Par Daniel Vigneron
Le renouvellement de l’autorisation du glyphosate vient d'être une nouvelle fois reportée. La difficulté d'aboutir à un compromis à Bruxelles reflète les divergences d’approches entre Etats-membres, plus ou moins utilisateurs d’herbicides et partagés sur le principe de précaution.
Les représentants des Etats-membres de l’Union européenne ont échoué, ce mercredi, à construire un compromis concernant le renouvellement de l’autorisation du glyphosate dont la licence expire le 15 décembre.
La Commission européenne, qui proposait initialement un renouvellement de dix ans, avait pourtant mis hier de l’eau dans son vin en mettant sur la table une nouvelle proposition d’une durée de cinq à sept ans.
Visiblement, la France n’est pas parvenue à convaincre ses partenaires avec sa position médiane. Le ministre de l’économie Nicolas Hulot préconisait initialement une autorisation de 3 ans, tandis que le ministre de l’agriculture Stéphane Travert, évoquait, comme la Commission, un délai de 5 à 7 ans.
On le constate, les divergences au sujet du glyphosate, un « cancérogène probable », restent vives dans l’Union, les pays-membres étant diversement impliqués dans l’utilisation des herbicides et, plus généralement, des pesticides agricoles.
Intérêts divergents
Il faut d’abord distinguer les agricultures de l’Est européen qui sont en phase de rattrapage et de modernisation et qui ont le souci de faire progresser leurs rendements. Voilà pourquoi Pologne et Roumanie, pour ne citer qu’elles, soutenaient la proposition initiale de la Commission européenne de renouveler pour dix ans l’autorisation du glyphosate.
Par ailleurs, des gouvernements traditionnellement proches de l’agrobusiness -britannique ou irlandais par exemple -ont également soutenu la Commission.
A l’inverse, dans le camp « anti-glyphosate », on trouve des pays qui utilisent les herbicides de façon assez modérée et qui ont beaucoup développé les cultures biologiques, comme l’Italie ou l’Autriche.
Quant à la France, qui est pourtant et de très loin le plus gros utilisateur d’herbicides en Europe, sa position anti-glyphosate s’explique plutôt par la très forte adhésion de sa population au principe de précaution.
Cancérogène « probable » ou « improbable » ?
Il faut dire que la nocivité du glyphosate fait débat puisque les expertises nationales ou internationales divergent. En mars 2015, une émanation de l’Organisation mondiale de la santé, le centre international de recherche sur le cancer, avait jugé le glyphosate comme un « cancérogère probable ».
Coup de tonnerre dans le monde agricole où le produit phare à base de glyphosate, leader mondial du marché depuis quarante ans, est le désherbant « Roundup » produit par la multinationale Monsanto. Les écologistes du monde entier s’emparent de l’affaire et font pression sur les gouvernements.
Quelques mois plus tard, cependant, l’EFSA, l’autorité européenne de sécurité alimentaire, dénie ce caractère cancérogène du glyphosate. Et en septembre 2016, c’est au tour de l’OMS de faire marche arrière, un de ses comités commun avec l’ONU estimant cette fois « improbable » ce caractère cancérogène !
De nombreux observateurs voient dans ces revirements le résultat du lobbying de Monsanto. L’Agence européenne est même accusée d’avoir « copié/collé » dans son rapport des passages entiers d’une étude antérieure émanant de Monsanto.
La France championne des herbicides…
Oui, d’autant plus que la population agricole et rurale est nombreuse en France et que la consommation de produits frais y est importante. Or l’Héxagone répand chaque année plus de 30.000 tonnes d’herbicides sur ses cultures, autant que l’Espagne et l’Allemagne réunies. A 1,10 kilo d’herbicides par hectare, la France est très loin devant ses voisins italiens, espagnols ou allemands qui n’en déversent que 650 grammes.
… mais l’Espagne est le plus gros utilisateur de pesticides
Pourtant, si l’on considère l’ensemble des produits pesticides qui comprennent, outre les herbicides, les insecticides, les fongicides (anti-champignons) et quelques autres produits, c’est l’Espagne qui est de loin le plus gros utilisateur. Elle a en effet déversé en 2015 sur ses cultures 77.000 tonnes de pesticides contre 66.000 tonnes déversées en France, 63.000 en Italie, 48.000 en Allemagne et 31.000 au Royaume-Uni.
Les surfaces agricoles étant inégales, il s’ensuit que la France est plutôt un utilisateur modéré de pesticides avec 2,38 kilos à l’hectare contre 3,2 kilos en Espagne et jusqu’à plus de 5 kilos aux Pays-Bas ou en Italie. Evidemment, le climat joue un rôle dans ses différences : les climats méditerranéens utilisant plus d’insecticides, les climats tempérés ou froid, plus d’herbicides.
L’Autriche championne du bio
Autre aspect de la question, les progrès de l’agriculture biologique. Sauf au Royaume-Uni où elles stagnent, ces cultures exemptes de pesticides augmentent partout. Mais leur niveau de développement est très disparate. Le champion européen du bio est depuis de nombreuses années l’Autriche où 21% des surfaces étaient cultivées en bio en 2015.
Deux autres pays, la Suède et l’Estonie, sont à 17%, le Portugal à 14%. Et, parmi les pays à vaste territoire agricole, l’Italie est en pointe avec 12% des surfaces en bio.
C’est nettement plus que l’Espagne (8% des surfaces) ou que l’Allemagne (6%). Quant à la France, elle reste en retard avec moins de 5% des surfaces mais son rythme de progression est élevé depuis quelques années.
Un retard qui s’explique : première puissance agricole d’Europe, la France a largement profité, pendant des décennies, de la politique agricole commune européenne qui a très longtemps favorisé l’agriculture productiviste.
Mais les temps changent et, dans quelques années, l’Hexagone devrait sans doute, compte tenu de ses surfaces disponibles, devenir le premier producteur européen de bio. Une place naturelle en somme pour un pays réputé pour l’excellence de ses produits…