En annonçant l'arrêt de la production française de gaz et de pétrole, Nicolas Hulot a pris une mesure lourde de conséquences pour la France, et notamment la Guyane. La prolongation accordée pour l'exploration de gisements au large de la collectivité française sera-t-elle à même d'assurer la transition vers son indépendance énergétique ?
Voté dans la nuit du mardi 03 au mercredi 04 octobre 2017 par l’assemblée nationale, l’article phare de la loi Hulot visant à interdire l’exploitation d’hydrocarbures sur le territoire français d’ici 2040 comportait, à n’en pas douter, une dimension hautement symbolique. Avec 815 000 tonnes de pétrole et 0,16 milliard de m3 de gaz, la France ne produit en effet qu’1 % de la quantité consommée par sa population. La mesure défendue par Nicolas Hulot est ainsi principalement destinée à « servir d’exemple pour les autres nations », reconnaissait le ministre de la transition écologique et solidaire. Elle s’inscrit d’ailleurs tout droit dans la logique du Plan climat dévoilé en juillet 2017, à savoir la fermeture des cinq centrales à charbon françaises d’ici 2022, l’arrêt possible de 17 réacteurs nucléaires avant 2025, la fin des moteurs à essence en 2040 et la neutralité carbone à l’horizon 2050. En écartant les énergies fossiles de la production française d’ici 2040, Nicolas Hulot a donc envoyé un nouveau signal fort pour rappeler sa détermination à agir pour une véritable transition énergétique du pays.
Quinze jours plus tard, l’annonce de la prolongation jusqu’au 1er juin 2019 du permis d’exploration d’hydrocarbures détenu par le groupe Total au large de la Guyane en a surpris plus d’un. Arrêté depuis plus d’un an, le projet Guyane Maritime, débuté suite à la découverte d’un gisement pétrolier en 2011, pourra reprendre en vertu des droits autorisant la poursuite de recherches pour les permis déjà attribués. Selon le ministre, ce feu vert du gouvernement s’explique justement parce que le projet de loi pour l’arrêt de la production française d’hydrocarbures n’est pas encore entré en vigueur. « Si on ne vote pas une loi, il y aura des contentieux qui coûteront excessivement cher à l’État, a justifié Nicolas Hulot à l’antenne d’Europe 1. À partir du moment où cette loi sera votée, il en sera terminé, mais on ne peut pas revenir sur les droits acquis. » Si les associations de défense de l’environnement ont protesté contre cette autorisation, le président de la Collectivité territoriale de Guyane a quant à lui salué cette décision, qualifiée de « très belle victoire pour la Guyane et les Guyanais ». Et pour cause : en 2014, la Guyane dépendait encore à 79 % des énergies fossiles pour son approvisionnement énergétique. Toutefois, ce taux était en baisse de 12 points par rapport à 2009 et s’avérait beaucoup moins élevé que les autres zones non interconnectées (ZNI) au réseau électrique français : la Réunion, la Corse, la Guadeloupe et la Martinique, dont la dépendance s’élevait encore entre 86,8 et 93,6 %.
La Guyane est-elle prête à se passer des hydrocarbures ?
Beaucoup plus grande mais moins peuplée que les autres ZNI, la Guyane dispose du mix énergétique le plus équilibré entre énergies fossiles et renouvelables. Grâce à ses importants cours d’eau et son climat tropical, le département français dispose principalement de ressources hydrauliques et photovoltaïques, qui lui permettent de produire près de deux tiers de son électricité (63 % en 2014) à partir d’énergies vertes, selon un rapport de l’Observatoire régional de l’énergie et du climat. Là aussi, la collectivité guyanaise est loin devant ses homologues insulaires, qui se situaient entre 7 et 36 % de part d’électricité d’origine renouvelable en 2015. Sans surprise, les émissions de CO2 de la Guyane sont en moyenne les moins élevées des ZNI : 360 g/kWh par an, contre 461 g pour la Corse, 716 g pour la Martinique, 766 g pour la Réunion et 835 g pour la Guadeloupe. Parmi ces territoires isolés, les DOM ambitionnent d’atteindre l’autonomie énergétique dès 2030, avec un palier à 50 % d’énergies renouvelables (EnR) en 2020. La Corse vise, quant à elle, l’indépendance à l’horizon 2050, avec une étape à 40 % d’EnR en 2023.
Pour y parvenir et en attendant d’être autonomes, les ZNI bénéficient du même niveau de service public et des mêmes tarifs qu’en Métropole via la direction SEI (systèmes énergétiques insulaires) d’EDF. Celle-ci prend en charge l’ensemble de la production et de la distribution électrique, parfois dans des conditions extrêmes, pour un surcoût cumulé de 10,8 milliards d’euros entre 2002 et 2013. EDF-SEI investit également dans des technologies et entreprises innovantes ‒ à hauteur de 5 milliards d’euros ces 10 dernières années ‒ afin de favoriser le développement des énergies vertes dans les ZNI. En cinq ans, la puissance raccordée dans ces territoires a ainsi progressé de 41,8 % en moyenne (1228 MW en 2015 contre 866 MW en 2010).
Si la perspective de mettre fin à la production d’hydrocarbures en France métropolitaine et outre-mer semble aller dans ce sens, ne faudrait-il pas attendre que les énergies renouvelables, connues pour leur intermittence, aient véritablement pris le relais pour se passer des énergies fossiles ? C’est évidemment l’avis des industriels comme Philippe Crouzet du groupe Vallourec, spécialiste du pétrole et du gaz, qui affirme que la politique de Nicolas Hulot va pénaliser la Guyane. « Il y avait une occasion de sortir la Guyane de sa situation économique dramatique, a-t-il déclaré en mai dernier. Cette occasion, qui est probablement la seule, est fermée. » D’autres mettent en avant l’inefficacité d’une telle mesure qui encouragerait l’importation d’hydrocarbures, notamment en provenance du Canada. La récente signature du CETA entre Bruxelles et Ottawa risquerait ainsi de maintenir la dépendance du système énergétique vis-à-vis des énergies fossiles. Dans un tel scenario, le transport des combustibles induirait même un surcoût économique et environnemental, soit à contre-courant de l’intention initiale.