a deux semaines, l’éditorialiste du quotidien britannique « The Telegraph » n’hésitait pas à parler à propos de l’interdiction du burkini en France d’ « acte de fanatisme insensé » en expliquant que l’on peut vivre ensemble sans croire à la même chose.
Le journal de gauche « The Guardian » appelle pour sa part à défier ce qu’il appelle « l’idiotie » tandis que la BBC ironise sur la difficulté de distinguer, dans un texte de loi général, le burkini d’une combinaison de plongée ! Plus sérieusement, le New York Times pointe une contradiction évidente entre le fait d’imposer des règles vestimentaires à une femme au motif qu’il n’est pas admissible que cette femme puisse se laisser dicter ce qu’elle doit porter….
Des restrictions dans les piscines
En France le burkini est très souvent interdit dans les piscines municipales pour des raisons d’hygiène, un peu comme l’est presque partout le caleçon masculin. Mais il existe par ailleurs des établissements qui autorisent expressément le maillot couvrant. Depuis plusieurs années, le burkini est également interdit dans la plupart des piscines en Belgique mais il n’existe aucune interdiction concernant les plages.
En Suisse, toujours par soucis d’hygiène en bassin fermé, le burkini est autorisé seulement s’il est « moulant » comme un maillot. Cette restriction s’observe également au pays basque espagnol où la ville de Victoria a interdit l’accès aux piscines aux personnes habillées sauf si le vêtement est en lycra.
Donc, les restrictions édictées hors de France ne concernent que les piscines et presque toujours pour des motifs d’hygiènes, à l’exception de quelques communes dirigées par des maires très à droite en Italie, en Autriche ou en Bavière. Dans cet Etat allemand, le parti chrétien social au pouvoir estime d’ailleurs que cette question doit être laissée à l’appréciation des communes.
Quelques rares interdictions « idéologiques »
Signalons quand même qu’il y a sept ans, une commune du nord de l’Italie avait prohibé explicitement le burkini dans les piscines de la ville mais également le long des cours d’eau. Or le maire à l’origine de cette initiative fut condamné quelques années plus tard pour discrimination raciale. Actuellement en Italie, personne ne songe à prohiber le burkini sur les plages et le ministre de l’intérieur s’est déclaré il y a quelques jours opposé à toute régulation.
A l’inverse, certains pays se montrent assez favorables au burkini. On peut à cet égard citer la Norvège où, il y a quelques années, le maire d’Oslo a exprimé, concernant les piscines, une position totalement ouverte dans la mesure où, disait-il, « certains expriment le besoin de se couvrir ».
Le burkini comme élément de compromis
Quant à l’Allemagne, en dehors du cas particulier de la Bavière, la justice fédérale tendrait plutôt à recommander le port du maillot couvrant dans le cas où des parents musulmans refusent d’inscrire leur fille à la piscine. Ainsi, le tribunal administratif de Francfort a-t-il statué il y a trois ans que l’assistance au cours de natation était obligatoire dès lors que le port du burkini était proposé en guise de compromis.
Enfin, bien sûr, au Royaume-Uni, où la coexistence des communautés est une règle intangible, aucune restriction au port du burkini n’est admise. Outre-Manche, il est même devenu « tendance » et on a vu certaines femmes non musulmanes porter le maillot couvrant…
Le burkini ou la réclusion
En conclusion, la France est une parfaite exception en Europe dans ses velléités d’interdire le burkini sur les plages. La plage est par excellence un lieu de liberté et de détente aux yeux de l’ensemble des européens. Le fait qu’une trentaine de maires en France ait cru bon de réglementer les tenues de bain en dit long sur les tensions de nature identitaires qui agitent l’Héxagone.
En outre, à ceux qui mettent en avant la condition féminine, de nombreux commentateurs au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie font remarquer que, pour un certain nombre de femmes musulmanes, l’alternative au bain de mer en maillot couvrant, c’est de rester enfermées chez elles.