Les Etats membres ont menacé de mettre un terme à leurs aides si le « harcèlement » à l’encontre de l’opposition et de la société civile ne cesse pas. Ils ont également prolongé pour un an les sanctions contre 16 hauts responsables du pays.
L’Union européenne perd patience et hausse le ton contre Joseph Kabila, l’ineffable chef de l’Etat congolais qui refuse de quitter le pouvoir après seize ans à la tête de son pays. Lundi 11 décembre, lors d’une réunion à Bruxelles, les ministres des affaires étrangères de l’Union ont ainsi condamné « vivement les violations des droits de l’Homme ainsi que les actes de harcèlement à l’encontre d’acteurs politiques de l’opposition, de représentants des médias et de la société civile » en RDC.
Impatients de voir la situation en RDC s’améliorer, les ministres ont pris des mesures concrètes pour mettre fin à la crise politique déclenchée par Kabila. Ils ont décidé de conditionner le financement des élections au respect des libertés et ont prolongé pour un an les sanctions que l’UE décrétées en décembre 2016 puis en mai dernier contre 16 hauts responsables du régime.
Concrètement, les 28 Etats membres réclament “la libération de tous les prisonniers politiques”, “la liberté de la presse et la réouverture des médias fermés” ou encore le “respect de la liberté de réunion et de manifestation pacifique”. Les ministres exigent également “la fin des poursuites judiciaires injustifiées”, une référence à peine voilée au sort que connaît Moïse Katumbi, le populaire homme d’affaires congolais et candidat politique favori à l’élection présidentielle, poursuivi à la suite d’une “mascarade judiciaire” selon un rapport des évêques congolais (ces derniers ont cité entre autres des actes de corruptions et des menaces de mort sur les juges en charge du dossier).
Toutes ces mesures sont « nécessaires » pour réunir les conditions d’élections crédibles et inclusives, rétablir la confiance entre les acteurs et apaiser les tensions politiques en RDC, ont estimé les ministres européens.
« L’une des pires crises humanitaires du monde »
Ayant annoncé puis reporté de nombreuses fois les élections, Joseph Kabila a réussi à se maintenir au pouvoir alors que son deuxième (et dernier) mandat a pris fin en décembre 2016. La Commission électorale, qui avait affirmé qu’il n’était techniquement pas possible d’organiser la présidentielle, les législatives et les provinciales avant avril 2019, a finalement annoncé que les trois scrutins se tiendront en décembre 2018.
Mais l’Union européenne, échaudée par l’expérience de l’accord de la Saint-Sylvestre, exige cette fois des garanties. Les ministres des affaires étrangères estiment « qu’il est déterminant, notamment pour la légitimité des institutions chargées de la transition, de garantir que la date des élections désormais fixée au 23 décembre 2018 soit respectée ».
La fiabilité de l’accord n’est cependant pas la seule préoccupation de l’Union. En septembre, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a publié un rapport accablant sur la situation des droits de l’homme en RDC. Il a en particulier regretté que les autorités congolaises ne se soient pas saisies des informations transmises au sujet des 87 fosses communes recensées dans le Kasaï, et que l’action des forces congolaises, avec un usage jugé « disproportionné » de la force, ait conduit à « l’une des pires crises humanitaires du monde » : 5 000 morts et 1,6 million de déplacés et refugiés en un an. La Commission des droits de l’homme avait également dénoncé la « répression systématique des opposants politiques, des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes ».
« Bruit et tapage » contre la violence des armes
C’est dans ce contexte que l’UE a décidé prolonger les sanctions contre 16 responsables du régime Kabila, dont le ministre de l’Intérieur Ramazani Shadari, le porte-parole du gouvernement Lambert Mende ou encore le directeur de l’Agence nationale de renseignement, Kalev Mutondo. Des membres de la garde républicaine, de l’armée et de la police sont également visés par les sanctions de l’instance européenne.
« L’UE appelle l’ensemble des acteurs congolais, et en premier lieu les autorités et les institutions congolaises, à jouer un rôle constructif dans le processus électoral, et salue le soutien des partenaires extérieurs à cet égard. Elle rappelle aussi l’importance du rôle de la société civile et des femmes en particulier », ont déclaré les ministres européens.
Mais l’opposition a de bonnes raisons de rester sceptique. Alors que le nouveau calendrier électoral a été décidé sans sa participation, le Rassemblement de l’opposition (Rassop) avait appelé à manifester le 30 novembre malgré l’interdiction des autorités de Kinshasa. Résultat : des blessés, des arrestations et des enlèvements ont été signalés dans plusieurs villes du pays.
Depuis son exil, l’opposant Moïse Katumbi soutient les appels à manifester lancés par l’opposition ainsi que l’appel du Collège des curés doyens de l’église catholique, qui a instruit ses membres à lancer des actions à caractère pacifique, à partir du jeudi 14 décembre, pour réclamer l’application de l’accord de la Saint-Sylvestre. « Je me joins à leur voix, et au-delà de la capitale, appelle tous les Congolais à suivre ces consignes. Prions pour la Nation et, chaque jeudi 21h, bruit et tapage jusqu’à l’application de l’accord de la CENCO », a-t-il tweeté.