Deux champions français et européens sont sur le point de s’unir. D’un coté, Safran, constructeur des moteurs de nombreux avions de prestige, militaires ou civils : le Rafale, le Boeing 737 ou encore l’Airbus A320. De l’autre, Zodiac Aerospace, spécialiste de l’équipement des avions : sièges, toilettes, aménagements des cabines, trains d’atterrissage. Une union que l’Europe, en voie de désindustrialisation aussi rapide qu’inquiétante, ferait bien d’appeler de ses vœux.
Si la fusion était menée à son terme, le nouvel ensemble s’offrirait une place de choix sur l’échiquier international. Fort de ses 90 000 salariés, le nouvel ensemble occuperait ainsi la troisième place mondiale dans l’aéronautique et la seconde dans les équipements aéronautiques. Son chiffre d’affaires serait de 21 milliards d’euros et il entrerait, de fait, dans la cour des grands – des très grands, même, puisqu’il serait placé juste derrière les leaders mondiaux que sont United Technologies et GE Aviation. Un poids lourd industriel dont l’Europe a bien besoin, tant elle souffre de voir ses industries délocalisées ou absorbées par la concurrence issue des nouvelles puissances.
L’Europe en quête de champions industriels
La désindustrialisation de l’Europe n’est pas qu’un argument de campagne électorale. Elle se traduit dans les faits, et dans les chiffres. En vingt ans, la part de l’industrie dans la valeur ajoutée brute des 28 Etats membres de l’Union européenne est ainsi passée de 23,30% en 1995 à 19,30% en 2015. Un effondrement de 17,2%, qui dissimule de grandes disparités entre pays.
Si l’Irlande caracole en tête des pays industriels (la part de l’industrie dans la valeur ajoutée y était de 39,10% en 2015), d’autres pays sont à la peine, parmi lesquels la France (14,10%) et le Royaume-Uni (13,30%). Soit des taux comparables à… la Grèce (13,30%) ! La part de l’industrie dans la valeur ajoutée britannique accuse ainsi un recul de -40% en vingt ans.
Cette désindustrialisation a, évidemment, des répercussions sur l’emploi. La part de l’industrie dans l’emploi total n’est plus que de 10,90% en France et de 9,40% au Royaume-Uni. Au niveau européen, cette part culmine en 2015 à 15,40%, en recul de plus de 26% sur une période de vingt ans. En d’autres termes, il y a le feu à l’usine Europe, et Bruxelles regarde ailleurs.
Les critiques quant à la politique commerciale et de la concurrence de l’Union européenne sont aussi vieilles que l’Europe elle-même. La France a souvent pesé à Bruxelles pour faire évoluer le droit communautaire et permettre à de grands champions européens de damer le pion à leurs concurrents internationaux. Petit à petit, le principe d’une Europe ouverte aux quatre vents, qui protège insuffisamment ses industries les plus stratégiques, prend du plomb dans l’aile.
Mais il faut aller plus loin. Pour l’économiste Bruno Alomar, « plaider pour la constitution d’entreprises européennes fortes, en particulier industrielles, avec des capacités productives inscrites dans les territoires européens, capables de tenir leur rang face à leurs concurrents mondiaux, ne suffit pas ».
Selon l’ancien haut fonctionnaire à la Commission européenne, « l’initiative, en la matière, vient d’abord des entreprises elles-mêmes ». Et de plaider pour que « les autorités européennes, en accompagnement des entreprises, (jouent pleinement) un rôle, et (sortent) d’une posture exclusivement défensive et prohibitive en matière de rapprochements d’entreprises ». Il serait plus que temps, en effet.
L’Europe à l’aube d’un renouveau industriel ?
L’urgence est aussi imposée par le rythme des fusions-acquisitions, qui s’accélère de par le monde. Dans le secteur de l’aéronautique notamment, entré dans un cycle de consolidation. B/E Aerospace et Rockwell Collins se sont ainsi rapprochés l’année dernière. Une tendance qui n’épargne pas les sociétés européennes, désireuses, elles-aussi, de prendre de l’épaisseur : Engie aurait des vues sur Suez Environnement, Bolloré lorgnerait Mediaset, Lufthansa serait intéressé par Etihad, Orange par Telecom Italia… Chacun, en Europe et dans le monde, se prépare à grossir pour affronter les guerres commerciales à venir.
La course à la taille est bien lancée. Pour Hélène Masson, maître de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique, cette « adaptation du périmètre d’activités peut se traduire par des opérations ciblées de croissance externe, à même de consolider les compétences les plus stratégiques de l’entreprise ». On ne saurait mieux résumer l’intérêt d’un rapprochement entre Safran et Zodiac.
Plus que jamais, l’Europe a besoin de ces méga-fusions si elle entend conserver, voire accroitre, son rayonnement économique dans le monde. Pour Bruno Alomar, « l’Europe doit être capable de définir ses intérêts, et pour cela cesser de considérer les outils dont elle dispose, à commencer par le droit de la concurrence, comme des instruments neutres, pour au contraire les mettre au service d’objectifs politiques et économiques assumés. Elle ne doit pas non plus craindre de définir des actifs stratégiques, à conserver coûte que coûte ». A bon entendeur.