Les infirmiers français supportent de plus en plus mal la dégradation continue de leurs conditions de travail et sont descendus dans la rue il y a quinze jours. Dans la plupart des pays européens, les pénuries sont fortes et les infirmiers n’en peuvent plus.
Le 8 novembre dernier, 10.000 manifestants infirmiers appelés à faire grève par leurs syndicats ont battu le pavé des principales villes françaises.
Nouvelle expression du malaise de la profession, cette catégorie clé de la fonction publique hospitalière et des hôpitaux privés proteste avant tout contre la dégradation de ses conditions de travail devenues de plus en plus difficile dans un contexte de difficultés financières croissantes du secteur hospitalier.
Une situation qui se dégrade depuis quinze ans
Lorsque les conditions de travail ne cessent de se dégrader, le niveau de rémunération comme celui des effectifs paraît d’autant plus insuffisant. Or, depuis le début du millénaire, ces conditions de travail deviennent de plus en plus difficiles.
Cela a commencé par l’application des 35 heures à la fonction publique hospitalière qui a perturbé l’organisation de services fonctionnant à flux tendus. Et puis, en 2005, il y a eu la réforme financière de l’hôpital (avec l’introduction de la tarification à l’activité) qui a eu pour conséquence une réorganisation radicale des services hospitaliers, un alourdissement des contrôles et, pour les infirmiers, une multiplication des tâches de gestion, des réunions en tous genres, des comptes rendus permanents – le fameux « reporting ». Tout cela à une époque où explose la demande de soin du fait du vieillissement spectaculaire de la population.
Certes, depuis l’an 2000, les effectifs infirmiers ont presque doublé pour dépasser aujourd’hui plus de 600.000 professionnels dont les 4/5ème sont salariés. Mais, avec la hausse du nombre d’hospitalisations et la stagnation du nombre de lits, la durée des séjours s’est raccourcie, renforçant la technicité des tâches et la déshumanisation du service.
De plus, la « judiciarisation » de la société met en cause de plus en plus souvent la responsabilité civile et même pénale des infirmiers. D’où un stress maximal, des horaires dépassés, des repos non pris…
Plus d’infirmières en Allemagne et en Scandinavie
Selon les chiffres de l’OCDE, la France est moyennement placée en Europe en terme d’effectifs. Avec 9,4 infirmiers pour 1000 habitants, elle est à peu près au niveau du Royaume-Uni et de la Belgique et nettement au dessus de l’Italie et de l’Espagne (qui tournent autour de 5/6). En revanche, ses effectifs infirmiers sont inférieurs à ceux des Pays-Bas et de l’Allemagne – qui atteint 13 infirmiers pour 1000 habitants – sans parler des mieux pourvus que sont le Danemark ou la Suisse qui dépassent 16, voire 17.
La rémunération brute moyenne des infirmiers français est de 2.200 € par mois, avec un début de carrière allant de 1.600 à 1.800 et une fin de carrière de 2.500 à 3.000 € mensuels. A part l’Italie, nos voisins font généralement mieux : environ 2.500 € en moyenne en Allemagne et en Grande Bretagne, un peu moins en Espagne.
Eldorado suisse ?
Mais le cas de la Suisse a de quoi faire rêver. Dans les cantons francophones, comme celui de Vaud, un infirmier débute à 4.500 € mensuels et peut espérer 7.000 € en fin de carrière ! Ce qui n’empêche pas les infirmiers helvètes de se plaindre de l’accaparement des tâches administratives alors qu’ils sont déjà contraints d’exécuter des tâches relevant en France des aides-soignants.
Et puis, malgré les barrières qui se multiplient, ils subissent la concurrence des infirmiers étrangers qui poussent les salaires à la baisse. Et ils ont beau être très nombreux, leur charge de travail s’alourdit car le niveau d’exigence sanitaire et la demande de soins sont incroyablement élevés en Suisse.
Les infirmiers allemands ne sont pas à la noce
Mais le moral des infirmiers est encore beaucoup plus bas en Allemagne. Pour les mêmes raisons de surcharge de travail qu’en France, mais aussi parce que la profession est mal valorisée du fait que les études infirmières ne sont pas de niveau universitaires et que les tâches demandées sont, comme en Suisse, celles d’aides soignants.
Les disparités de situation sont très fortes et les conditions de travail sont mauvaises dans les très nombreux établissements pour personnes âgées. En outre, le pays est en situation de pénurie d’infirmiers et de nombreux postes sont pourvus par des personnels venus d’Espagne ou des pays de l’Est. Ces derniers sont plutôt maltraités financièrement puisqu’ils doivent rembourser le coût de leur apprentissage de l’allemand.
A l’Est, c’est l’hémorragie
Les pays de l’Est sont toutefois les premiers à pâtir de cette situation. En Pologne par exemple, les infirmiers – qui sont très bien formés – sont payés entre 350 et 750 € par mois. Ils préfèrent évidemment partir vers l’Allemagne ou le Royaume-Uni qui sont en demande.
Du coup, les pénuries d’infirmiers sont criantes en Pologne et le travail se fait à un rythme infernal. Plusieurs milliers d’entre eux ont d’ailleurs manifesté à Varsovie le 26 septembre dernier. Le « siphonage » est encore plus impressionnant en Slovaquie qui enregistre une chute de 25% de ses effectifs infirmiers par rapport à l’an 2000.
Pénuries et incertitudes financières outre-Manche
Outre-Manche, les pénuries sont vraiment criantes et plus de 20% des infirmiers sont étrangers. En 2015, le National Health Service (NHS) a du dépenser 30 millions d’€ pour embaucher des infirmières auxiliaires car les coupes dans le budget de la santé ont fait beaucoup de mal.
Par ailleurs, l’incertitude financière est maximale depuis que le gouvernement Cameron a décidé de supprimer les bourses pour les étudiants infirmiers qui doivent s’endetter. Fin 2015 et début 2016, cette décision a jeté dans les rues des milliers d’infirmiers. De surcroit, le Brexit a plongé dans l’angoisse les 55.000 infirmiers venus des pays de l’UE.
Chômage en Espagne
Le cas de l’Espagne est singulier. Les infirmiers y sont peu nombreux (250.000) mais pas mal payés après des études universitaires en général de 4 ans. Le personnel infirmier dépend des communautés autonomes et les disparités sont énormes en termes d’effectifs par habitant qui varient du simple au double selon les régions.
Pourtant, la conjonction entre contrainte budgétaire et absence de numerus clausus pour l’apprentissage d’une profession jugée valorisante fait que 20.000 infirmiers sont au chômage et que les nouveaux diplômés, faute de débouchés, s’expatrient en Allemagne, en Angleterre et même en France.
On le voit donc, à part sans doute la Scandinavie où effectifs et rémunérations sont élevés, le malaise des infirmiers concerne toute l’Europe.