Excédés par les nuisances en tout genre, les habitants des métropoles européennes ont fait du tourisme de masse, favorisé par les plateformes comme Airbnb, l’ennemi public numéro un. Pour lutter contre ce fléau, les initiatives locales destinées à responsabiliser les visiteurs se multiplient, mais d’autres formes d’actions plus agressives voient également le jour.
Les plateformes de location en ligne dans le viseur
Ville romantique par excellence, Venise est la première grande destination européenne à s’être inquiétée du tourisme de masse. En 30 ans, l’afflux de paquebots et de touristes par millions a dépeuplé de moitié la cité, progressivement transformée en ville-musée.
A l’instar de la ville italienne, Amsterdam, Barcelone, Dubrovnik, Ibiza, Lisbonne ou encore Prague voient aujourd’hui d’un (très) mauvais œil l’explosion touristique amorcée par l’essor des vols low-cost. D’après l’hebdomadaire allemand Spiegel, entre 2005 et 2014, les voyages dans les villes d’Europe auraient bondi de 40 %.
Par ailleurs, avec le développement des plateformes de location comme Airbnb, Abritel et Homelidays, les habitants assistent avec impuissance à la multiplication des nuisances, à la dénaturation des centres-villes ainsi qu’à la hausse spectaculaire des prix de l’immobilier. À Amsterdam, qui compte 850 000 habitants, le nombre de visiteurs a augmenté de 50 % en cinq ans pour atteindre 17 millions en 2016, et à Barcelone, les arrivées de touristes ont triplé entre 2000 et 2016.
Pour ménager leurs résidents et préserver leur authenticité, plusieurs villes ont décidé de prendre un certain nombre de mesures plus ou moins restrictives afin de limiter les dérives du tourisme de masse.
Les Baléares ont ainsi interdit le « balconing », pratique qui consiste à sauter dans une piscine depuis son balcon. En Croatie, c’est le port du maillot de bain en ville qui est maintenant banni, tout comme les perches à selfie à Milan, les Segways dans les quartiers historiques de Prague, les « Bierbikes » (vélos à bières) à Berlin, les baignades dans les fontaines à Rome et les pique-niques sur les marches des églises à Florence. D’autres ont pris le parti de limiter ou de faire payer l’accès des touristes à certains sites, comme le marché de la Boqueria et le Parc Güell à Barcelone.
Bon nombre de municipalités ont également décidé de s’attaquer au marché du logement saisonnier, qui s’est développé de manière sauvage et spectaculaire depuis l’arrivée des plateformes de location en ligne. Ainsi, à Barcelone et Amsterdam, les particuliers ne peuvent plus louer leur habitation plus de 60 jours par an, contre 120 à Paris. Outre-Atlantique, lieux de naissance d’Airbnb, les mesures sont même beaucoup plus strictes. Dans le vieux Québec, la limite est de 31 jours par an, tandis qu’à New York il est interdit de louer un logement entier moins de 30 jours d’affilée.
Barcelone : les habitants s’en prennent directement aux touristes
La protestation des habitants est en effet de plus en plus audible, comme le montrent les graffitis et autres manifestations anti-touristes en Espagne. « On souffre d’une perte brutale de qualité de vie », déclare Neus Prats, porte-parole d’une association environnementale à Ibiza, au journal espagnol El Pais.
« On ne sent plus chez nous. On a même l’impression de gêner !, confie Yolande au Parisien, déplorant le va-et-vient incessant de touristes dans son immeuble du IVe arrondissement parisien. Le Marais, c’est devenu Disneyland : une carte postale pour touristes. Dans la rue, je suis devenue un poteau indicateur, et si je n’indique pas le chemin aussi vite qu’un GPS, ils tournent les talons sans même dire au revoir ! » « Ils ne trient pas les poubelles. Ils les laissent même parfois au milieu de la cour, ou devant la porte cochère. […] Et puis, régulièrement, ils bloquent l’ascenseur pour faire monter leurs valises », affirme pour sa part José, gardien d’immeuble parisien.
Dans la capitale catalane, la situation est même montée d’un cran : fin juillet, quatre activistes du groupe anarchiste Arran ont arrêté et crevé les pneus d’un bus de touristes apeurés devant le stade mythique du Camp Nou pour protester contre ce « tourisme qui tue les quartiers ». À San Sebastian, c’est un petit train touristique qui a été la cible de feux de Bengale lancés par les membres d’un mouvement de protestation.
La violence des réactions face aux débordements du tourisme de masse pousse les villes à encadrer encore davantage l’activité des plateformes de location qui, à défaut de s’autoréguler, préfèrent minimiser leur impact sur la population. Après l’adoption du « décret Airbnb » fin avril, Paris a ainsi été la première ville française à voter l’obligation d’enregistrement des propriétaires souhaitant louer leurs biens à des particuliers.
D’autres cités touristiques comme Nice, Bordeaux et Strasbourg ont déjà fait part de leur volonté d’appliquer elles aussi le décret. Et face à la « baisse du nombre de logements dans la capitale », à la « spéculation immobilière » et aux « nuisances dans les copropriétés », les élus parisiens envisagent même de réduire le nombre de nuitées à moins de 120 par an. Ainsi, le 13 septembre, Anne Hidalgo, « compte profiter d’une communication sur le logement prévue en conseil des ministres » afin de « demander à ce que les villes puissent avoir le droit de décider elles-même de leurs seuils ».