Je vis dans un pays terroriste et personne ne m’avait prévenu – témoignage d’un Français du Qatar

La nouvelle est tombée en plein Ramadan, théoriquement période de paix et de partage en terre musulmane : l’Arabie saoudite, les Émirats Arabes Unis et l’Egypte annonçaient le 5 juin dernier qu’ils imposeraient désormais un blocus aérien, maritime et terrestre au Qatar. Motif affiché ? L’accointance supposée de Doha envers certains groupes terroristes.
Vu depuis le pays concerné, la situation pourrait sembler risible si elle n’était si grave. Français expatrié depuis 20 ans au Qatar, mes amis viennent des quatre coins du globe. Ils sont Qataris, Koweïtis, Dubaïotes, mais aussi Américains, Africains et Européens. Certains travaillent à des postes à hautes responsabilités, d’autres sont venus tenter leur chance ici, mais tous ces braves gens ignoraient visiblement qu’ils vivaient dans le pays-phare du djihadisme international.
Heureusement, l’Arabie saoudite, redoutable adversaire du terrorisme et de l’Islam le plus radical comme chacun sait, veillait au grain pour remettre le vilain petit Qatar sur le droit chemin. Grossier prétexte sorti du chapeau des princes saoudiens et émiratis pour tenter de mettre au pas le Qatar.
La langue française propose une expression imagée tout à fait adéquate : « Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ». Car ces motifs politico-sécuritaires masquent mal le rapport de force géopolitique véritablement à l’origine de cette vindicte diplomatique. La monarchie saoudienne, confrontée à l’effondrement de prix du baril, peine à financer son dispendieux modèle de société, qui lui assurait jusqu’à présent la paix sociale. Au Yémen, les crimes de guerre de l’armée saoudienne ne l’empêchent pas de s’enliser peu à peu, tandis que simultanément le rival iranien gagne de l’influence dans toute la région, notamment en Irak et en Syrie.
Mise en difficulté sur tous les plans, l’Arabie saoudite cherche à réagir. Car c’est l’indépendance diplomatique du Qatar qui est visée : Doha n’a jamais cessé d’être en bonne intelligence avec son grand voisin iranien. Impossible d’ignorer un pays de 80 millions d’habitants avec qui vous partagez une des plus grandes réserves de gaz naturel du monde et qui, de surcroît, contrôle les voies de passage maritime de la région (détroit d’Ormuz).
Le Qatar, c’est aussi Al Jazeera. Regardée dans tout le monde arabe, la chaîne de TV gêne depuis de nombreuses années les voisins du Golfe par sa liberté de ton et son soutien affiché aux printemps arabes. Une ligne éditoriale qui embarrasse le pouvoir autoritaire du général Sissi en Égypte et le régime saoudien (où, faut-il le rappeler, près de 100 détenus ont été condamnés à mort en 2016).
Si l’offensive des Saoudiens, des Émiratis et des Égyptiens est destinée à cacher leurs déboires diplomatique et économique, la solution du blocus n’en demeure pas moins inappropriée et injuste. Le Qatar n’a jamais empiété sur aucun territoire ou mis en danger la sécurité de ces pays. On peut assez facilement citer beaucoup de noms de terroristes saoudiens, égyptiens et émiratis sur ces 20 dernières années, je vous défie d’en trouver un seul qatari.
Pour toutes ces raisons, la très grande majorité des expatriés au Qatar est vent debout contre ce blocus et soutien le gouvernement de Doha dans cette affaire. Riyad et le jeune prince héritier Mohamed Ben Salman ont commis une erreur majeure en mettant sur pied cette coalition d’une agressivité démesurée qui risque de se retourner contre eux. Car l’accusation saoudienne de financement du terrorisme et de déstabilisation de la région s’avère être à double tranchant : si elle avait pour but de remporter le soutien de l’opinion publique internationale, celle-ci a rapidement rappelé aux Saoudiens leurs agissements et leur attitude vis-à-vis de l’islamisme radical depuis des dizaines d’années. Plus que jamais, c’est bien Riyad et non Doha qui s’avère être l’élément le plus dangereux pour la stabilité du Moyen-Orient.
En somme, comme un mauvais judoka dans un combat, l’assaut mal préparé de l’Arabie saoudite risque de se retourner contre elle.
Patrick Roux
Kinésithérapeute-Ostéopathe, résident français à Doha, au Qatar