Après les attentats de l’Aude, le débat sur l’internement des individus à risque ressurgit. Mais la protection des libertés individuelles continue de primer en Europe à l’exception des arrestations préventives pratiquées en Espagne.
Les tragiques fusillades de Carcassonne et de Trèbes ont fait ressurgir la polémique sur la prévention du terrorisme. Car le terroriste Radouane Lakdim était bien suivi par les services de polices et figurait sur le fameux fichier « S » qui recense en France les personnes soupçonnées d’activités dangereuses pour la sureté de l’Etat.
Un certain nombre de politiciens, dont le nouveau patron des Républicains, Laurent Wauquiez, réclament de nouveau l’internement des individus fichés « les plus dangereux » et l’expulsion des étrangers.
L’efficacité douteuse des fiches « S »
Apparues à la fin des années soixante dans le cadre du fichier des personnes recherchées, les fiches « S » concernent des personnes menaçant la sureté de l’Etat (d’où le « S »). On compte actuellement 26.000 fiches « S » dont environ 10.000 ont un lien avec l’islamisme radical.
Il n’en reste pas moins que la majorité des auteurs d’attentats de ces dernières années n’étaient pas fichés « S » et, pour les autres, le fait de l’avoir été n’a pas empêché leur passage à l’acte.
C’est le cas de Radouane Lakdim ainsi que de sa compagne Marine (P.). Lakdim figurait également sur un autre fichier, le FSPRT, qui regroupe depuis 2015 quelques 20.000 signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste.
Les fichés « S » ne font pas systématiquement l’objet d’une surveillance par plus que les fichés FSPRT, mais les individus jugés les plus susceptibles de passer à l’acte le sont, ce qui a permis d’éviter ces derniers mois un certain nombre d’actes criminels.
Le problème est que le terroriste de Carcassonne n’était pas jugé particulièrement dangereux. A tel point qu’il devait être convoqué en avril pour qu’on lui signifie l’arrêt de sa surveillance. L’internement des individus les plus proches du passage à l’acte que préconise notamment Laurent Wauquiez aurait donc été, dans ce cas précis, totalement inopérant.
En outre, rien n’autorise, dans la loi ou dans la constitution, à priver de liberté un individu qui n’a pas commis d’infraction et qui est simplement jugé susceptible d’en commettre une. Même une simple garde à vue implique de soupçonner une infraction qui a été commise ou que l’on se préparait à commettre.
L’internement préventif inconnu en Europe
Ni en France, ni dans la quasi-totalité des pays européens. La notion de « détention préventive » existe certes en Norvège et au Danemark mais pour désigner une procédure toute différente consistant à prononcer, en raison de risques pour la société, une peine de prison à durée indéterminée dans la mesure où elle peut être prolongée. Et ce type de peine n’est applicable que pour des crimes effectivement commis ou précisément planifiés.
Il existe cependant un pays qui a instauré depuis plusieurs années un système d’arrestations préventives : l’Espagne, encore traumatisée par les terribles attentats de Madrid de 2004.
Ces arrestations peuvent se faire sur simples soupçons mais elles impliquent néanmoins une autorisation judiciaire délivrée assez facilement pour peu que la police fournisse des indices.
Autre arme répressive dans un pays qui a interné depuis douze ans 640 personnes pour terrorisme : le délit d’endoctrinement passif qui permet d’arrêter toute personne s’étant laissée radicaliser.
Des tentatives pour imposer un bracelet électronique
Au niveau européen, l’instauration en 2016 du PNR (Passenger Name Record) permet de « tracer » les individus se déplaçant par voie aérienne. La Belgique a tenté d’étendre ce PNR aux trains à grande vitesse mais y a finalement renoncé.
De même, le royaume a-t-il renoncé, pour des raisons légales et techniques, à la possibilité de mettre sous bracelet électronique certaines personnes figurant au fichier des services d’analyse de la menace terroriste.
La situation est différente en Allemagne où cette faculté de mettre sous bracelet électronique des individus inscrits au fichier anti-terroriste et jugés « très dangereux » a été instaurée en juin 2017. Toutefois, pour des raisons légales, ce dispositif n’a pu être mis en œuvre qu’en Bavière où, à ce jour, seulement deux bracelets électroniques ont été posés !
La défense des libertés fait de la résistance outre-Manche
Bien que pays réputé répressif, le Royaume-Uni ne plaisante pas avec les libertés individuelles. Sans aller jusqu’à l’internement préventif, le législateur britannique est pourtant allé assez loin en donnant pouvoir à un officier de police d’arrêter sans mandat tout individu « raisonnablement suspecté d’être terroriste ».
Et le délai de garde à vue a été porté à 14 jours – et même jusqu’à 28 pendant quelques années. Mais, au delà, la privation de liberté nécessite bien une inculpation. Et l’instauration, en 2005, de « control orders » permettant d’assigner facilement à résidence certains individus suspects, a été supprimée en 2010 et n’a pu, à ce jour, être rétablie malgré plusieurs tentatives du gouvernement.
A la lumière de ces réalités européennes, peut-on aller plus loin dans la prévention du terrorisme en France ? On pourrait toujours instaurer de nouveaux délits, à l’instar de l’endoctrinement passif existant en Espagne.
Mais le problème est celui de la faisabilité. Vu le nombre élevé de personnes concernées, peut-on envisager de prononcer des milliers de peines privatives de liberté pour des motifs purement idéologiques ? Imagine-t-on, dans ce cas, l’effet sur des populations qui se sentent déjà marginalisées ? Et qui peut penser qu’une simple amende pourrait dissuader quiconque d’un passage à l’acte terroriste ?
Force est de s’en tenir au réalisme : les deux piliers d’une prévention efficace restent la surveillance attentive des comportements suspects ainsi que l’éducation des populations susceptibles de verser dans la radicalité. Le reste relève de la pure démagogie.