Notre économie est en pleine mutation. Des premières plateformes collaboratives, à l’instar de Wikipedia, créée en 2001, au tandem Uber-AirBnb, nous sommes résolument entrés dans l’ère de l’économie du partage. Pourtant, le terme même de « collaboratif » prête à confusion : comment ne pas distinguer Wikipedia, qui met la connaissance à la disposition de tout un chacun, ou Blablacar, qui développe un modèle de partage des coûts pour les voyageurs en voiture, d’une part, et d’autre part Uber ou AirBnb, le premier s’avérant un employeur très agressif et le second un nouveau mastodonte de l’hôtellerie — ne possédant aucune chambre — et qui s’affranchit de la plupart des règles imposées aux acteurs traditionnels du secteur ?
Nos responsables politiques ne peuvent continuer à fermer les yeux. Les enjeux de cette nouvelle forme d’économie sont immenses. L’économie collaborative représenterait déjà près de 28 milliards d’euros d’échanges en Europe. D’ici à 2025, ces échanges seront multipliés par vingt et devraient dépasser les 550 milliards d’euros.
Mais il semblerait qu’un premier pas ait été franchi ce mercredi 29 mars. En effet, sous l’impulsion de l’Association pour un Hébergement et un Tourisme Professionnels (Ahtop), présidée par Jean-Bernard Falco, et en accord avec le Syndicat national des hôteliers restaurateurs cafetiers traiteurs (Synhorcat), une proposition de loi, cosignée par des sénateurs de l’ensemble des groupes politiques, a été déposée sur le bureau du Sénat. Celle-ci entend instaurer une certaine équité entre la plateforme et les acteurs historiques, notamment sur le plan fiscal.
Une concurrence déloyale qui n’a que trop duré
Cette économie soi-disant « disruptive » est depuis toujours portée par des entreprises qui s’affranchissent de nombre d’obligations réglementaires, fiscales et économiques que les hôteliers sont, pour leur part, tenus de respecter : contraintes réglementaires en termes de sécurité, d’hygiène ou d’accessibilité de leurs établissements ; obligations sociales et fiscales, leurs chambres étant taxées au premier euro — et ce alors qu’une récente étude, publiée par le Financial Time, a démontré que les tarifs attractifs proposés par AirBnb s’expliquent pour un tiers par les avantages fiscaux dont la firme bénéficie ; etc. Si AirBnb France a réalisé 26 millions de nuitées en 2016 malgré un contexte difficile, c’est que nos clients habituels l’ont favorisé à nous. Une concurrence déloyale qui laisse les professionnels dans une situation de précarité absolue.
L’enjeu est donc de rétablir l’équité, ne serait-ce que du point de vue du poids de la fiscalité, qui doit être mieux répartie entre l’ensemble des acteurs. On nous rétorquera que le législateur français, grâce à la loi pour une « République numérique », avait déjà commencé à s’attaquer au problème, en limitant la location des logements privés à 120 jours par an. Ce n’est pas assez ou, plutôt, c’est trop. Le plafond de location devrait être réduit à 60 jours pour tout particulier — qui dispose de 120 jours de vacances par an pendant lesquels il peut quitter son logement ? Au-delà de cette limite, les revenus doivent être considérés comme des bénéfices professionnels et le propriétaire doit acheter la « commercialité » de son bien au même titre que les professionnels du secteur.
On est également en droit de s’interroger sur la réelle volonté de certains membres du gouvernement d’encadrer le secteur des plateformes de location en ligne. Alors qu’un amendement a été voté en décembre 2016, obligeant ces sites à transmettre automatiquement au fisc les revenus de leurs utilisateurs, amendement adopté à l’unanimité par une commission mixte paritaire, le gouvernement en a reporté l’application. De même, alors que le Conseil constitutionnel a validé l’article 18 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, prévoyant une affiliation au RSI des loueurs de meublés, le même gouvernement a remonté le seuil de déclenchement à 23 000 euros — et ce alors que le revenu moyen d’un « hôte » Airbnb est dix fois moins élevé.
La conjugaison des attentats qui ont frappé la France et détourné une partie des flux touristiques de notre pays, et de la captation d’une partie de leur clientèle traditionnelle au profit des offres de location disponibles sur les plateformes comme AirBnb, ont lourdement impacté les professionnels du tourisme et de l’hôtellerie de notre pays en 2016.
La balle est dans le camp des élus
Or le secteur du tourisme représente 7,3 % du PIB et 2,2 millions d’emplois directs et indirects. Autour des hôtels, tout un écosystème de petits commerces et de fournisseurs profite également du fait que notre pays soit et reste la première destination touristique au monde. Pourtant, malgré notre importance dans l’économie française, on cherche encore la moindre ligne concernant le secteur du tourisme dans les programmes des candidats à la prochaine élection présidentielle.
Du point de vue politique, les professionnels de l’hôtellerie et du tourisme sont quantité négligeable. Face à la déferlante numérique et à l’uberisation galopante, notre secteur apparaît dans les yeux de certains responsables publics comme démodé, à la traîne de l’innovation. C’est une erreur. Etre moderne, ce n’est pas courir après la dernière martingale technologique. C’est au contraire assumer sa part de responsabilité. C’est adopter une attitude citoyenne. Se soustraire aux règles supposées communes à tous n’a rien de « moderne », encore moins de « collaboratif ».
Malgré tout, plusieurs élus commencent à prendre conscience des enjeux soulevés par ce changement de paradigme. C’est notamment le cas des sénateurs ayant signé la proposition de loi portée par l’Ahtop et qui prévoit, entre autres, de diminuer l’abattement forfaitaire s’appliquant aux revenus bruts tirés des plateformes de 5000 à 3000 € ou encore d’instituer un critère unifié permettant de distinguer plus simplement professionnels et particuliers.
De leur côté, les hôteliers se remettent aussi en question. Ils améliorent constamment leurs services et produits, accompagnent au plus près les demandes de leurs clients, proposent des formules à la fois plus souples et plus sécurisées. Service, confort et sécurité, voilà les trois axes qui feront la différence face aux loueurs de meublés et lits froids.
Nous sommes tous face à un défi majeur. La libéralisation débridée n’est pas une fatalité. Le changement de modèle doit nous permettre d’offrir le meilleur à nos clients et d’assurer la pérennité économique et sociale de nos entreprises.
Par Quentin Vandevyver Président de Best Western France
Incroyable, c’est carrèrent le lobby hotelier qui dicte sa loi aux Assemblées… On croit rêver. On voit à quel point ce lobby hotelier entend conserver coûte que coûte son monopole abusif, jusqu’à contester les lois. Les citoyens ne se laisseront pas faire !