Dans les années 1990, la situation économique en Suède était à peu près la même que celle que connait la France aujourd'hui. Pour devenir l'un des pays les mieux portants de l'Union européenne, voire du monde, l'Etat scandinave a engagé de nombreuses réformes, dont celle du secteur public, qui s'est inspiré des pratiques concurrentielles du privé, pour le meilleur et pour le pire.
Hier, Emmanuel Macron recevait à l’Elysée le Premier ministre suédois, Stefan Löfven. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le chef d’Etat français n’a pas tari d’éloge sur le pays scandinave, réaffirmant le tropisme suédois qu’il avait affiché lors de la campagne présidentielle. « J’ai toujours considéré qu’il y avait dans ce que certains ont pu appeler le modèle suédois une véritable source d’inspiration à plusieurs égards » a-t-il ainsi déclaré.
Le « modèle suédois » ? Grosso modo une manière de « faire évoluer son modèle social sans jamais le trahir et en conciliant un modèle de compétitivité et une vraie exigence de justice sociale » selon M. Macron, qui brandit cet exemple à chaque fois qu’il veut parler de réforme des retraites ou d’assurance-chômage.
Vaste réforme du secteur public
Sur le papier, la chose est séduisante. Après tout, ce « modèle » est né en Suède dans les années 1990 alors que le pays connait une crise profonde ; la dette publique culmine à 85 % du produit intérieur brut (PIB), le chômage à plus de 10 % et la productivité est en berne. Pour y faire face, les gouvernements social-démocrate et modéré qui se succèdent oeuvrent sur deux fronts : ceux de la fiscalité et de la dépense publique.
Une réforme fiscale de 1991 met en place un système dual, dans lequel les revenus du travail restent soumis à la progressivité de l’impôt, tandis qu’un taux forfaitaire de 30 % est instauré pour les revenus du capital. Autres apports : le taux marginal de la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu est revu à la baisse, de 87 % à 57 %, l’impôt sur les sociétés baisse de 58 % à 30 % et le nombre des niches fiscales est considérablement réduit.
Résultat : la Suède se porte bien et l’Etat, après une vaste réforme du secteur public, est beaucoup plus efficace. Une croissance à plus de 2 % – supérieure à la moyenne européenne -, un chômage sous les 7 %, une dette publique à moins de 40 % du PIB et, cerise sur le gâteau, un excédent budgétaire pour la troisième année consécutive. Ceci tout en réussissant à rester l’un des pays les moins inégalitaires – voire le moins inégalitaire – d’Europe.
« Créer plus de bénéfices pour les actionnaires »
Mais le succès a ses travers. Car en faisant du « capitalisme doux » un paradigme dans les secteurs aussi bien privé que public, la Suède a parfois instauré sans le vouloir une dose de concurrence entre services et/ou territoires, menant parfois à des carences préjudiciables pour les citoyens – ou les usagers des services. Exemple : dans certains services de soins privés, certains ont mis au jour des cas de traitement dégradant des résidents, quand d’autres soulignaient les délais d’attente qui s’étiraient.
Des violences, ces derniers temps, ont également pu éclater dans certains quartiers défavorisés, tandis que le classement internationale PISA pouvait pointer l’écroulement des résultats scolaires à certains endroits du territoire.
Pour Sten Widmalm, professeur de sciences politiques à l’université d’Uppsala, ces excès se trouvent consignés dans un terme, celui de « client », de plus en plus souvent employé dans les services publics au détriment d’ « usager » par exemple. A force de lorgner sur les méthodes du privé, on en acquiert le vocabulaire. Et les tares ? « La Suède est actuellement le seul pays au monde où des entreprises du secteur de l’éducation font des économies sur les salaires des enseignants et sur du matériel pédagogique pour créer plus de bénéfices pour les actionnaires » selon l’universitaire. La rentabilité au détriment de la qualité, autrement dit. Est-ce réellement ce que l’on souhaite en France ?
Crédits photo : Scanditours