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La France veut faire de l’entreprise le lieu du dialogue social

mercredi, 28 juin, 2017 - 14:57

La future loi travail propose d’étendre la primauté des accords d’entreprises. En Allemagne et dans le sud de l’Europe la tendance est la même mais, au nord, les accords de branches dominent toujours.

 

Le grand chantier du gouvernement Philippe est l’élaboration d’une nouvelle réforme du code du travail qui, après une intense concertation avec les syndicats, devrait déboucher sur la promulgation d’ordonnances avant la fin de l’été.

Une réforme intervenant à peine quelques mois après l’entrée en vigueur de la loi El Khomry qu’elle a pour objectif de renforcer sur plusieurs points. Et notamment sur le sujet très controversé de la négociation collective qui devrait parachever ce que l’on appelle « l’inversion de la hiérarchie des normes » en consacrant la primauté des accords d’entreprises.

L’inversion de la hiérarchie des normes s’accentue

Sans aller jusqu’à prétendre, comme le font certains, que le droit du travail sera bientôt élaboré au sein de chaque entreprise, on peut dire que le projet du gouvernement accentue très nettement cette primauté et l’inversion de la hiérarchie des normes qui, il y a quelques années encore, n’autorisait les accords d’entreprises à déroger aux accords de branche ou aux accords nationaux interprofessionnels que dans un sens plus favorable aux salariés.

Une règle remise en cause depuis 2004 et que la loi El Khomry avait continué à détricoter l’an dernier. Actuellement, l’accord de branche – celui qui se retrouve dans les conventions collectives – prime obligatoirement l’accord signé au niveau de l’entreprise sur six thèmes : les minima salariaux, les grilles de classification, la formation professionnelle, la santé-prévoyance, la pénibilité et l’égalité hommes-femmes.

En revanche, pour ce qui relève de la durée du travail, des repos ou des congés, un accord d’entreprise peut désormais prévoir des dispositions moins favorables aux salariés que la convention collective tout en restant naturellement dans le cadre de la loi.

Le projet de loi en discussion ne donnerait plus la primauté à l’accord de branche que sur deux thèmes au lieu de six : les minima salariaux et l’égalité hommes-femmes. Sur tous les autres sujets, l’accord d’entreprise pourra s’écarter de la convention ou de l’accord collectif, le cas échéant dans un sens moins favorable au salarié.

L’inversion de la hiérarchie des normes s’accentue donc, même si elle n’est pas complète puisque le code du travail primera toujours sur l’accord d’entreprise.

Une tendance générale en Europe

Globalement, tous les pays d’Europe ont eu tendance, ces dernières années, à donner plus d’importance aux négociations d’entreprise. Tout simplement parce que, dans un monde de plus en plus concurrentiel, chaque entreprise doit pouvoir adapter les modalités de gestion de sa main d’œuvre aux réalités de son environnement de marché, tout particulièrement en cas de difficultés.

C’est ainsi qu’en France, le nombre des accords d’entreprises est passé de 19.000 en 2003 à 36.000 en 2014 pour seulement 1000 accords de branche. En Allemagne, on va dans le même sens même si les accords de branche restent nombreux: 30.000 contre 40.000 accords d’entreprise.

Allemagne : recul des accords collectifs

A la différence de la France, le pourcentage de salariés couverts par des accords collectifs ne cesse de reculer en Allemagne. Il n’est plus que de 58% contre 98% en France. Car beaucoup d’entreprises se désaffilient des organisations patronales pour échapper aux conventions de branche.

En outre, si la hiérarchie des normes n’est pas formellement remise en cause comme en France, elle est contournée dans la mesure où figurent dans les accords de branche de plus en plus de « clauses d’ouverture » permettant justement des dispositions dérogatoires moins favorables aux salariés dans les accords d’entreprises.

On voit notamment fleurir des clauses dites « de force majeure » – en cas de crise, donc – qui ne sont pas sans évoquer les « accords de maintien de l’emploi » qui se sont multipliés en France dans les grands groupes comme Renault, PSA ou les chantiers STX.

Au nord de l’Europe, les accords au niveau national résistent…

Au nord de l’Europe, la situation est différente. En Scandinavie, la tendance est au recul des accords-cadre nationaux – ceux qui fixaient pour l’essentiel le droit du travail – au profit des accords sectoriels.

En Suède et au Danemark, les accords d’entreprise sont plutôt complémentaires des accords de branche qui, aux Pays-Bas, servent de référence aux entreprises.

Enfin, en Belgique, un accord national fixe tous les deux ans les modalités de rémunération et les conditions de travail. Quant aux accords sectoriels, ils sont contraignants, ce qui explique le nombre peu élevé d’accords d’entreprise, même s’il progresse.

… mais ils ont disparu au Royaume-Uni

A l’inverse, au Royaume-Uni, on ne saurait parler de hiérarchie des normes : en fait, il n’y a carrément plus de normes ! Finies les négociations au niveau national, pratiquement disparus les accords sectoriels – et quand ils subsistent, ils ne sont pas contraignants.

Outre-Manche, il n’y a plus que les accords d’entreprise ou d’établissement, surtout dans les grands groupes. Résultat : moins de 16% des salariés du privé sont couverts par la négociation collective !

Italie : la branche ne prévaut plus

En Italie comme en France, il y a depuis quelques années une nette volonté de privilégier les accords d’entreprise sous la pression des grands groupes. Ainsi, en 2011, Fiat a quitté la Confindustria, le Medef italien, pour ne plus être soumis à la convention collective de la métallurgie.

Quatre ans plus tard, le gouvernement de Matteo Renzi a eu finalement raison de la hiérarchie des normes avec son « job act ». Désormais, les accords de branche ne prévalent plus sur les accords d’entreprise, la seule restriction concernant l’apprentissage et le travail indépendant qui relèvent d’un accord national.

Espagne : les dérogations se multiplient

En Espagne, même si les accords au niveau national impliquant parfois le gouvernement continuent de déterminer les grandes normes sociales, le pouvoir conservateur a favorisé les accords d’entreprises.

La moitié des travailleurs reste régie par des accords au niveau des provinces, mais les accords d’entreprise priment ces accords provinciaux en matière de salaire, d’organisation du travail, de classifications.

En outre, les entreprises en difficulté ont la faculté de suspendre nombre de dispositions prévues dans les accords collectifs. Du coup, le nombre de travailleurs couverts par ces accords tend à diminuer.

En conclusion, au nord de l’Europe, là où le dialogue social a toujours été développé, il n’y a pas de grande remise en cause des négociations collectives au niveau des branches, voire au niveau national.

En revanche, sous diverses formes, l’Allemagne et les pays du sud de l’Europe ont le souci d’affranchir les entreprises de règles sociales trop contraignantes et de décentraliser la négociation.

La France s’inscrit dans ce mouvement. Reste que, si les accords d’entreprises sont sans doute propices à l’amélioration de la compétitivité des entreprises, les exemples espagnol et surtout italien ne permettent pas d’affirmer qu’ils favorisent clairement une reprise de l’emploi.


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