Malgré son niveau de chômage, la France fait partie des bons élèves européens en matière de taux de pauvreté. Ce n’est pas le cas de l’Allemagne. Mais ce constat ne permet cependant pas d’incriminer les politiques libérales en matière d’augmentation de la pauvreté.
La campagne présidentielle voit se confronter les candidats sur la question jugée prioritaire par les Français : la lutte contre le chômage. Un sous-emploi de masse endémique depuis plusieurs décennies qui fait de la France un des mauvais élèves de l’Europe en la matière avec un taux de chômage d’environ 10%.
Des voix, venues de la gauche, soulignent cependant que la baisse du chômage dans plusieurs pays voisins s’est accompagnée d’une hausse du taux de pauvreté, laissant entendre que personne n’a, en matière d’emploi et de niveau de vie, de recette miracle. En somme, on ne ferait baisser le nombre de sans emplois qu’en sous payant ou en précarisant de nombreux jobs non qualifiés.
L’Institut européen des statistiques Eurostat utilise depuis longtemps un indicateur intitulé « taux de risque de pauvreté ». Il représente la population dont les revenus disponibles sont inférieurs à 60% du revenu médian en incluant les transferts sociaux. Un revenu modeste qui, du coup, fait courir aux intéressés un risque de tomber dans la pauvreté s’ils ne sont pas aidés par leur entourage.
La France contient la pauvreté
Dans ce domaine, la France est plutôt bien placée puisqu’elle occupe dans l’Union la 6ème position sur 28 avec un taux de risque de pauvreté de 13,6 % en 2015. Deux pays nordiques et les Pays Bas font mieux ainsi que deux pays de l’Est, la Slovaquie et la république tchèque – champion européen avec un taux inférieur à 10%.
Les grands voisins de la France sont plus mal placés avec des taux de 16,7 en Allemagne et au Royaume-Uni, de 20% en Italie et de 22% en Espagne.
Pour ce qui est de l’évolution du risque de pauvreté on constate, pour l’ensemble de l’Union, que le taux est passé de 16,5% en 2005 à 17,3% en 2015. S’il a diminué de 2 points au Royaume-Uni, sa progression reste très limitée en France puisque l’on ne passe que de 13 à 13,6 en dix ans.
Une hausse plus marquée, de 2 à 3 points s’observe en Espagne et en Suède. Mais c’est en Allemagne que la progression du risque de pauvreté est la plus significative : à 12,2%, il était inférieur à celui de la France en 2005 et il est désormais de 3 points supérieur. Or c’est bien en Allemagne que le taux de chômage a le plus diminué.
Moins de chômage et plus de pauvres en Allemagne…
Il semble donc y avoir une corrélation entre baisse du taux de chômage et hausse de la pauvreté mais celle-ci ne s’observe qu’en Allemagne et, dans une moindre mesure en Suède. Beaucoup voient dans ce phénomène une conséquence des réformes libérales menées sous le chancelier Schröder au début des années 2000.
Des réformes qui ont durci les conditions de versement des allocations chômage et créé des emplois d’insertion très mal payés comme les mini-jobs. Pas étonnant, dans ces conditions, que le taux de risque de pauvreté ait quasiment doublé depuis dix ans outre-Rhin pour les titulaires d’un emploi, passant de 5,5% en 2005 à 10% en 2015.
… mais ni au Royaume-Uni, ni en Suède
Ces travailleurs pauvres ne sont que 8,2% en Grande-Bretagne, 7,5% en France et 5% ou moins aux Pays-Bas et en Belgique. Cela jette-t-il pour autant la suspicion sur la validité des politiques libérales en matière de marché du travail ? En fait, on ne peut généraliser.
Car les politiques libérales menées au Royaume-Uni et en Suède n’ont pas produit de tels effets. Outre-Manche, on observe depuis 2009 une baisse substantielle du taux de chômage sans augmentation du nombre de travailleurs pauvres. De surcroit, le nombre de chômeurs britanniques menacés de pauvreté a fortement décru. En Suède, on constate même une diminution des travailleurs pauvres mais, à l’inverse, il y a davantage de chômeurs pauvres.
Chômeurs précarisés
Ce qui est général, en revanche, c’est la monté de la précarité parmi les chômeurs. Une grande proportion de chômeurs est en risque de pauvreté : 47% dans l’Union contre 41 il y a dix ans. Et, là encore, l’Allemagne se distingue avec une véritable explosion des chômeurs à risques qui sont passés de 43 à 69 % !
C’est bien plus qu’au Royaume-Uni où leur taux de risque de pauvreté est revenu à 48% et c’est sans commune mesure avec ce que l’on observe en France qui, de ce point de vue, fait même mieux que les pays scandinaves avec 37% de chômeurs à risques. La longue durée de l’indemnisation-chômage dans l’Hexagone ainsi que la relative générosité des allocations explique certainement cette bonne performance française.
La « vraie » mesure de la pauvreté
Le lien entre chômage et pauvreté n’est donc pas évident. On s’en rend compte en considérant un indice qui mesure plus directement la pauvreté. C’est le taux de personnes en situation de privation matérielle grave, celles qui ne peuvent par exemple se chauffer correctement ou prendre ne serait-ce qu’une semaine de vacances hors de leur domicile.
Sans surprise, ces personnes sont une infime minorité en Scandinavie. Elles ne représentent guère plus de 4,5% en France ou en Allemagne, alors justement que le chômage est deux fois plus élevé en France. Elles sont 6% ou 6,5% en Espagne et au Royaume-Uni alors que le taux de chômage est quatre fois plus élevé en Espagne. Et elles sont plus de 11% en Italie.
Comment expliquer ce phénomène ? Au delà de la générosité de prise en charge du chômage, il faut tenir compte de l’existence d’un chômage caché, non pris en compte par les statistiques, représentant des gens désinscrits des listes ou découragés.
Le phénomène est reflété par la mesure de l’intensité de travail au sein des ménages. Lorsque, au sein d’un même foyer, personne ou presque personne ne travaille, on considère qu’il y a une faible intensité de travail. De façon surprenante, il y a une plus grande proportion d’Allemands que de Français – 9,8 contre 8,6% – dans cette situation. Et près de 12% des Britanniques sont concernés, soit autant que les Italiens ! Cela signifie que l’intensité de travail peut être la même dans des pays à fort taux ou à bas taux de chômage.
De multiples paramètres
Cela amène à conclure qu’une politique socio-économique cohérente doit prendre en compte une infinité de paramètres tenant aux caractéristiques, culturelles, sociales, psychologiques d’une population donnée. Quels que soient les résultats obtenus dans tel ou tel pays, il ne peut y avoir de modèles extérieurs à suivre en matière de lutte contre le chômage, la précarité et la pauvreté.