A l’instar de la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon, de nombreux partis de gauche radicale en Europe se posent en alternative à une social-démocratie jugée trop modérée. Dans le même temps, les gauches de gouvernement gauchissent leur discours.
Dans son discours du 27 août dernier à Marseille, Jean-Luc Mélenchon s’est clairement positionné en tant que leader de l’opposition au gouvernement « libéral et mondialiste » d’Emmanuel Macron.
En dénonçant « le coup d’Etat social » de la loi travail, en annonçant que « la vague dégagiste [allait] reprendre et s’amplifier », le dirigeant de « La France Insoumise » symbolise désormais la montée en puissance de la gauche anti-système en France.
France : Mélenchon, prince du désert politique
Il est vrai que « La France Insoumise » ne représente, en termes d’effectifs, que le sixième groupe parlementaire à l’Assemblée. Et Jean-Luc Mélenchon n’a terminé que quatrième à l’issue du premier tour de l’élection présidentielle.
Mais son ambition de mener l’opposition repose sur un double constat. La droite et la gauche classiques se trouvent affaiblies et divisées sur la stratégie à mener à l’égard du nouveau pouvoir tandis que le Front National semble tétanisé par l’ampleur imprévue de sa défaite qui remet en cause la validité de sa ligne politique.
A l’inverse, « la France insoumise » a atteint un résultat inespéré à la présidentielle et aux législatives, elle dispose d’un leader incontesté, d’un programme radical contestant les fondements du système économique et institutionnel en place.
Déçus par le social-libéralisme, les électeurs de gauche sont tentés d’en finir avec la logique libérale et capitaliste. C’est ce sentiment de n’avoir plus rien à perdre qui a permis l’avènement de la gauche anti-système dans deux pays du sud : la Grèce et l’Espagne.
Grèce : les désillusions de l’exercice du pouvoir
En Grèce, l’échec total de la droite conservatrice puis des socialistes du Pasok face à une crise financière sans précédent a conduit à la victoire de la coalition de la gauche radicale Syriza.
A la tête du pays depuis deux ans et demi, son leader Alexis Tsipras a cependant été contraint de plier face aux exigences des créanciers européens de la Grèce et à sacrifier son socialisme démocratique sur l’autel de l’austérité. La situation du pays et de ses habitants reste catastrophique et les sondages créditent Syriza de deux fois moins d’intention de votes que les conservateurs de Nouvelle Démocratie.
Cette amère expérience pourrait être de nature à dissuader les Européens de faire confiance à la gauche radicale. Ce n’est pas le cas dans la mesure où aucun pays ne connaît une aussi désastreuse situation que la Grèce, situation dont par ailleurs Alexis Tsipras n’est aucunement responsable. En réalité, il n’a pu appliquer le programme qu’un certain nombre de ses amis en Europe défendent également. Ce qui ne prouve pas que le socialisme démocratique soit inapplicable dans un contexte économique stabilisé.
Espagne : Podemos face à un choix stratégique
Cependant, l’expérience grecque a sans doute ralenti la progression de Podemos en Espagne. Issu du mouvement des Indignés, « Podemos » de Pablo Iglesias avait directement profité, comme La France Insoumise avec le PS, de la perte de crédibilité des socialistes du PSOE.
Mais cette formation, qui entend remplacer la problématique droite/gauche par l’opposition entre peuple et castes dirigeantes, a échoué jusque-là à devancer les socialistes au Parlement.
Du coup, le mouvement se divise sur la stratégie à mener, Pablo Iglesias envisageant désormais une alliance avec le PSOE tandis que son rival Íñigo Errejón veut conserver à Podemos son caractère de formation hors système.
Portugal : la vigie du gouvernement socialiste
Au Portugal, les libertariens du bloc de gauche soutiennent, avec leurs 19 députés, le gouvernement socialiste d’Antonio Costa sans toutefois y participer. Le bloc de gauche apparaît ainsi comme le garant de toute dérive droitière ou libérale du gouvernement. Notons que ce mouvement fondé en 1999 a fortement contribué à l’adoption depuis quinze ans d’une série de réforme sociétales avancées : autorisation de l’avortement, dépénalisation des drogues ou mariage homosexuel. Comme la France Insoumise ou Podemos, le bloc de gauche se montre un critique sévère du modèle capitaliste.
Allemagne : Die Linke encore loin mais le SPD rougit
La gauche radicale n’est pas seulement l’apanage de l’Europe du sud. En Allemagne, l’approche jugée trop libérale des sociaux-démocrates du SPD durant l’ère Schröder a favorisé l’émergence de Die Linke, la gauche. Un parti très méfiant face à la mondialisation prônant une plus forte redistribution des revenus et une démocratisation des institutions européennes.
Le mouvement est quand même moins radical que les Insoumis français, sans doute parce qu’il dirige avec le SPD trois länder. Die Linke ne menace cependant pas sérieusement la domination du SPD à gauche, ne recueillant que 8% des intentions de vote contre 24% aux sociaux démocrates menés par Martin Schulz.
Mais ces derniers sont loin des 40% de la CDU de la chancelière Angela Merkel malgré le gauchissement indéniable de leur programme de taxation des hauts revenus et d’élargisement des droits des salariés. Même plus « rouge », le discours social-démocrate ne semble plus convaincre.
Royaume-Uni : le retour du « old Labour »
Ce n’est pas le cas au Royaume-Uni. Si la gauche radicale y est inexistante, on observe un très net retour des travaillistes britanniques à des positions sociales très éloignées du libéralisme du « New Labour » mis en place il y a vingt ans par Tony Blair.
Ainsi, Jeremy Corbyn veut augmenter les impôts et les dépenses sociales, recourir aux nationalisations et mener un « soft Brexit » préservant les emplois. Et ce programme séduit: après son honorable défaite aux élections de juin dernier, Corbyn est désormais jugé meilleur premier ministre potentiel que Theresa May.
En somme, un peu partout, les sociaux démocrates semblent condamnés à se gauchiser ou à s’effacer au profit de mouvements plus radicaux.