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Immunité des politiques : une pratique répandue en Europe

jeudi, 2 mars, 2017 - 16:08

En France, comme dans plusieurs pays, le chef de l’Etat ne peut être poursuivi au pénal durant son mandat. Partout, les chefs de gouvernement sont soumis au droit commun tandis que les parlementaires sont protégés jusqu’à la levée de leur immunité.

Situation parfaitement inédite sous la cinquième république : Deux des principaux candidats à l’élection présidentielle sont sous le coup d’informations judiciaires qui pourraient aboutir à leur mise en examen.

Marine Le Pen, dans le cadre de l’enquête ouverte en décembre sur le Front national pour « abus de confiance et escroquerie en bande organisée » ; François Fillon, dans le cadre de l’information qui vient d’être ouverte « contre personne non-dénommée » pour « détournement de fonds publics, abus de bien sociaux et trafic d’influence ».

Pour chacun des deux candidats, une éventuelle mise en examen ne les ferait pas renoncer à l’élection et si l’un d’eux venait à être élu, l’immunité présidentielle le protègerait de toute poursuite pendant cinq ans, voire dix.

En quoi consiste cette immunité présidentielle ? Elle présente deux aspects bien distincts. D’une part, il y a « irresponsabilité » du chef de l’Etat pour tout acte accompli dans l’exercice de ses fonctions. Il n’y a qu’en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » que le chef de l’Etat peut être traduit devant la Haute-Cour.

D’autre part, le président bénéficie d’une « inviolabilité » qui le met à l’abri durant son mandat de toute procédure civile ou pénale pour les faits commis hors de ses fonctions. En l’espèce, c’est cette inviolabilité qui exempterait Madame Le Pen ou Monsieur Fillon de toute poursuite s’ils étaient élus.

De nombreux chefs d’Etat pénalement inviolables…

Cette inviolabilité des chefs d’Etat est assez courante en Europe. Dans les monarchies, les monarques bénéficient d’une immunité absolue à l’exception du roi de Suède qui est responsable au plan civil.

Ailleurs, que ce soit au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, au Danemark, en Belgique ou en Espagne, la personne du roi (ou de la reine) est considérée comme inviolable et bénéficie d’une immunité totale. Au Danemark et en Espagne, le monarque est non seulement « inviolable », mais encore « sacré ». Bien sûr, on peut penser qu’en cas de faute très grave, le monarque pourrait être mis en cause, mais uniquement au plan politique.

Dans les républiques, on distingue les régimes pénaux fortement dérogatoires au droit commun et ceux qui le sont peu. Très dérogatoires sont les régimes italiens et grecs qui sont d’ailleurs très proches. En Italie comme en Grèce, la responsabilité pénale du chef de l’Etat dans l’exercice de ses fonctions ne peut être engagée qu’en cas de haute trahison ou de violation de la constitution.

Dans ce cas, il faut une mise en accusation par le parlement et c’est la cour constitutionnelle qui juge. Pour les délits commis hors exercice des fonctions, la question n’est pas clairement tranchée en Italie mais, a priori, le président n’est poursuivi qu’après expiration de son mandat, comme c’est le cas en Grèce.

… mais pas en Allemagne ni en Autriche

Non, car en Allemagne, en Autriche ou encore au Portugal, le régime est assez peu dérogatoire. Dans l’exercice de ses fonctions, le président voit sa responsabilité pénale engagée en cas de violation de la constitution et de toute loi fédérale en Allemagne et en Autriche.

Les poursuites pénales sont exercées devant la cour constitutionnelle après décision de mise en accusation par les deux tiers de l’une ou l’autre chambre en Allemagne ou de l’assemblée fédérale autrichienne. Quant aux délits qui n’auraient rien à voir avec la fonction, les poursuites sont possibles mais seulement après autorisation du Bundestag ou de l’assemblé fédérale.

Les chefs de gouvernements ne sont pas protégés

En France le régime applicable au premier ministre – et à l’ensemble du gouvernement – est peu dérogatoire au droit commun. Pour des crimes ou délits commis dans l’exercice de ses fonctions, un chef du gouvernement français peut-être certes traduit devant une juridiction spécifique : la cour de justice de la république.

Mais pour tout acte commis sans lien avec ses attributions et même pendant l’exercice de ces fonctions, il est soumis aux juridictions ordinaires. C’est assez similaire au régime appliqué en Autriche, Belgique, Espagne, Pays-Bas et Grèce où, pour un délit commis dans le cadre de ces fonctions, le chef du gouvernement est attrait devant un tribunal spécial.

Ce n’est le cas ni en Italie, ni en Allemagne mais, dans ces deux pays, ainsi qu’en Espagne, il faut une autorisation du Parlement pour poursuivre, toujours dans le cadre de ces fonctions, le numéro un du gouvernement.

Pour les faits commis hors de leurs fonctions, partout, comme en France, les premiers ministres relèvent du droit commun. Quant au Royaume-Uni et au Danemark, le droit commun s’applique dans tous les cas de figure.

La pratique généralisée de l’immunité parlementaire

En France, comme pour le président, il y a irresponsabilité pour toute opinion ou vote exprimé dans le cadre des fonctions parlementaires. En dehors de ce cadre, les actions civiles ou pénales durant le mandat du député ou du sénateur exigent une levée de l’immunité parlementaire par l’assemblée concernée sauf dans le cas d’un flagrant délit.

Ce régime se retrouve pratiquement à l’identique dans la plupart des pays d’Europe. Trois exceptions toutefois : en Irlande et aux Pays-Bas, il n’y a pas d’inviolabilité en matière civile ou pénale pour les actes accomplis en dehors de la fonction parlementaire et la levée de l’immunité n’est donc pas requise. C’est également le cas au Royaume-Uni au pénal, mais il y a inviolabilité en matière civile.

Au Portugal, la levée de l’immunité n’est pas non plus nécessaire pour les actes passibles de plus de trois ans de prison. Même chose en Suède pour les actes passibles de plus de deux ans. Enfin, en Allemagne, les membres de la chambre haute, le Bundesrat, ne bénéficient d’aucune immunité parlementaire.

En résumé, la France ne se distingue pas particulièrement en matière d’immunités. Pour les parlementaires et le chef du gouvernement, le régime français est similaire ou très proche de celui des voisins.

Mais pour le chef de l’Etat, l’Hexagone est dans le groupe des pays qui appliquent un régime largement dérogatoire au droit commun. Ce n’est d’ailleurs pas tout à fait un hasard si l’on parle de « monarchie républicaine »…


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