A force de blagues ineptes, Cyril Hanouna a fini par se faire épingler par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Le 7 juin dernier, le gendarme du petit écran a prononcé une double sanction à l’encontre de la chaîne, pour la diffusion, en novembre et décembre derniers, de deux séquences jugées « contraires aux bonnes mœurs ». S’il semble acquis que le show de Cyril Hanouna participe d’une entreprise de décervelage de l’époque, appartient-il pour autant à Olivier Schrameck et à ses acolytes de juger du bon goût et de la bonne moralité des programmes TV ? Evidemment non.
Les sanctions sont sévères : C8 a interdiction de diffuser des séquences publicitaires, non seulement pendant — première sanction —, mais également quinze minutes avant et après — seconde sanction — l’émission, et ce pendant trois semaines. Manque de chance, « TPMP » représente la moitié des recettes publicitaires de la chaîne, qui ne se finance que grâce aux annonceurs. La perte, évaluée entre 5 et 6 millions d’euros, est donc substantielle.
Dans un communiqué publié le 8 juin, où elle dénonce le « caractère disproportionné et discriminatoire » des sanctions, C8 s’est dite sous le coup de la « stupéfaction » devant ce « traitement inéquitable ». Aussi cher qu’il nous coûte de le reconnaître, il est difficile de lui donner tort.
Le CSA a perdu une occasion de se taire
Le caractère exceptionnel de la sanction, tout d’abord, a de quoi alerter. C’est la première fois, en plus de trente ans d’existence, que le CSA prononce une telle mesure. Pourquoi ne l’avait-il pas fait avant ? Tout simplement parce que l’interdiction de la publicité ne fait pas partie de son arsenal habituel. Les membres du Conseil l’auraient-ils, dès lors, rangée dans la case « sanctions pécuniaires », qu’ils sont habilités à prononcer ? Là encore, la pratique serait insolite. Et, en l’espèce, très critiquable. D’après l’article 42-2 de la loi du 30 septembre 1986 — acte de naissance, en quelque sorte, du CSA —, le montant d’une telle sanction pécuniaire ne peut excéder 3 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé au cours du dernier exercice. Or, les 6 millions de pertes représentent plus de 4 % du chiffre d’affaires de la chaîne — environ 130 millions d’euros.
Le timing, ensuite, interpelle. Pour des faits commis en novembre et décembre derniers, la sanction ne tombe qu’en juin, soit plus de six mois après. Pourtant, le site Internet du Conseil indique qu’il « se réunit en plénière tous les mercredis, parfois plus si nécessaire », afin de statuer « sur tous les dossiers pour lesquels une décision du CSA est attendue. » Manifestement, le dossier « TPMP » était passé à la trappe. Jusqu’à ce que Cyril Hanouna dérape une énième fois. En mai dernier, l’animateur organise en direct un canular téléphonique teinté d’homophobie qui fait ruer dans les brancards sur la Toile. Les membres du CSA ont-ils profité de cette nouvelle sortie de route pour charger C8 ? La concomitance est, en tout cas, troublante.
La méthode, enfin, peut paraître surprenante. Alors qu’Hanouna et ses chroniqueurs avaient proposé au Conseil des Sages de transiger de manière assez intelligente, en rétablissant la publicité, mais en reversant les fonds à des associations, l’Autorité indépendante n’a donné aucune réponse. Ou plutôt, si : elle a laissé l’un de ses anciens membres, Françoise Laborde, réagir sur Twitter, pour annoncer que « le troc ne fait pas partie des dispositions légales » et que le CSA ne peut s’y adonner. Nous avons donc un gendarme qui, d’un côté, tripatouille ses prérogatives pour les outrepasser et, de l’autre, laisse autrui — fût-il ex-membre de la maréchaussée audiovisuelle — agir à sa place.
Ce n’est pas la première fois que l’action du Conseil est critiquable — et critiquée. Récemment, lors du débat d’entre-deux-tours de la présidentielle, il s’était fait remarquer en obligeant TF1 et France 2 à revoir leur duo de présentateurs. Si le motif invoqué — la parité — est plus que louable, le résultat est connu — et raillé un peu partout : les deux modérateurs ont été littéralement débordés par les candidats et n’ont pesé en rien sur les débats. Pour beaucoup, le CSA a perdu dans cette affaire une occasion de se taire, son intervention ne semblant même pas correspondre à l’une de ses facultés d’actions.
Ces petites sorties de route — lors du débat d’entre-deux-tours comme dans l’affaire « TPMP » — ne seraient finalement que le corollaire de l’accélération constante du temps audiovisuel. A l’heure des réseaux sociaux et de l’immédiateté, le CSA réagit plus qu’il n’agit. Ses membres, du haut de leur perchoir d’où ils sanctionnent et obligent tel le souverain sur son trône, sont-ils encore connectés avec la réalité ? Ont-ils conscience de se rendre coupables de graves entorses à la démocratie ? Qui pour surveiller le CSA ?