Donald Trump juge « obsolète » l’organisation militaire du Traité de l’Atlantique nord et estime que les Européens ne paient pas assez. Pour l’Europe, qui n’a pas su construire sa défense commune, les conséquences géopolitiques et sécuritaires d’un retrait américain seraient très lourdes.
L’avènement de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis ouvre une période de grave incertitude pour l’Union européenne. Outre les menaces pesant sur l’avenir des relations commerciales transatlantiques et l’approbation sans réserve du Brexit qui pourrait, selon lui, s’avérer contagieux, le nouveau président américain s’en est pris la semaine dernière à l’OTAN.
Ainsi, il juge « obsolète » cette Organisation du Traité de l’Atlantique Nord créée en 1949 et considère que les partenaires européens des Etats-Unis « ne paient pas ce qu’ils doivent ». Cette perspective d’un désengagement – même partiel –de la première puissance militaire mondiale est un véritable défi pour l’Europe dont la politique de défense commune n’a jamais dépassé le stade embryonnaire.
Un système de défense qui a perdu son objet initial
L’OTAN est une alliance politique et militaire créée après la deuxième guerre mondiale pour assurer, sous le parapluie militaire américain, la défense d’une Europe occidentale très affaiblie face à la menace montante de l’Union soviétique dont on redoutait alors les visées expansionnistes.
Comprenant à l’origine deux pays d’Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada) et dix pays d’Europe (Royaume-Uni, France, Bénélux, Italie, Danemark, Norvège, Islande et Portugal), l’OTAN s’est élargie au fil du temps et compte désormais 28 pays dont 22 pays de l’Union européenne, Autriche, Finlande Irlande, Suède n’y adhérant pas pour des raisons de neutralité, Chypre et Malte pour des raisons spécifiques.
L’OTAN instaure une obligation d’assistance militaire mutuelle en cas d’agression d’un seul de ces membres. Mais cette solidarité n’eut jamais à s’exercer depuis 1949. Après la disparition de l’URSS et du Pacte de Varsovie, au début des années 90, l’OTAN se transforme de facto en une alliance militaire tournée vers les théâtres d’opération extérieurs.
Elle interviendra, dans le cadre d’opérations soutenues par l’ONU, en Bosnie Herzégovine, en 1995, puis assurera la sécurisation de l’Afghanistan, de 2002 à 2014. En 2014, les tensions se réveillent sur le continent européen avec l’annexion de la Crimée ukrainienne par la Russie de Poutine, ce qui rend toute sa pertinence originelle à l’organisation qui n’a toutefois aucun fondement juridique pour intervenir puisque l’Ukraine n’en est pas membre.
Financement : de quoi parle-t-on ?
En matière de financement de l’OTAN, il faut bien distinguer entre le budget de l’organisation et le coût global des moyens militaires engagés dans le cadre de l’OTAN.
Le budget finance les fonctionnaires, les systèmes de commandements et de contrôles intégrés, les états-majors, les quartiers généraux ainsi que deux moyens opérationnels propres que sont la force aéroportée de détection et le transport aérien lourd.
Un budget de 2 milliards d’€ pour 2016 financé selon une clé de répartition basée sur le revenu national brut des pays membres. Les Etats-Unis y contribuent pour 22%, l’Allemagne pour un peu moins de 15%, la France pour 10,5%, le Royaume-Uni pour 10%.
Rien d’excessif donc pour les Américains. Mais l’OTAN engendre des dépenses autrement plus importantes pour les Etats-membres puisque ceux-ci affectent à l’organisation une partie de leurs moyens militaires en terme de soldats, d’armements, de matériels, de logistique, de carburants…
Les trois quarts des moyens sont américains
Sur ce point, la puissance américaine se taille la part du lion puisqu’elle concourt à plus des trois quarts de l’effort financier. Car le budget militaire américain est de 625 milliards de dollars contre seulement 225 milliards pour l’ensemble de l’Europe. Pour cette raison, les Etats-Unis exigent que tous les pays membres consacrent au moins 2% de leur PIB à la défense (3,6% pour les Etats-Unis) et, à l’intérieur de cette enveloppe, au moins 20% de dépenses d’équipement. C’est cela qui n’est pas respecté.
Avec 51 milliards d’€ de budget de la défense en 2016, le Royaume-Uni est le premier contributeur européen devant la France (40 milliards), l’Allemagne (37 milliards), l’Italie (20 milliards), l’Espagne et la Turquie (10 milliards).
Cinq pays européens dans les clous
Mais par rapport au PIB, seuls 5 pays européens atteignent ou dépassent la barre des 2% (dont le Royaume-Uni et la Pologne). La France n’en est cependant pas très loin (1,8%) mais l’Allemagne (1,2%), l’Italie (1,1%) et surtout l’Espagne (0,9%) sont très en dessous des exigences de l’OTAN. En outre, l’Allemagne ne consacre à l’investissement que 14% de son budget de défense au lieu des 20% exigés. Pour Washington, le compte n’y est pas.
Et les disparités de moyens militaires restent abyssales : par rapport aux Etats-Unis, les quatre premières puissances militaires européennes totalisent 44% de personnels militaires en moins, ils ont deux fois moins de sous-marins, trois fois moins d’avions de combat et dix fois moins d’hélicoptères !
Les conséquences d’un retrait
Un retrait américain empêcherait quasiment l’Europe de mener des opérations militaires extérieures conjointes. Car les Etats-Unis fournissent en quasi-exclusivité à leurs alliés les moyens en matière de renseignement, de reconnaissance, de surveillance et une grosse part des capacités de ravitaillement et de défense anti-missiles, sans compter les missiles d’avions.
En matière de défense du territoire européen, la situation paraît moins tendue dans la mesure où, ces dernières années, les Etats-Unis ont fortement diminué leurs forces stationnées sur le continent, notamment en Allemagne, pour les ramener à 60.000 hommes. Cela dit, le regain de tension avec la Russie bouleverse de nouveau la donne.
Nouvelles tensions à l’Est
De fait, l’invasion de la Crimée et la guerre en Ukraine orientale tétanisent les pays frontaliers membres de l’OTAN. Celle-ci a donc décidé de positionner de nouvelles forces dans les pays baltes, en Pologne, Roumanie et Bulgarie.
Sur les 10.000 militaires en cours de déploiement, plus de 7.000 sont américains, les Etats-Unis fournissant en outre 2.800 blindés et canons et 84 hélicoptères. L’Europe aurait du mal à remplacer ces forces sans compter qu’elle n’a guère les moyens d’une surveillance efficace de la Baltique et de la Mer Noire.
Bref, à ce stade, sans les Etats-Unis, l’Europe n’est plus capable de défendre ses intérêts continentaux. De surcroit, dépourvue de moyens d’interventions extérieures suffisants, elle perd la plupart de ses moyens de pression et d’influence politique dans le monde.
La probabilité d’un retrait est difficile à mesurer avec Donald Trump. Si l’on est optimiste, on peut espérer que le nouveau président américain pourra se satisfaire d’un accroissement des budgets militaires européens, notamment allemands et italiens.
Mais s’il parvenait à s’entendre parfaitement avec la Russie de Vladimir Poutine, l’Europe court le risque majeur de se retrouver démunie, coincée entre une Russie agressive et une Amérique neutre. Car bâtir une véritable défense européenne commune prendra du temps…