Malgré leurs actions coup de poing sur l’ensemble du territoire, les agriculteurs peinent à se faire entendre par le gouvernement et la société civile. Pendant ce temps, leur situation continue de s’aggraver avec l’interdiction du glyphosate qui va peser sur le secteur.
Dans le Lot, les agriculteurs ont profité de la visite du premier ministre, mercredi 13 décembre, pour manifester une fois de plus leur colère face à la réforme des zones défavorisées simples (ZDS), qui remet en cause le classement en zone défavorisée des cinq communes du sud du département. « L’activité et le revenu de centaines d’agricultrices et d’agriculteurs sont en péril. Et en cascade, une perte majeure de vitalité économique, un recul de la biodiversité et de la qualité de nos paysages, un déclin de l’attrait touristique », ont dénoncé les agriculteurs lotois dans les pages de La Dépêche du Midi.
Ce n’est pourtant que le dernier exemple en date d’une longue série de mobilisations paysannes. Environ 200 syndiqués à la FNSEA ont bloqué l’accès aux Champs-Elysées le 22 septembre dernier. Ils manifestaient contre l’annonce d’Emmanuel Macron d’interdire le glyphosate « au plus tard dans trois ans », une décision qu’ils estiment irréaliste et dangereuse, l’usage de produits phytosanitaires étant pour eux « indispensable pour conserver l’excellence agricole française ».
Mais ils ont du mal à faire passer leur message et s’estiment injustement jugés par ceux qui, depuis leur confort urbain, leur reprochent un usage abusif des pesticides alors que de nombreux produits non français consommés dans l’Hexagone contiennent des traces supérieures d’herbicides interdits d’usage en France.
Désemparés, les agriculteurs de 16 FDSEA/JA ont décidé de demander à l’exécutif : la France veut-elle encore des agriculteurs ? 16 FDSEA et JA représentent les fédérations du Nord, du Pas-de-Calais, de l’Aisne, de la Somme, de l’Oise, de la Marne, de l’Aube, de l’Eure, de la Seine-et-Marne, de l’Ile-de-France, du Loiret, du Loir-et-Cher, de l’Eure-et-Loir, de l’Indre-et-Loire, de l’Indre et du Cher. Toutes ont décidé de s’associer pour faire front commun.
L’annonce du président Macron fait monter la pression
En octobre dernier, la Mutualité sociale agricole tirait quant à elle la sonnette d’alarme sur les revenus des agriculteurs, inférieurs au seuil de pauvreté pour un tiers d’entre eux. En effet, environ 30 % des agriculteurs gagnent moins de 350 euros par mois. « Nous vivons une bonne partie de l’année grâce au découvert de la banque, qu’elle tolère du fait de notre activité mais qu’il faut bien rembourser une fois qu’on a vendu la récolte », déclarait récemment un agriculteur sur BFM.
Dans ce contexte, l’annonce par M. Macron sur une sortie anticipée du glyphosate ne peut qu’inquiéter. L’interdiction du glyphosate « obligera à retourner la terre, ce qui la rendra moins fertile, plus meuble et donc plus vulnérable aux mauvaises herbes et à l’érosion. Cela baissera les rendements, demandera plus de carburant (87 millions d’hectolitres par an), d’acheter des tracteurs, d’utiliser plus de main-d’œuvre (12,7 millions d’heures) et créera 226 000 tonnes de CO2 supplémentaires, soit un surcoût de 70 euros par hectare et au total 950 millions d’euros pour les cultivateurs français », résument des experts consultés par Challenges.
Ces difficultés auxquelles seront confrontés tous les agriculteurs de l’Union Européenne dans 5 ans, seront d’abord subies, de manière anticipée, par les agriculteurs français. Ils devront non seulement subir des chamboulements structurels et organisationnels, mais en plus pendant deux ans, leurs produits seront vendus sur les étals face à ceux des concurrents européens, bénéficiant de deux années supplémentaires d’autorisation au glyphosate. Difficile alors de rester dans la compétition.
Et tout cela, alors que « la dangerosité du glyphosate pour l’homme n’est pas avérée dans les conditions de son utilisation en France », comme ne cessent de le dire la Coordination rurale et la FNSEA. Un avis que partagent de nombreuses agences internationales, dont l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), et confirmée par l’Agricultural Health Study (AHS), une étude prospective sur près de 57 000 agriculteurs menée par des épidémiologistes de renom.
Au niveau gouvernemental, des couacs à répétition
Le doute semble être partagé jusqu’au niveau du gouvernement, en la personne notamment de Stéphane Travert. Le ministre de l’agriculture, qui s’était déjà fait recadrer pour s’être réjoui de la décision européenne de renouveler l’autorisation du glyphosate, a remis le couvert le 14 décembre dernier sur RMC et BFMTV. « Il n’y aura pas d’arrêt du glyphosate, s’il n’y a pas de produits de substitutions » a-t-il fini par lâcher, avertissant également qu’il serait plus sage de « voir où la France en serait dans trois ans » avant d’anticiper l’arrêt de l’herbicide.
Bruits et fureur de la part des ONG, dont Générations Futures, Greenpeace et Foodwatch, qui ont immédiatement exigé d’Emmanuel Macron qu’il garantisse que « la position de la France est bien d’interdire concrètement l’utilisation du glyphosate dans trois ans, quelle que soit la bonne volonté des uns ou des autres ou l’état d’avancement de la recherche ».
Une radicalité et une absence de dialogues dont les conséquences pourraient, très rapidement, coûter très cher à des milliers d’agriculteurs, premières victimes d’une décision politique prise peut-être un peu trop vite.