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Monténégro : enfin de l’alternance au pouvoir ?

vendredi, 14 octobre, 2016 - 16:55

À la veille des élections parlementaires du 16 octobre, le Monténégro est peut-être à un tournant de sa courte existence. Indépendant depuis 10 ans, le pays dirigé depuis 25 ans par Milo Djukanovic aspire à un changement au pouvoir pour chasser la corruption et la criminalité qui le rongent depuis la fin de la guerre en ex-Yougoslavie.

Une destination paradisiaque qui pâtit d’un fort taux de criminalité

 
Avec plus d'1,5 million de touristes étrangers en 2015, le Monténégro est l'une des trois destinations au monde appelées à se développer le plus dans les 10 prochaines années, selon une étude du Conseil mondial du tourisme et du voyage. Au bord de l'Adriatique et de ses côtes paradisiaques, le petit État des Balkans ne manque pas de charmes, qui sont autant d'atouts pour l'économie du pays. Avec un taux de croissance estimé à 4,7 % en 2016 selon le FMI (Fonds monétaire international), le Monténégro résiste mieux que ses voisins européens à la crise, même si les prévisions pour 2017 sont largement à la baisse (2,5 %). La faute au crime organisé, qui sévit dans tout le pays, jusque dans les stations balnéaires.
 
À Kotor, désignée meilleure destination au monde par le guide Lonely Planet en 2016, la fréquence des agressions et des vols a écorné l'image de marque de la petite ville située entre mer et montagne, rapporte un article du Guardian. Les gangs et cercles criminels monténégrins seraient toujours aussi puissants qu'après la fin de la guerre d'ex-Yougoslavie, durant laquelle ils se sont largement enrichis. Les trafics de drogue et d'armes, largement développés dans le pays, alimenteraient les organisations terroristes sur le territoire européen. Les kalachnikovs ayant servi à l'attentat de Charlie Hebdo en janvier 2015 proviendraient des Balkans. Un citoyen monténégrin a d’ailleurs été arrêté en Allemagne dans une voiture de location pleine d'armes alors qu'il se rendait à Paris quelques jours avant l'attaque.
 

Les casseroles du premier ministre Milo Djukanovic

 
Malgré l'énorme potentiel du pays dans les domaines du tourisme, de l'industrie et de l'agriculture, cette criminalité refroidit les ardeurs des investisseurs étrangers. En quatre ans, la dette publique a fortement augmenté, culminant à 65,5 % du PIB en 2015 et assortie à un solde budgétaire négatif de 7,4 %, d'après le ministère français des affaires étrangères. Le Monténégro paie cher sa tradition du crime organisé, mais aussi la corruption d'un système judiciaire sous-développé, principaux reproches adressés au premier ministre Milo Djukanovic suite à ses demandes pour rejoindre l'OTAN en décembre 2016 et l'Union européenne après 2020. À la tête du pays depuis 25 ans, Milo Djukanovic est le dirigeant européen au pouvoir depuis le plus longtemps, juste derrière Alexandre Loukachenko, président de Biélorussie. Premier ministre de 1991 à 1998, puis président jusqu'en 2002 et de nouveau chef du gouvernement depuis 14 ans, il brigue un huitième mandat lors des élections parlementaires du 16 octobre.
 
Dernier homme d'État issu de la guerre en ex-Yougoslavie, il fait lui-même l'objet de vives accusations dans plusieurs affaires de corruption. En 2009, son immunité lui a évité une mise en examen par la justice italienne pour son implication dans un trafic de cigarettes, qui aurait généré plus d'un milliard d'euros de bénéfices entre 1996 et 2002, d'après le magazine Forbes. Parmi les 20 hommes politiques les plus riches au monde, Milo Djukanovic est également accusé d'avoir perçu, avec sa sœur Ana, plusieurs dizaines de millions d'euros dans le scandale des télécoms monténégrins en 2005 et d'avoir accordé 44 millions d'euros à la Première Banque, propriété de son frère Aco, seule institution financière à avoir reçu une aide publique pendant la crise financière de 2008.
 

Craintes de fraude électorale

 
Ouvertement relayées dans la presse internationale, les affaires du Premier ministre sont plus rarement citées dans les journaux nationaux, le Monténégro figurant en effet au 106e rang mondial en matière de liberté de la presse. Entre février 2014 et octobre 2015, 23 violences auraient été commises à l'encontre de journalistes dans le pays, selon le Centre européen pour la liberté des médias et de la presse. Après l'assassinat en 2004 de Dusko Jovanovic, rédacteur en chef du journal d'opposition Dan, l'arrestation et la détention depuis un an de Jovo Martinovic, qui enquêtait sur la criminalité et la corruption du gouvernement monténégrin, pour trafic de drogue est jugée peu crédible par l'ONG Human Rights Watch. 
 
À la veille du scrutin du 16 octobre, la sombre réputation du Premier ministre et son incapacité à combattre le crime organisé sont plus que jamais au cœur du discours de l'opposition. Aux côtés du Front Démocratique, qui axe son programme sur une forte relance de l'économie nationale, les cinq principaux partis de l'opposition ont formé une coalition historique pour battre le Parti démocrate des socialistes (DPS), au pouvoir depuis un quart de siècle. Sentant que son heure était peut-être arrivée, Milo Djukanovic aurait promis à ses adversaires quatre postes de ministre ainsi que celui de vice-président pour tenter d'amadouer l'opposition. Comme en 2013 lors du scandale d'achat de voix avec des fonds publics, cette dernière redoute une fraude massive du gouvernement, plus gros employeur du pays, qui compte 18 % de chômeurs. Cité dans un article de Ouest-France, Tea Gorjanc-Prelevic, directrice de l'ONG monténégrine Human Rights Action, affirme qu'un SMS promettant 17 euros pour chaque vote en faveur du DPS serait envoyé depuis plusieurs semaines aux Monténégrins. Mais pour y avoir droit, il faudrait fournir un selfie du bulletin de vote dans l'isoloir à l'appui…
 

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